Méthodologie de révision rétrospective des tableaux d’entrées-sorties de 2007 et 2008

Introduction

La publication des tableaux d’entrées-sorties (ES) de 2009 introduit des ruptures d’ordre conceptuel, taxinomique et statistique par rapport aux séries chronologiques publiées antérieurement, dans le sillage de la révision complète du Système canadien des comptes macroéconomiques (SCCM) de 2012Note1. Si de nombreux produits de données ont fait l’objet de révisions historiques pour que soit préservée la continuité des séries chronologiques, les tableaux d’ES provinciaux et territoriaux antérieurs à 2009 n’ont pas été recompilés pour des raisons de faisabilité. Par conséquent, les tableaux antérieurs à 2009 ne sont plus comparables à d’autres produits révisés du SCCM, comme les comptes économiques nationaux trimestriels, les comptes économiques provinciaux, les estimations du PIB par industrie et la productivité du travail et multifactorielle.

La somme considérable de travail qu’exige le processus de compilation des ES a empêché la recompilation des tableaux antérieurs à 2009 à partir des données de base originales en fonction des nouveaux concepts, des nouvelles classifications et des nouvelles méthodes statistiques adoptés dans le cadre de la révision historique du SCCM de 2012. Toutefois, la solution de compromis retenue a consisté à soumettre à une révision rétrospective les tableaux provinciaux et territoriaux en prix courants pour atténuer l’incidence des ruptures des séries chronologiques sur les produits analytiques d’entrées-sorties, notamment les modèles d’impact d’ES et les tableaux symétriques d’ES industrie par industrie. La diffusion des tableaux de 2007 et de 2008 est la première d’une série de diffusions qui remontera jusqu’à 1997.

Le but premier des tableaux révisés rétrospectivement est d’assurer la continuité en vue de l’utilisation des tableaux d’ES à des fins analytiques et non pour servir de données repères au cours de la période pour le programme intégré des comptes macroéconomiques, comme c’est le cas dans la compilation actuelle. Dans la mesure où des techniques de modélisation par approximation sont employées dans la compilation de ces tableaux, la qualité générale est inférieure à celle obtenue par un exercice poussé de compilation de bas en haut à un niveau détaillé.

Les tableaux révisés rétrospectivement sont harmonisés avec la plupart des agrégats des comptes économiques provinciaux (CEP) publiés en novembre 2013. En raison de contraintes statistiques, ces tableaux sont établis à un niveau légèrement plus agrégé (niveau d’agrégation commun L de 1997) que le niveau détaillé des nouvelles classifications employé à partir de 2009.

Bien que les différences de qualité ne puissent être quantifiées, les tableaux révisés rétrospectivement conviennent aux analyses macroéconomiques qui ne nécessitent pas une intégration complète à d’autres produits (par exemple, les séries chronologiques des mesures de volume des industries ou les estimations de la productivité multifactorielle).

Méthodologie de révision rétrospective

La méthodologie de révision rétrospective des tableaux d’ES peut se décomposer selon les grandes étapes suivantes, qui seront expliquées de façon plus détaillée :

  1. Conversion des tableaux repères à la nouvelle classification des produits
  2. Ajustements pour tenir compte d’autres changements apportés aux classifications
  3. Ajustements pour tenir compte des changements conceptuels
  4. Ajustements pour assurer l’harmonisation avec les agrégats des CEP
  5. Équilibrage des tableaux

a) Conversion des tableaux repères à la nouvelle classification des produits

La nouvelle classification des produits d’ES adoptée en 2009 fournit des définitions plus pertinentes et plus détaillées des produits d’ES, mais représente également une rupture marquée par rapport à la structure antérieure. L’approche retenue consiste à réaffecter, lorsque cela est possible, les estimations repères aux nouveaux produits en fonction des poids de répartition tirés des données de base primaires.

Le retour aux données de base est motivé par deux grands facteurs. Le premier est que, dans certains cas, les données de base fournissent des renseignements mieux harmonisés avec les nouvelles classifications, par exemple, les renseignements sur les produits provenant de l’Enquête annuelle des manufactures. Le second est que le niveau élevé de détail de certaines données de base peut servir à reconstruire les estimations avec plus de précision. Le commerce international en constitue le meilleur exemple : les renseignements très détaillés du Système harmonisé peuvent être utilisés pour établir une approximation des estimations du commerce selon les nouvelles classifications.

Cependant, il n’a pas été possible d’appliquer l’approche des données de base à tous les nouveaux produits. En raison de difficultés d’ordre statistique, il a fallu procéder à une agrégation pour 15 produits, notamment le pétrole brut et le bitume ainsi que les marges de gros et les commissions.

