Définition de la microsimulation dynamique en sciences sociales
Qu'est-ce que la microsimulation ?
Un moyen utile de définir la simulation dans le domaine des sciences sociales consiste à la percevoir comme l’utilisation intentionnelle d’un modèle. Par conséquent, si nous reculons d’un pas, la simulation en sciences sociales est à la fois un exercice de modélisation et l’exercice consistant à « exécuter le modèle », ou à « jouer » ou « expérimenter » avec celui‑ci. La gamme des objectifs est aussi vaste que celle des raisons d’entreprendre la recherche : résoudre des problèmes, trouver des explications, bâtir une théorie, prédire l’avenir, et conscientiser. D’un point de vue plus pratique, nous pouvons également ajouter la formation à cette liste. Les pilotes s’entraînent sur des simulateurs de vol. Pourquoi les décideurs ne pourraient‑ils pas s’entraîner au moyen de simulations informatiques à mieux saisir les effets des politiques? Et pourquoi les électeurs ne disposeraient‑ils pas d’outils pour étudier les effets des mesures stratégiques proposées? La simulation en sciences sociales permet ce genre de vision.
La simulation dynamique fait intervenir le temps. Comment sommes‑nous arrivés où nous en sommes aujourd’hui? À quels changements pouvons‑nous nous attendre dans l’avenir? Qu’est‑ce qui dicte ces changements et comment pouvons‑nous influer sur ces processus? La plupart des déclarations les mieux fondées au sujet de l’avenir s’appuient sur des simulations dynamiques. Certaines nécessitent des simulations informatiques complexes, tandis que d’autres sont le résultat d’expériences de la pensée. L’exploration de futurs scénarios et de la façon dont l’avenir est façonné par nos actes individuels est un accomplissement fondamental du cerveau humain, étroitement lié à la conscience proprement dite. Pouvoir prédire l’état futur d’un système nous permet de mieux planifier nos actions, aussi bien celles qui influencent le résultat du système que celles affectées par ce dernier. Par exemple, les prévisions météorologiques sont produites en s’appuyant sur des simulations informatiques complexes — et nous disposons à la fois de modèles relativement satisfaisants pour prédire le temps qu’il fera demain (sur lequel nous n’exerçons pas d’influence) et de modèles de simulation nettement plus controversés pour prédire les changements climatiques de long terme (sur lesquels nous pouvons influer). La simulation dynamique sensibilise les membres du public aux problèmes qui pourraient survenir dans l’avenir, qu’il s’agisse d’une tempête demain ou de l’effet des émissions de CO2 au cours du temps. La possibilité de prendre davantage conscience de certaines situations et de mieux planifier nos interventions existe aussi dans le domaine des sciences sociales pour des questions telles que le vieillissement de la population, la concentration de la richesse ou la viabilité des systèmes de sécurité sociale.
La microsimulation dynamique est un type particulier de simulation dynamique. Malheureusement, le terme microsimulation proprement dit peut prêter à confusion, parce que, malgré le préfixe « micro », nous simulons un « macro »système. Le préfixe « micro » désigne essentiellement comment nous simulons ce système. Nombre de systèmes sont constitués d’unités de niveau plus faible. Les liquides sont constitués de particules dont le comportement est modifié quand on les chauffe, les systèmes de circulation comprennent des automobiles conduites sur un réseau de routes, et les sociétés et les économies sont formées de personnes, de ménages, d’entreprises, etc. Tous ces systèmes ont une caractéristique commune — les changements de niveau macro résultent des actions et interaction des unités de niveau micro. L’idée maîtresse de la microsimulation est que le meilleur moyen de simuler un tel système consiste souvent à modéliser et à simuler les actions et les interactions de ses unités de plus petite échelle et d’obtenir les macrorésultats par agrégation.
