Hé-coutez bien! Épisode 14 - Ça c'est mon genre : un recensement qui ne mégenre pas - Transcription
[Extrait de Molly’s Tuxedo]
Annik : Bienvenue à Hé-coutez bien!, un balado de Statistique Canada où nous faisons connaissance avec les personnes derrière les données et découvrons les histoires qu’elles révèlent. Je suis votre animatrice, Annik Lepage, et je chuchote parce que c’est l’heure du conte drag. Chut!
[Extrait de Molly’s Tuxedo]
Vous venez d’entendre une partie du livre Molly’s Tuxedo, de Vicki Johnson, dans lequel Molly doit décider si elle doit porter la robe que sa mère a choisie pour sa journée photo d’école ou le tuxedo qu’elle veut vraiment porter. C’est un livre qui explore le genre d’une manière adaptée aux enfants. Vous entendrez peut-être Molly’s Tuxedo lu à l’heure du conte, et si vous êtes dans la région d’Ottawa, vous l’entendrez peut-être lu par Cyril Cinder.
Cyril : Je suis Cyril Cinder et je suis un artiste de drag et drag king établi à Ottawa, qui se produit depuis 2014.
Annik : Qu’est-ce qu’un drag king?
Cyril : Les drag kings sont des artistes de drag qui incarnent et mettent en scène des personnages masculins dans leurs spectacles. Il peut s’agir de parodies, d’explorations ou d’expansions des normes masculines, ou d’autres types de performances. Les drag kings peuvent être suaves, ils peuvent être comiques, ils peuvent être caricaturaux, extravagants et plus grands que nature. Les drag kings peuvent être absolument n’importe qui et n’importe quoi.
Annik : D’où vient le nom de Cyril Cinder?
Cyril : C’est moi qui me suis donné mon nom drag. Ce n’est pas toujours le cas. Parfois, on vous donne votre nom, mais sur la scène canadienne, nous choisissons habituellement nos propres noms, et je voulais un nom qui évoquait l’alter ego d’un super vilain du cinéma.
En plus, l’allitération sonne cool. J’y suis donc allé avec Cyril Cinder.
Annik : Je l’adore. Quel genre de représentations donnez-vous?
Cyril : J’ai tendance à m’inspirer de la grande tradition de la drag, qui est le spectacle de « lip-sync ». Je donne des spectacles dans des bars et différents autres endroits, des salles de musique. Je suis également un artiste de l’heure du conte, alors je divertis des enfants, des familles et des publics de tous les âges en leur faisant la lecture. Je suis également conférencier et je me rends à des conférences pour parler de ce que je fais en tant que drag king, de la recrudescence des attaques contre la communauté 2ELGBTQIA+ au Canada et de la façon dont ces attaques ont tendance à cibler les artistes de drag. Je parle aussi de la santé mentale parce que je travaille également comme psychothérapeute agréé.
Annik : Pourquoi l’heure du conte drag est-il important pour vous?
Cyril : L’heure du conte drag représente plusieurs choses importantes pour moi. Tout d’abord, c’est une initiative en faveur de l’alphabétisation. Chaque fois que nous faisons quelque chose pour rendre la lecture un peu plus amusante, nous encourageons les enfants à s’intéresser davantage à la lecture et à aimer les livres, et l’alphabétisation est un fondement essentiel de notre société. Aussi, il s’agit d’une initiative de lutte contre l’intimidation, n’est-ce pas? Que ce soit la première fois ou non que nous exposions les enfants à un modèle queer positif, ou à quelqu’un un peu moins conforme du point de vue du genre ou qui ne correspond pas tout à fait aux archétypes ou à la binarité de genre auxquels ils sont souvent exposés à la maison, à l’école et dans les médias, c’est une occasion pour eux de voir que ce n’est pas si étrange que ça, que c’est correct, qu’il n’y a rien de trop bizarre à être fabuleux, étincelant et amusant. Et si nous pouvons présenter aux enfants des modèles positifs de différentes formes de diversité à un jeune âge, à mesure qu’ils vieillissent, cela devient de moins en moins un axe de différence pour eux, quelque chose qu’ils peuvent isoler ou choisir au sujet de leurs pairs et dire « Oh, tu n’es pas comme moi de cette façon ». Cela devient quelque chose qu’ils peuvent dire : « Oh oui, il y a des gens comme ceci. C’est normal. C’est correct. »
Annik : Vous avez parlé de binarité et d’archétypes pour les petits garçons et les petites filles. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Qu’est-ce que la binarité de genre et pourquoi est-ce un problème?