Le retour aux données de base pour réaffecter la valeur des estimations des produits pose un inconvénient majeur : il réintroduit des incohérences qui avaient été réglées à l’étape de la confrontation des données (ou équilibrage) du processus de compilation des tableaux d’ES. Toutefois, puisqu’il s’agissait d’un exercice de reclassification de valeurs « connues » de produits, cette opération n’a pas eu d’incidence sur les statistiques de base comme les totaux par industrie ou par catégorie ou d’autres sous-totaux comme le PIB ou les entrées intermédiaires totales par industrie.

Une approche en deux étapes est utilisée pour atteindre des objectifs contradictoires, soit la nouvelle estimation des valeurs à partir des données de base et le maintien de tous les renseignements de base des tableaux existants. À la première étape, les valeurs sont estimées selon la nouvelle classification des produits, tandis qu’à la deuxième étape, l’additivité des données est rétablie dans la dimension des ressources et des emplois (c.-à-d. rééquilibrage des tableaux).

Lors de la première étape, les données de base sont simultanément mises en correspondance avec l’ancienne classification et la nouvelle classification des produits pour chaque industrie et catégorie de demande finale dans les anciens tableaux d’ES. Ces données fournissent les poids de répartition servant à attribuer la portion appropriée de chaque valeur d’ES des anciens produits aux nouveaux produits. Si cette méthode permet d’établir des estimations de la valeur des nouveaux produits qui concordent avec les estimations publiées des industries, elle génère inévitablement des estimations qui manquent de cohérence dans les dimensions de l’offre et de la demande.

À la deuxième étape, la cohérence dans une perspective d’offre et de demande est rétablie par une approche algorithmique. Un modèle d’optimisation sous contraintes est appliqué pour réduire au minimum les variations par rapport aux estimations établies à la première étape compte tenu d’un ensemble de contraintes qui assurent l’identité de l’offre et de la demande aux prix de baseNote2. Le modèle comporte aussi la contrainte supplémentaire suivante : pour chaque industrie, le total du sous-ensemble des valeurs des nouveaux produits qui composent la valeur d’un produit publiée antérieurement doit correspondre à la valeur initiale de ce dernier. Cette contrainte permet d’assurer que l’industrie et d’autres identités structurelles de base dans les tableaux publiés d’ES ne sont pas modifiées au cours du processus d’équilibrage des produits. Le modèle est résolu au niveau provincial, et les estimations nationales sont obtenues par la somme des estimations provinciales.

Lorsque les données de base ne pouvaient pas fournir suffisamment de détails ou des poids cohérents, les estimations ont été ajustées au cas par cas. Parfois, les estimations de l’offre ont été utilisées pour déterminer la demande, parfois l’inverse, selon la qualité relative de l’information de base.

Valeurs et marges

Comme on l’a mentionné précédemment, le modèle est résolu aux prix de base. Les composantes des marges sont ensuite réparties en fonction des poids des prix de base de chaque nouveau produit dans la valeur des produits publiée antérieurement à partir des tableaux d’ES équilibrés. Les estimations des prix à l’achat correspondent à la somme des composantes des prix de base et des marges.

La répartition symétrique des marges selon les poids des prix de base est raisonnable dans l’hypothèse d’une homogénéité suffisante des taux de marge dans le groupe de produits visé. Si cette hypothèse tient pour la plupart des produits répartis, certains taux de marge peuvent toutefois varier, même dans un groupe de produits semblables, de sorte qu’un réexamen sélectif des poids de répartition des marges a été nécessaire, particulièrement pour certaines marges moins homogènes, comme les marges d’impôt.

b) Ajustements pour tenir compte d’autres changements apportés aux classifications

La nouvelle classification des industries introduite pour 2009 est fondée sur le Système de classification des industries de l’Amérique du Nord (SCIAN) et ne présente donc pas de ruptures marquées par rapport au système de classification antérieur. La nouvelle classification des industries est, en règle générale, moins détaillée pour les industries productrices de biens et plus détaillée pour les industries de services, surtout dans le commerce de gros et le commerce de détail.