La microsimulation dynamique en sciences sociales peut se concevoir comme une expérimentation avec une société virtuelle comptant des milliers, voire des millions, d’individus que l’on crée et dont les trajectoires de vie se déroulent dans un ordinateur. Selon l’objectif du modèle, les individus (ou « acteurs ») font des choix d’études et de carrière, forment des unions, ont des enfants, travaillent, paient des impôts, reçoivent des avantages sociaux, divorcent, migrent, prennent leur retraite, reçoivent une pension et, éventuellement, meurent. La création d’un « jeu informatique scientifique » de ce genre comporte diverses étapes, la première étant la modélisation du comportement individuel. En microsimulation, les principales catégories de micromodèles sont les modèles statistiques et économétriques. Alors que la littérature est riche en analyses de microdonnées statistiques, la plupart des travaux de recherche s’arrêtent après l’estimation des modèles des processus individuels. Au moyen d’un modèle de microsimulation, nous allons une étape plus loin : la microsimulation ajoute la synthèse à l’analyse. Par conséquent, la deuxième étape de la microsimulation, après la modélisation des comportements individuels, est la programmation des divers modèles de comportement qui nous permettront d’exécuter les simulations du système complet. La microsimulation peut nous aider à comprendre l’effet de divers processus et de divers changements dans les processus sur le résultat global. Plus le nombre de processus interdépendants qu’il faut prendre en considération est élevé, plus il est difficile de cerner et de comprendre la contribution des facteurs individuels aux macrorésultats. Mais la microsimulation offre l’outil requis pour étudier ce genre de système.
La modélisation au niveau micro facilite la simulation des politiques. Les règlements en matière d’avantages fiscaux et de sécurité sociale sont définis au niveau individuel ou familial, si bien que la microsimulation une approche de modélisation naturelle permettant leur simulation à n’importe quel niveau de détail. Comme ce genre de règlements sont habituellement complexes et dépendent de manière non linéaire de diverses caractéristiques, telles que la composition de la famille ou le revenu (p. ex.impôts progressifs), la microsimulation est souvent le seul moyen d’étudier l’effet distributionnel et la viabilité de long terme de ce genre de système. En analyse des politiques, une partie de la puissance de l’approche de microsimulation est déjà exploitée dans les modèles de microsimulation dits statiques. Il s’agit de modèles conçus pour étudier l’effet transversal des changements de politique, par exemple, en identifiant les gagnants et les perdants immédiats d’une réforme stratégique. Cependant, la microsimulation dynamique ajoute une toute nouvelle dimension à l’analyse des politiques, puisqu’elle permet de suivre les individus au cours de leur cycle de vie complet.
En sciences sociales, la microsimulation dynamique remonte à l’idée qu’a eue Guy Orcutt (1957) d’imiter les expériences naturelles en économie (Orcutt 1957). L’approche de modélisation qu’il a proposée correspond à ce que l’on peut appeler le courant empirique, ou guidé par les données, de modèles de microsimulation dynamique, c’est‑à‑dire des modèles conçus et utilisés au niveau opérationnel pour faire des prévisions et des recommandations stratégiques (Klevmarken 1997). Ce genre de microsimulation englobe les modèles microéconométriques et statistiques, ainsi que les routines comptables. Fait pendant à ce courant empirique, le courant ou la tradition théorique de la simulation orientée agents (SOA). Quoique qu’entrant dans la catégorie des modèles de microsimulation aux termes de notre définition générale, la SOA est souvent considérée comme une branche distincte de la simulation, différente de la microsimulation. Cette façon de voir tient principalement à l’objectif différent de la modélisation SOA (principalement l’exploration de théories) et les aux diverses approches utilisées dans la SOA pour modéliser le microcomportement (règles basées sur la théorie et l’intelligence artificielle). Sauf indication contraire, la présente discussion portera uniquement sur le groupe de modèles de microsimulation dynamique guidés par les données. ( Il convient toutefois de souligner que le langage Modgen a été utilisé avec succès pour la SOA, comme le décrit Wolfson (1999).)
Les principales composantes d’un modèle de microsimulation guidé par les données type peuvent être résumées comme le suivant. Au centre figure une base de microdonnées sur la population contenant les caractéristiques de tous les membres de cette dernière. (Dans une perspective davantage orientée objets, la base de données sur la population peut aussi être considérée et mise en œuvre comme contenant des « cerveaux » individuels décentralisés avec des acteurs possédant des méthodes pour faire part de leurs états à un statisticien virtuel responsable de la collecte et de la présentation des données.) Cette base de données est mise à jour dynamiquement durant une exécution de simulation conformément aux micromodèles de comportement et aux règles relatives aux politiques (telles que les règles relatives aux cotisations et aux prestations dans un modèle de pensions). Tous ces modèles peuvent être paramétrisés par l’utilisateur. Les résultats des simulations sont présentés sous forme de tableaux agrégés produits par des routines de sortie. En outre, la sortie peut correspondre à des fichiers de microdonnées analysables par un logiciel statistique. Certains modèles (tels que ceux produits avec Modgen) permettent aussi de représenter graphiquement les biographies individuelles.
