Méthodologie utilisée pour créer des indicateurs du transfert de bénéfices par les entreprises multinationales exerçant leurs activités au Canada

Introduction

Ce qui suit décrit la méthodologie utilisée dans l'article à paraitre "les indicateurs de transfert de bénéfices par les entreprises multinationales opérant au Canada" qui sera publié le 18 juin 2019. Cette méthodologie s'inspire de celle proposée par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans son rapport Action 11 pour créer un tableau de bord d'indicateurs de transfert de bénéfices.

Section 1 : Rupture entre les activités financières et les activités économiques réelles

Les écarts entre les activités financières et les activités économiques réelles dans un pays peuvent être un signe que des bénéfices ne sont pas déclarés, et donc non imposés, dans le pays où ils ont été réalisés. Les deux indicateurs présentés dans cette section s'appuient sur des données agrégées au niveau du pays et sur une liste de pays dont les taux d'imposition sont favorables aux sociétés (pays à taux d'imposition favorable).

Sources des données pour les indicateurs 1A et 1B : Les données sur les activités financières et les activités économiques réelles proviennent du Programme de la balance des paiements de Statistique Canada, en particulier les statistiques sur les investissements directs étrangers (IDE) sortants (tableau 36-10-0008-01 du Nouveau modèle de diffusion [NMD]) et les activités des sociétés affiliées à participation majoritaire canadienne à l'étranger (tableau 36-10-0470-01 du NMD). Nous avons également utilisé les données sur le produit intérieur brut (PIB) par pays de la Banque mondiale (Indicateurs du développement dans le monde).

Pour dresser la liste des pays à taux d'imposition favorable, nous avons utilisé les données sur les filiales étrangères de sociétés canadiennes recueillies par l'Agence du revenu du Canada au moyen du formulaire T1134, Déclaration de renseignements sur les sociétés étrangères affiliées contrôlées et non contrôlées.

Indicateur 1A des pratiques de BEPS : Disparités entre les stocks d'IDE sortants des entreprises canadiennes et le PIB des pays de destination dans les pays à taux d'imposition favorable

L'indicateur 1A vise à vérifier si une proportion importante des IDE sortants des entreprises canadiennes est motivée par une volonté de ces entreprises de réduire leurs impôts. Il compare les stocks d'IDE sortants des entreprises canadiennes en 2016 au PIB des pays de destination des investissements dans les pays à taux d'imposition favorable et dans ceux dont les taux d'imposition ne sont pas favorables aux sociétés.

Méthodologie : Pour déterminer les pays à taux d'imposition favorable, les auteurs des études sur le phénomène BEPS s'appuient souvent sur les taux effectifs d'imposition (TEI), puisqu'il s'agit d'une mesure du montant d'impôt réellement payé pour chaque dollar de revenuNote de bas de page 1. Pour établir la liste des pays à taux d'imposition favorable, nous avons utilisé les données des déclarations T1134 de 2011 à 2016 pour calculer le TEI (impôts divisés par les bénéficesNote de bas de page 2) pour chaque filiale étrangère. Nous avons pondéré ces TEI en fonction des actifs de la filiale afin de calculer le TEI moyen pour chaque pays au cours de cette période. Nous avons classé les pays par TEI et considéré comme des pays à taux d'imposition favorable ceux dont les TEI allaient des taux les plus bas aux taux équivalant à 20 % du total des actifs détenus par les filiales étrangères.

Nous avons également considéré comme des pays à taux d'imposition favorable ceux dont les TEI étaient légèrement supérieurs à 20 % ou entre 20 % et 25 % du total des actifs des sociétés si ces pays figuraient sur la liste de pays établie par le Government Accountability Office des États-Unis (2008) pour étudier l'évasion fiscale, laquelle est fréquemment citéeNote de bas de page 3Note de bas de page 4.

Nous avons recueilli des données sur les dix pays détenant les stocks d'IDE sortants d'entreprises canadiennes les plus importants dans le cadre du programme de statistiques sur les IDE de Statistique Canada, et nous avons obtenu le PIB de chacun de ces pays à partir du tableau « Indicateurs du développement dans le monde » de la Banque mondiale.