Cyril : La binarité de genre est cette idée qu’il n’y a que deux genres. Le genre est distinct du sexe. Le sexe est un ensemble de caractéristiques biologiques. Le sexe n’est pas non plus une binarité réelle entre sexe masculin et sexe féminin, et cette non-binarité du sexe, nous ne la voyons pas uniquement dans l’espèce humaine : elle est aussi présente chez plusieurs autres espèces. Il existe donc beaucoup, beaucoup d’expressions biologiques différentes qui ne cadrent pas à l’archétype rigide sexe masculin-sexe féminin.
Le genre est différent du sexe. Le genre est une expérience de son genre, de son rôle et de son identité au sein de la société : le concept d’être masculin, féminin, androgyne. L’idée de plutôt être de sexe masculin ou de sexe féminin, être homme ou femme. Et bien que les archétypes et les rôles binaires des hommes et des femmes ne saisissent pas toute l’étendue de l’expérience du sexe, la binarité de la femme et de l’homme ne saisit pas non plus toute l’étendue de l’expérience que les humains peuvent avoir de leur genre et de leur identité de genre.
La binarité de genre peut être utilisée pour contrôler les personnes. On peut s’en servir pour forcer les gens à faire des choses qu’ils ne veulent pas pour eux-mêmes. Les attentes à l’égard des hommes sont très fortes, comme sur le genre d’émotions qu’ils sont autorisés à montrer, le genre de carrière qu’ils sont autorisés à poursuivre, la manière dont ils sont censés se sentir à propos des soins, du sexe, de l’autorité ou de n’importe quoi d’autre. Et ces attentes sont tout aussi dommageables pour les personnes de tous les genres. Vous savez, les femmes se font dire de ne pas être trop autoritaires, qu’elles sont trop émotives, qu’on ne peut pas leur faire confiance pour prendre des décisions ou être dans des positions de leadership, non? Ce genre de boîtes dans lesquelles on force les gens. Et les personnes qui n’ont pas l’impression de s’intégrer dans l’une ou l’autre des options de binarité de genre, sexe masculin ou sexe féminin, des gens qui font partie du très vaste spectre non binaire, méritent vraiment que leur expérience du genre soit comprise, respectée et validée.
Annik : Quels sont vos pronoms préférés?
Cyril : Je m’identifie en fait comme non binaire à l’extérieur de la scène drag, mais mon personnage drag, Cyril Cinder, est un homme dont l’identité de genre est celui de ce personnage. Donc, quand je suis en drag, j’utilise exclusivement les pronoms « il/lui », mais quand je ne suis pas en drag, j’utilise les pronoms « elle/il/iel ». En fait, je me sens à l’aise avec tous les pronoms. Mais chaque fois que je fais référence à Cyril Cinder, le personnage drag, je préfère toujours utiliser « il/lui ».
Annik : Est-ce difficile de vivre comme une personne non binaire?
Cyril : Ça peut l’être. Je pense que je n’éprouve pas certaines des difficultés que d’autres personnes non binaires comme moi pourraient éprouver à cause de ma flexibilité avec les pronoms. Je suis à l’aise si quelqu’un me désigne comme « elle » parce qu’on m’a assigné le sexe féminin à la naissance et que, vous savez, quand je ne suis pas en drag, je me présente de manière quelque peu féminine, alors quand quelqu’un me regarde, il se dit « Ah, une femme ». Ce n’est pas correct, mais ce n’est pas non plus la pire chose au monde pour moi.
En même temps, il y a d’autres personnes pour qui ce serait troublant, bouleversant et invalidant. Je pense qu’elles doivent composer avec de plus grandes difficultés. Une personne qui utilise exclusivement le pronom « iel » et qui doit peut-être corriger sans cesse les gens qui ne respectent pas son pronom ou qui refusent ouvertement de l’utiliser en raison d’une croyance qu’ils ont et d’un désir d’invalider cette personne.
Et c’est vraiment difficile parce que vous évoluez dans le monde où vous essayez de dire aux gens qui vous êtes. Nous avons ce désir humain inné d’être vus par les personnes qui nous entourent. Nous sommes un animal social. Nous vivons dans une société. Nous ne nous débrouillons pas bien seuls. Nous ne sommes pas faits pour cela. Donc, quand on essaie de dire à quelqu’un « Hé, c’est qui je suis » et qu’il dit « Non, ce n’est pas qui tu es. Je te connais mieux que toi, et en fait, ce que tu fais, c’est vraiment un problème. C’est vraiment dangereux. En fait, c’est vraiment mauvais et tu devrais en avoir honte », c’est une expérience que personne ne veut vivre lorsqu’on essaie de commander un café ou de parler à son patron ou de simplement vaquer à ses occupations quotidiennes.