Pour la dimension des industries, les tableaux révisés d’ES ont été établis selon le niveau d’agrégation le plus détaillé commun à l’ancienne classification et à la nouvelle classification des industries. Il s’agit des agrégations traditionnellement désignées par la lettre « L » (link), soit le niveau commun de différentes classifications des ES. Par exemple, les deux industries distinctes « Vineries » et « Distilleries » dans l’ancienne classification sont regroupées de manière à correspondre à l’industrie « Vineries et distilleries » dans la nouvelle classification. À l’inverse, les 12 industries du commerce de gros et les 12 industries du commerce de détail dans la nouvelle classification sont combinées pour correspondre aux deux industries regroupées antérieures pour l’ensemble du commerce de gros et de détail. La nouvelle classification comporte 235 industries, alors que la structure commune des industries (L) en compte 188.

L’agrégation simple, cependant, n’est pas utilisée pour régler tous les écarts entre les deux systèmes de classification des industries. Les activités des administrations publiques autochtones, qui figuraient dans les « Autres institutions sans but lucratif » dans l’ancienne classification, sont rangées dans le secteur des administrations publiques dans la nouvelle classification. Plutôt que de créer une agrégation commune au secteur sans but lucratif et au secteur des administrations publiques, il a semblé préférable d’apporter des ajustements statistiques aux tableaux d’ES qui permettraient de produire des estimations distinctes pour les industries des institutions sans but lucratif et des administrations publiques autochtones.

Les industries de formation de capital fixe dans la demande finale suivent le principe général établi pour les industries des tableaux d’entrées-sorties. L’agrégation a été utilisée lorsqu’il était possible de créer une série chronologie commune, à l’exception des industries des administrations publiques autochtones et des institutions sans but lucratif. La nouvelle catégorie des produits de la propriété intellectuelle (PPI) couvre les services d’exploration qui se trouvaient auparavant dans la construction, les logiciels qui figuraient dans les machines et le matériel ainsi que les nouvelles estimations de la recherche et du développement.

Dans la demande finale, la nouvelle classification des dépenses de consommation finale des catégories de ménages est fondée sur la norme de classification internationale, la Classification des fonctions de la consommation individuelle (COICOP), et diffère considérablement de la classification antérieure des dépenses personnelles. Étant donné que, pour ces catégories, les estimations sont disponibles au niveau détaillé dans les comptes économiques provinciaux, ces catégories ont été adoptées telles quelles. La dimension des produits de ces catégories a été établie à la lumière de la composition publiée antérieurement et d’un réexamen des données de base axé sur les changements de définitions apportés lors de la révision complète.

c) Ajustements pour tenir compte des changements conceptuels

Trois grandes révisions conceptuelles ont une incidence importante sur les tableaux d’ES. Elles ont trait à la capitalisation des dépenses au titre de la recherche et développement (R-D), des systèmes d’armes militaires et des services d’exploration. Les deux premiers changements capitalisent des dépenses qui étaient traitées auparavant comme des dépenses de consommation intermédiaire et représentent de nouveaux concepts introduits à l’occasion de la révision complète des comptes macroéconomiques canadiens de 2012. Le troisième changement supprime le routage de la production des services d’exploration par le biais des industries de la construction non résidentielle, simplification résultant de la création d’une nouvelle catégorie de formation de capital fixe pour les produits de la propriété intellectuelle lors de la révision complète.

Ces trois grands ajustements sont estimés à partir des données de base. Les chiffres des dépenses intérieures brutes en recherche et développement (DIRD) publiés par Statistique Canada ont été utilisés pour estimer la production de R-D pour compte propre et l’achat de R-D sur le marché par les industries. En ce qui concerne les systèmes d’armes, certaines dépenses intermédiaires de l’industrie de la défense sont reclassées dans les dépenses en immobilisations sur la base des renseignements sur les actifs tirés du Système de gestion financière des statistiques publiques et des dépenses en immobilisations agrégées publiées dans les Comptes publics du Canada.

Les estimations des investissements au titre des services d’exploration établies à partir de l’Enquête sur l’extraction de pétrole et de gaz (Statistique Canada) et du Relevé des dépenses d’exploration minérale, de mise en valeur de gisements et d’aménagement de complexes miniers (Ressources naturelles Canada) sont utilisées pour déplacer les valeurs appropriées de la construction non résidentielle aux catégories des PPI dans la demande finale. Les sorties et les entrées connexes des industries du pétrole et du gaz et des autres travaux de génie sont réduites du montant correspondant.

d) Ajustements pour assurer l’harmonisation avec les agrégats des CEP

Les tableaux d’ES sont également ajustés pour correspondre aux agrégats des CEP publiés en novembre 2013. Ceux-ci comprennent pour chaque province ou territoire les agrégats du PIB en termes de revenus et de dépenses, les séries détaillées des dépenses de consommation finale des ménages et le PIB aux prix courants par industrie du SCIANNote3, une fois pris en compte les écarts attribuables à la sectorisation dans les tableaux d’ES.