Nous avons regroupé les pays selon qu'ils avaient des taux d'imposition favorables ou non, et nous avons calculé les IDE et le PIB pour chaque groupe. Nous avons présenté les chiffres obtenus pour chaque groupe en proportion du total.

Indicateur 1B des pratiques de BEPS : Disparités au chapitre des actifs, de l'emploi et des ventes dans les pays à taux d'imposition favorable

Cet indicateur examine les écarts au chapitre des actifs, de l'emploi et des ventes des filiales étrangères des EM exerçant des activités au Canada qui peuvent être associés à la volonté des EM de réduire leurs impôts. Il compare les ratios des employés et des ventes aux actifs des filiales exerçant des activités dans des pays à taux d'imposition favorable à ceux des filiales exerçant des activités dans des pays dont les taux d'imposition ne leur sont pas favorables.

Méthodologie : Nous avons recueilli des données sur le total des actifs, l'emploi et les ventes des filiales d'entreprises canadiennes dans les dix pays où ces filiales détenaient le plus d'actifs selon les données du programme de statistiques sur l'activité à l'étranger des sociétés affiliées à participation majoritaire canadienne de Statistique Canada.

Nous avons sélectionné ces pays au moyen de la liste des pays à taux d'imposition favorable issue de l'indicateur 1A. Nous avons calculé des moyennes de l'emploi et des ventes par milliard de dollars d'actifs.

Section 2 : Écarts de taux de profit entre les EM

Lorsque, au sein d'un groupe, certaines filiales d'EM bénéficient de taux d'imposition peu élevés et sont très rentables par rapport à l'ensemble des filiales du groupe, cela peut donner à penser qu'il y a eu transfert d'une partie des bénéfices du groupe pour réduire le montant des impôts à payer. Les deux indicateurs de cette section sont tirés du rapport Action 11 du Plan d'action BEPS de l'OCDE et sont fondés sur les données sur les EM exerçant des activités au Canada et leurs filiales à l'étranger.

Sources des données pour les indicateurs 2A et 2B : Nous avons utilisé les données financières sur les filiales étrangères tirées du formulaire T1134, Déclaration de renseignements sur les sociétés étrangères affiliées contrôlées et non contrôlées. Les variables que nous avons utilisées étaient l'actif, les bénéfices et l'impôt, et les données étaient disponibles pour 2011 à 2016Note de bas de page 5.

Les données financières sur les entreprises résidentes canadiennes qui remplissent la déclaration T1134 proviennent des déclarations T2, Déclaration de revenus des sociétés produites auprès de l'Agence du revenu du Canada. Les variables que nous avons utilisées étaient l'actif, les bénéfices et l'impôt pour les mêmes années où nous disposions de données pour le formulaire T1134Note de bas de page 6.

La combinaison de ces sources de données nous a permis de nous faire une idée de la situation financière des EM au Canada et à l'étranger. L'une des limites dans les données était que les données financières sur les sociétés mères étrangères de la société déclarante canadienne et d'autres filiales de ces sociétés mères étrangères n'étaient pas disponiblesNote de bas de page 7.

Indicateur 2A des pratiques de BEPS : Taux de profit élevés des filiales d'EM bénéficiant de faible taux d'imposition

L'indicateur 2A nous permet de comparer les bénéfices réalisés par les filiales d'EM au sein d'un groupe en comparant leur taux de profit et leur TEI à ceux de l'ensemble de leur groupe. Le fait qu'une proportion élevée des bénéfices totaux soit réalisée par les filiales affichant des taux de profit plus élevés et des TEI plus faibles que ceux de l'ensemble de leur groupe est un signe de BEPS. Cette répartition des bénéfices donne à penser que les EM pourraient avoir « transféré » stratégiquement des bénéfices pour réduire leurs impôts.