Annik : Vous êtes un drag king. Vous êtes un artiste. La drag, c’est un spectacle, absolument, mais en quoi le genre est-il aussi un spectacle?
Cyril : Le genre est un spectacle. C’est quelque chose que nous mettons en scène, que nous soyons vêtus d’une robe, d’un costume trois-pièces ou des deux à la fois.
Nous avons une identité de genre et nous avons une expression de genre. Ce sont deux choses différentes. La manière dont une personne s’identifie à un genre peut être différente de la manière dont elle l’exprime. Je suis non binaire. Et c’est donc mon identité de genre, mais j’ai une expression de genre très féminin. Je peux également présenter une expression de genre très masculin. C’est assez fluide pour moi. Cela varie beaucoup. Ce n’est peut-être pas tout le monde qui a la même expérience, mais c’est important de pouvoir exprimer ces différentes facettes, car nous ne faisons qu’enrichir notre compréhension de l’expérience humaine.
Annik : L’expérience humaine et la diversité de cette expérience sont certainement riches en couleur. L’identité de genre, en particulier, est fascinante, mais ce n’est pas quelque chose que nous, à Statistique Canada, avons mesuré… jusqu’à maintenant!
Annik : Pourquoi le Recensement de 2021 a-t-il été si important?
Laurent : Oui, alors le Recensement de 2021 a été en fait le premier recensement canadien à inclure une question sur le genre des personnes.
Annik : Il s’agit, bien sûr, de notre expert en recensement à StatCan.
Annik : Pourriez-vous vous présenter avec votre nom et votre fonction?
Laurent : Oui, alors mon nom est Laurent Martel, et je suis le directeur du Centre de démographie ici, à Statistique Canada.
Annik : Comment les gens peuvent-ils s’identifier maintenant?
Laurent : Il y a deux questions : donc on garde le sexe maintenant, qui est précisé « sexe à la naissance ». Les personnes ont deux choix de réponse au sexe à la naissance : masculin et féminin. Et il y a une deuxième question maintenant, une nouvelle question sur le genre, qui comporte en fait trois catégories : donc « homme », « femme » ou « veuillez préciser ». Donc, on invite les gens qui ne sont pas capables de s’identifier soit à la catégorie « homme » ou à la catégorie « femme » de nous écrire à la main la catégorie à laquelle ils veulent s’identifier.
Annik : Pourquoi avons-nous choisi de donner l’option de permettre aux gens d’inscrire l’identité de genre qu’ils préféraient plutôt que de tout simplement cocher une case?
Laurent : Il aurait été en fait difficile pour Statistique Canada d'introduire d’autres catégories de réponses à la question sur le genre. Je vous rappelle que, dans l’état actuel de la question, on donne trois choix de réponses : donc « homme », « femme » ou « veuillez préciser ». Et là, les gens qui ne se déclarent ni « homme » ni « femme » doivent écrire en fait à la main la catégorie de genre à laquelle ils s’identifient. Les catégories « transgenre » et « non binaire », et surtout « non binaire » en fait, évoluent à tous les jours. Certaines catégories disparaissent, certaines émergent.
Annik : Le fait d’offrir un champ à remplir a permis aux répondants de se décrire comme ils l’entendaient. Et c’est ce qu’ils ont fait. Statistique Canada utilise le terme « non binaire » comme terme général, mais ce n’est pas ainsi que tout le monde se décrit. Près du tiers des personnes faisant partie de ce groupe non binaire aux teintes de l’arc-en-ciel ont fourni une description différente de leur genre : androgyne, bigenre, intergenre, pangenre, polygenre, queer et bispirituel. Il s’agit de termes fournis par les répondants au recensement, mais il ne s’agit certainement pas de tous les termes.
Annik : Selon vous, Laurent, quelle est l’importance pour les Canadiens de se sentir vus, entendus, représentés dans le recensement?
Laurent : C’est très important. En fait, le recensement canadien fait partie de l’identité canadienne. C’est pour cette raison que lorsqu’on a constaté qu’un nombre croissant de Canadiens n'étaient plus capables de s’identifier à la question sur le sexe au Recensement de 2016 par exemple, cela a alimenté les réflexions en prévision du Recensement de 2021. Donc, c’est un élément très important des recensements. Le succès d'un recensement est lié notamment au fait que les Canadiens puissent s’identifier dans leur recensement et puissent continuer à en voir la pertinence.