Les estimations par industrie ont également été examinées à la lumière des modifications apportées aux données de base dans le cadre de la révision complète. La structure des produits des entrées et des sorties des industries a été ajustée de manière à concorder avec ces modifications et avec les nouvelles configurations introduites dans les tableaux d’ES repères de 2009 et ultérieurs.

e) Équilibrage des tableaux révisés

La séquence des étapes décrites ci-dessus introduit inévitablement un grand nombre d’incohérences dans les données. Un processus en deux étapes est utilisé pour éliminer ces incohérences. À la première étape, les écarts importants dans le cadre des ressources et des emplois ou les valeurs aberrantes dans la perspective d’une série chronologie sont examinés et ajustés au cas par cas. À la deuxième étape, les incohérences de moindre importance sont éliminées au moyen d’un algorithme d’équilibrage présenté sous forme semi-généralisée.

L’algorithme d’équilibrage produit les variations minimales requises pour supprimer tous les déséquilibres dans les tableaux au moyen de l’optimisation suivante :

min x P , x N i j k l m w i j k l m ( x P i j k l m + x N i j k l m )       ( 1 )

à condition que :

α i j k l m ( x P i j k l m x N i j k l m + a i j k l m ) = 0      ( 2 )

x P i j k l m b P i j k l m      ( 3 )

x N i j k l m b N i j k l m      ( 4 )

xPijklm et xNijklm sont les variables de décision représentant les valeurs des variations positives et négatives respectivement associées avec chaque valeur non nulle dans chaque province i, tableau d’ES j, produit k, industrie l et valeur m et pour les autres constantes établies de manière exogène, wijklm aijklm indique le poids de chaque variable,αijklm est un terme égal à +1 ou -1 servant à définir les équations d’équilibrage, bPijklm représente la borne supérieure des variations positives, et bNijklm représente la borne supérieure des variations négatives.

Par exemple, pour un produit k, l’attribution àαijklm de la valeur +1 pour les éléments de l’offre et de la valeur -1 pour les éléments de la demande générera les valeurs dexPijklm et de xNijklm requises pour éliminer les déséquilibres entre l’offre et la demande. Les valeurs de wijklm permettent d’intégrer l’information sur la fiabilité relative des différents éléments. Ainsi, les dépenses finales, dont les estimations détaillées sont jugées plus fiables, se voient attribuer une valeur plus élevée, alors que les renseignements sur la consommation intermédiaire, jugés moins fiables, se voient attribuer une valeur relativement moins élevée.

Une variante de l’équation (2) est également utilisée pour apparier les valeurs établies de manière exogène. L’équation (5) montre comment n’importe quel sous-ensemble d’éléments peut être se voir attribuer une valeur connue cn , où n représente le nombre de valeurs connexes connues dans l’ordre approprié :

α i j k l m ( x P i j k l m x N i j k l m + a i j k l m ) = 0 ( 2 )       ( 5 )

Enfin, les inégalités et les relations de proportionnalité entre les variables peuvent également être précisées. Par exemple, si m = 1 pour la valeur à l’achat et m = 2 pour l’une des valeurs de marge, les valeurs de la marge peuvent être limitées à une proportion maximale de la valeur à l’achat comme dans l’équation (6) ou à une proportion minimale de la valeur à l’achat comme dans l’équation (7) :

( u i j k l 1 ) ( x P ijkl 1 x N ijkl 1 + a ijkl 1 ) 0       ( 6 )

( l ijkl + 1 ) ( x P ijkl 1 x N ijkl 1 + a ijkl 1 ) 0       ( 7 )

uijkl représente la borne supérieure des taux de marge et lijkl représente la borne inférieure des taux de marge.

La linéarité de l’algorithme d’équilibrage présente un avantage important pour la résolution de problèmes de taille. Bien que ces algorithmes fournissent des solutions pratiques, les estimations rééquilibrées mécaniquement qui en résultent ne sont pas d’aussi bonne qualité que les estimations établies directement par les compilateurs expérimentés des comptes nationaux

Notes:

  1. Statistique Canada. 2013. « Modernisation des tableaux d’entrées-sorties ». Division des comptes de l’industrie. Statistique Canada.
  2. Vor la section e) pour plus de détails sur les modèles d’optimisation employés.
  3. Voir les tableaux 384-0037, 384-0038, 384-0041 et 379-0030 de CANSIM.