Méthodologie : La méthodologie qui sous-tend cet indicateur est une adaptation de la méthodologie relative à l'indicateur 2 du rapport Action 11 du Plan d'action BEPSde l'OCDE.Dans son étude, l'OCDE a utilisé les données des états financiers consolidés et non consolidés des multinationales et s'est concentrée sur les 250 multinationales en importance au monde (OCDE, 2015).

Selon cette méthodologie, nous avons calculé le taux de profit (bénéfices divisés par l'actif) et le TEI de chaque filiale, et nous éliminé du groupe les filiales ayant des taux d'imposition et des bénéfices négatifs.

Ensuite, nous avons calculé la rentabilité et le TEI de chacun des groupes d'EM dans leur ensemble et avons comparé le ratio de chaque filiale à celui de son groupeNote de bas de page 8. À partir de ces résultats, nous avons classé les filiales dans les groupes (ou quadrants) suivants :

Quadrant 1 : TEI supérieur et rentabilité supérieure

Quadrant 2 : TEI inférieur et rentabilité supérieure

Quadrant 3 : TEI inférieur et rentabilité inférieure

Quadrant 4 : TEI supérieur et rentabilité inférieure

Nous avons ensuite additionné les bénéfices réalisés par les filiales dans chaque quadrant et répété l'exercice pour chacune des années de 2011 à 2016. Comme les résultats étaient variables d'une année à l'autre, nous avons choisi de les présenter sous forme agrégée pour l'ensemble de la périodeNote de bas de page 9Note de bas de page 10.

Indicateur 2B des pratiques de BEPS : Taux de profit élevés des filiales d'EM situées dans des pays à faible taux d'imposition

L'indicateur 2B nous permet de comparer les taux de profit des filiales au sein d'un groupe d'EM dans les pays à faible taux d'imposition au taux de profit de l'ensemble du groupe en calculant les taux de profit relatifs pour chaque EM et en les combinant pour créer une moyenne. Si l'indicateur est supérieur à 1, cela signifie que les bénéfices sont plus élevés dans les pays à faible taux d'imposition que dans les pays à taux d'imposition élevé, et donc que les EM pourraient avoir transféré des bénéfices de sorte à réduire leurs impôts.

Méthodologie : La méthodologie qui sous-tend cet indicateur est une adaptation de la méthodologie relative à l'indicateur 3 du rapport Action 11 du Plan d'action BEPS de l'OCDE.

Suivant cette méthodologie, nous avons additionné les actifs et les bénéfices des filiales, de même que les impôts payés par celles-ci, de sorte à obtenir des totaux par pays pour chaque groupe d'EM. Nous avons calculé le TEI par pays pour chaque groupe d'EM en divisant l'impôt total payé par le total des bénéfices. Nous avons ensuite classé les pays selon leur TEI pour chaque groupe d'EM, et nous avons considéré comme des pays « à faible taux d'imposition » ceux dont les TEI allaient des taux les plus bas aux taux équivalant à 20 % des actifs de chaque groupe d'EMNote de bas de page 11.

De même, nous avons calculé le taux de profit par pays pour chaque groupe d'EM en divisant le total des bénéfices par le total des actifs. Nous avons pondéré les taux de profit de chaque filiale située dans un pays « à faible taux d'imposition » en fonction du total des actifs dans ce pays et les avons combinés en un taux de profit moyen pour chaque filiale « à faible taux d'imposition » des groupes d'EM.

Nous avons ensuite additionné les actifs et les bénéfices des filiales de sorte à obtenir des totaux pour chaque groupe d'EM, et nous avons calculé le taux de profit global pour chaque groupe d'EM en divisant le total des bénéfices par le total des actifs. Pour obtenir des taux de profit relatifs pour chaque groupe d'EM, nous avons divisé le taux de profit du groupe dans les pays à faible taux d'imposition où le groupe avait des filiales par le taux de profit de l'ensemble du groupe.

Enfin, nous avons pondéré chaque taux de profit relatif en fonction des actifs des EM et les avons combinés pour obtenir un taux de profit relatif moyen globalNote de bas de page 12. Nous avons répété l'exercice pour chaque année de 2011 à 2016. Comme pour l'indicateur 2A, les résultats étaient variables d'une année à l'autre et nous avons choisi de les présenter pour l'ensemble de la périodeNote de bas de page 13.