Annik : Pourquoi maintenant ou plutôt pourquoi en 2021? Qu’est-ce qui a changé par rapport à 2011 ou même 2016, lors des deux derniers recensements?
Laurent : Oui, la société canadienne, comme beaucoup de sociétés dans le monde, évolue. La population est aujourd’hui plus sensible à des questions d’identité de genre, d'expression de genre. Statistique Canada était vraiment préoccupé par le fait qu’un certain nombre de Canadiens nous déclaraient ne pas être capables de s’identifier au recensement. C’était un réel problème. Évidemment, il faut que les questions du recensement puissent correspondre à la réalité des gens. C'est une question de pertinence du recensement. Donc, la société a évolué beaucoup au cours des 10, 15 dernières années à cet égard. Donc, c’est pour cela que Statistique Canada trouvait important d'introduire cette nouvelle question sur le genre au recensement.
Annik : Et puis combien de temps tout cela a pris?
Laurent : Statistique Canada a mis environ cinq ans à bien développer la question qui a été introduite au Recensement de 2021. Il faut voir que le recensement suit un processus rigoureux, d’abord, de consultations, ensuite d’élaboration de questions. Il faut tester ces questions. Il faudra se rappeler que le recensement vise à énumérer 100 % de la population canadienne. Il faut que les questions soient très bien comprises par l’ensemble de la population canadienne. Alors, Statistique Canada mène plusieurs tests en fait avant chaque recensement pour s’assurer que les nouvelles questions sont bien comprises de la population.
Annik : Quels ont été les défis à relever lors de la mise en place de ce projet?
Laurent : La mesure du genre a été un défi de taille importante pour Statistique Canada étant donné que c'est une petite population. Il s'agit peut-être de l’une des plus petites populations jamais dénombrées avec un recensement. Il a fallu réfléchir à l’approche qu’on allait adopter pour mesurer le genre. Donc, il y avait une sensibilité aussi à tenir compte, étant donné le caractère obligatoire du recensement canadien, dans l'introduction de cette question-là.
Enfin, préserver la comparabilité historique était très important. Évidemment, les recensements existent depuis fort longtemps au Canada, avant même la Confédération canadienne. Donc, beaucoup d’utilisateurs de données du recensement comptent sur cette comparabilité dans le temps des différentes variables. C’est pour cette raison-là notamment que Statistique Canada n’a pas souhaité remplacer la question du sexe par une question de genre, mais bien préserver, ajouter simplement une question, donc on a décidé de garder la question sur le sexe, en précisant toutefois qu’il s’agit du sexe à la naissance à partir de 2021, ça nous permettait justement de préserver cette comparabilité historique.
Annik : Après tout ça, qu’avons-nous appris? Que disent les statistiques sur le genre?
Laurent : On a dénombré un peu plus de 100 000 personnes transgenres et non binaires au Canada. Ça a été un résultat intéressant. Ce qu’on s’est rendu compte également, c’est que ces personnes transgenres et non binaires sont davantage concentrées dans les grands centres urbains du Canada. Elles sont également plus jeunes en moyenne que la population. On a des proportions de personnes transgenres et non binaires vraiment plus élevées dans le groupe d’âge des 20 à 24 ans en comparaison avec les personnes âgées de 55 ans et plus. Donc, c’est une population plus jeune, plus urbaine également. En fait, c’est aussi une population qui vit moins en couple que les personnes qui ont déclaré une identité de genre ou une expression de genre « homme » ou « femme ».
Donc, les personnes transgenres, les personnes non binaires sont retrouvées plus fréquemment à l'extérieur des couples que les autres personnes. Il y a un certain nombre de caractéristiques comme ça qui émergent, et actuellement Statistique Canada conduit des analyses supplémentaires permettant de décrire à l’aide du recensement les caractéristiques socioéconomiques des personnes transgenres et non binaires.
Ces études vont être bientôt disponibles, donc par exemple, sont-elles dans les catégories de revenus supérieurs? Ont-elles des niveaux d'éducation plus importants? Sont-elles davantage des immigrants ou des immigrantes? À quelle origine ethnique se déclare-t-elle le plus souvent? Ce sont des éléments qu'on va ajouter au cours des prochains mois dans notre compréhension des populations transgenres et non binaires qui vivent au Canada.