La vision d'Orcutt et la réalité d'aujourd'hui
La microsimulation dynamique a été introduite pour la première fois dans le domaine des sciences sociales en 1957 par Guy Orcutt dans son article fondamental intitulé « A new type of socio-economic system », dans lequel il proposait un nouveau type de modèle émanant principalement de sa frustration à l’égard des modèles de projection macroéconomique existants. Dans cet article, Orcutt examine divers défauts des modèles macroéconomiques que la microsimulation permet de surmonter. Le premier est l’« utilité prédictive limitée » des macromodèles, surtout en ce qui concerne les effets de l’intervention gouvernementale, parce qu’ils sont trop abstraits pour permettre des simulation fines des politiques. Le deuxième tient à la concentration sur les agrégats et à l’ignorance des aspects distributionnels dans les études macroéconomiques et les projections. Le troisième problème, selon Orcutt, est que les macromodèles ne tirent pas parti des connaissances existantes au sujet des unités décideuses élémentaires. La microsimulation, en revanche, n’est pas limitée par des hypothèses restrictives de « relations absurdement simples au sujet des unités décideuses élémentaires » afin de pouvoir procéder à l’agrégation. La modélisation au niveau où les décisions sont prises rend non seulement les modèles plus compréhensibles, mais, en cas de relations non linéaires, fait aussi que « les relations stables au niveau micro sont relativement en harmonie avec l’absence de relations stables au niveau agrégé».
Alors que ces observations sont encore vraies un demi‑siècle plus tard, certaines autres observations d’Orcutt sont de bons exemples de la façon dont les ordinateurs ont transformé la recherche. En fait, une part considérable de son article est consacrée à la justification de l’usage d’une puissance informatique coûteuse pour les simulations, fait qui était généralement considéré comme étant le domaine des mathématiciens et des solutions analytiques calculables sur papier. Selon Orcutt, un des avantages de la microsimulation est qu’elle est « ... comprise par des personnes ne possédant qu’un modeste bagage mathématique ».
Alors que l’approche de modélisation qu’il proposait était visionnaire en 1957, à cause du manque de puissance informatique et de données à l’époque, peu après, Orcutt a été chargé de développer le premier modèle américain de microsimulation à grande échelle Dynasim. Plus tard, il a contribué au développement de son descendant CORSIM, qui a également servi de modèle de base pour le modèle canadien CANSIM et pour le modèle suédois SVERIGE. Entre‑temps, des douzaines de modèles d’usage général à grande échelle et un nombre innombrable de plus petits modèles spécialisés ont vu le jour partout dans le monde (pour une liste, voir Spielauer 2007). Néanmoins, la microsimulation continue de se heurter à la résistance de l’école dominante d’économistes « imprégnés d’envie à l’égard de la physique et attachant plus d’importance à l’élégance mathématique qu’au réalisme et à l’utilité » (Wolfson 2007). De plus en plus, ce front est brisé par les demandes des décideurs préoccupés par des questions distributionnelles et des problèmes de viabilité des politiques dans le contexte de l’évolution démographique. Il en est surtout ainsi des modèles de pensions qui constituent une vitrine d’exposition des nouvelles demandes des décideurs confrontés au vieillissement de la population et à des questions de viabilité et d’équité intergénérationnelle, de même que de la puissance de la microsimulation en vue de résoudre ces problèmes. Comme les pensions de retraite individuelles dépendent des antécédents de cotisation individuels, ainsi que des caractéristiques familiales (p. ex.pension de survivant), les modèles de pensions requièrent des simulations démographiques et économiques très détaillées. D’une part, cela peut les rendre très complexes, mais d’autre part, cela leur permet de répondre à des objectifs très différents. De nombreux modèles sont conçus en tant que modèles généraux capables d’étudier divers comportements et politiques, tels que la dynamique des études, l’effet distributionnel des régimes d’avantages fiscaux, ainsi que les besoins et les dispositions en matière de soins de santé. Ce progrès a été déclenché par la demande croissante, de la part des décideurs, de projections plus détaillées pour la planification, conjuguée aux progrès réalisés dans le domaine de la collecte et du traitement des données.
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