Nous avons également calculé un taux de profit relatif moyen global pondéré pour la tranche supérieure de 25 % des groupes d'EM au chapitre de la rentabilité relative.

Section 3 : Écarts de TEI entre les EM et les entreprises « comparables » qui ne sont pas des multinationales

Indicateur 3 des pratiques de BEPS : TEI des EM par rapport aux entités ayant des caractéristiques semblables qui ne sont pas des multinationales

Contrairement aux autres indicateurs des pratiques de BEPS qui mettent l'accent sur les activités permettant aux EM de réduire leurs bénéfices nets dans les pays où les taux d'imposition sont élevés, l'indicateur 3 vise à vérifier si les EM tirent parti de leur capacité de transférer des bénéfices vers d'autres pays de sorte à réduire leur taux d'imposition. Le fait que certaines EM ont des TEI inférieurs à d'autres peut également être attribuable à des comportements non liés au phénomène BEPS, comme la décision de mener d'importantes activités de sorte à bénéficier de certains traitements fiscaux préférentiels (comme des subventions fiscales pour la recherche et développement ou des crédits d'impôt à l'investissement).

L'indicateur compare les TEI de deux types d'EM exerçant des activités au Canada avec les TEI d'entreprises comparables qui n'ont pas de filiales ou de sociétés mères à l'étranger.

Sources de données : Nous avons utilisé les états financiers consolidés des entreprises exerçant des activités au Canada recueillis par le truchement du Programme de statistiques financières et fiscales annuelles, et plus précisément les variables financières, soit le total des actifs, des bénéfices nets avant impôt et de l'impôt fédéral à payer de 2011 à 2016. Ces données sont regroupées au niveau de l'entreprise et couvrent les activités « comptabilisées au Canada ».

Nous avons également utilisé un nouvel « indicateur » pour identifier les EMNote de bas de page 14, lequel a été élaboré en collaboration avec la Division du commerce et des comptes internationaux de Statistique Canada. Cet indicateur s'appuie sur les données fiscales pour recenser les EM qui ont des filiales à l'étranger et sur les données recueillies en vertu de la Loi sur les déclarations des personnes morales pour recenser les entreprises qui ont des sociétés mères à l'étranger.

Méthodologie : La méthodologie qui sous-tend cet indicateur est une adaptation de la méthodologie relative à l'indicateur 4 du rapport Action 11 du Plan d'action BEPS de l'OCDE.Dans son étude, l'OCDE a utilisé des données provenant des états financiers non consolidés d'entreprises multinationales et non multinationales à l'échelle mondiale (OCDE, 2015).

Pour reproduire cet indicateur pour le Canada, nous avons préparé les données aux fins d'analyse en attribuant aux entreprises ayant un actif total de plus de 25 millions de dollarsNote de bas de page 15 le qualificatif de « grandes entreprises ». Selon la méthodologie de l'OCDE, nous avons éliminé toutes les entreprises ayant un actif total, des bénéfices nets et des impôts négatifs.

Nous avons calculé le TEINote de bas de page 16 et le taux de profit pour chaque entreprise et avons classé les entreprises en six groupes selon leurs caractéristiques, selon qu'il s'agit d'entreprises qui ne sont pas des multinationales ou qui n'ont pas de filiales à l'étranger (grandes et petites), ou de deux types d'EM, à savoir les entreprises sous contrôle canadien ayant une ou plusieurs filiales étrangères (grandes et petites) et les entreprises sous contrôle étranger (grandes et petites). Pour vérifier si les différences entre ces six groupes étaient statistiquement significatives, nous avons exécuté une régression afin de tenir compte de l'industrie et de la rentabilitéNote de bas de page 17.

Nous présentons nos constatations comme étant les écarts de TEI entre les EM et les entreprises comparables qui ne sont pas des multinationales pour 2016, parce que les résultats ont été stables d'une année à l'autre.