Cyril: C’est tellement important, à mon avis. Je veux dire, d’autres ordres de gouvernement reconnaissent l’existence des personnes transgenres et non binaires, n’est-ce pas? On nous offre différentes options de marqueurs de genre sur nos pièces d’identité, et normalement, quand nous nous rendons au cabinet du médecin ou remplissons tout autre formulaire démographique, nous avons aussi l’option d’indiquer notre identité de genre. Alors, quand nous parlons de quelque chose d’aussi grande envergure que le recensement, sur lequel repose un grand nombre de décisions prises aux divers ordres de gouvernement, par exemple pour le financement (Qui reçoit quoi? Combien doit être alloué à quelles collectivités?), il est important d’avoir une mesure précise de ces collectivités. Vous savez, le Canada est le premier pays à inclure ceci dans son recensement, mais cela fait plus d’une décennie que les gens demandent de pouvoir accéder à cette information.
Le simple fait de poser la question montre que le gouvernement se soucie des Canadiennes et Canadiens transgenres et non binaires, que nos expériences sont importantes et que nous faisons partie de la société canadienne.
Annik : À votre avis, maintenant que nous avons ces données sur les personnes transgenres, que devrions-nous en faire? Quelle est la meilleure façon de les utiliser? Et quels sont vos espoirs pour les prochaines étapes?
Cyril : Je pense que parmi les choses importantes, il y a d’être en mesure d’utiliser les renseignements à propos, par exemple, des endroits où des ressources sont nécessaires. Je regardais les données et il y a des choses comme le fait que la grande majorité des personnes non binaires vivent dans six centres urbains au Canada. Savoir ceci est d’une importance majeure, tout comme le fait de savoir combien il y a de personnes transgenres et non binaires vieillissantes au Canada. De quels types de services pourraient-elles avoir besoin au sein du système de soins destiné aux personnes âgées, qui est déjà aux prises avec de nombreuses difficultés? Et aussi, quelles sont les particularités de leurs besoins? Où sont les personnes transgenres non binaires? Où ces services doivent-ils aller? Qu’est-ce qui peut servir efficacement ces communautés? Comment pouvons-nous soutenir ces personnes qui, nous le savons, sont plus susceptibles de souffrir de problèmes de santé mentale? Et d’autres recherches montrent aussi que nous sommes plus susceptibles de vivre dans la pauvreté, plus susceptibles de subir d’autres axes d’oppression systémique et autres choses de ce genre. Rendre l’information accessible au public est aussi très utile, car ça nous permet de l’utiliser pour des activités de défense des droits, et aussi, peut-être, de mettre en contexte la quantité de vitriol qui cible la communauté trans non binaire, et combien peu nombreux nous sommes, en fait. Nous sommes une petite communauté. Si nous regardons les données, nous sommes environ une centaine de milliers au pays, il est important de savoir comment apporter son soutien.
Annik : C’est pourquoi le recensement est si important. StatCan ne se contente pas de recueillir les données. Nos experts les analysent également, et Cyril n’est pas le seul à avoir hâte d’obtenir plus d’information.
Annik : Maintenant que nous disposons de ces informations, quelle est la prochaine étape? Qu’en faisons-nous? Et comment sont-elles utilisées et par qui?
Laurent : En fait, les données sur les populations transgenres et non binaires vont être très utiles, notamment au gouvernement du Canada. Il y a un secrétariat qui s’occupe de ces communautés qui ont besoin de données probantes, de données nationales sur la distribution géographique de ces personnes, où vivent elles, afin d’élaborer des programmes et des services qui répondent aux enjeux vécus par ces communautés. Il y a d’ailleurs, en 2022, le premier plan d’action qui a été dévoilé par le secrétariat pour justement mettre en place des programmes et des services venant en aide à ces communautés. Il y a beaucoup également de chercheurs universitaires, de groupes de recherche à travers le Canada qui vont utiliser les données du recensement pour mieux comprendre les caractéristiques socioéconomiques des communautés transgenres et non binaires dans certaines régions du pays. Par exemple, en couplant les données entre le fait d'être un Autochtone et le fait d'être une personne transgenre et non binaire, on sait que les peuples autochtones ont une propension plus grande à se déclarer, par exemple de communauté deux esprits. Il est probable que les données du recensement puissent nous permettre de mieux comprendre combien sont-ils, où vivent ils principalement, et donc de répondre à leurs besoins en élaborant des programmes.
Annik : Quelle est la prochaine étape pour le genre et le recensement? Y a-t-il des changements pour les prochains recensements?
Laurent : Statistique Canada est actuellement en train de conduire des tests en prévision du Recensement de 2026. À ce stade-ci, le contenu du Recensement de 2026 n’est pas encore confirmé, mais il est probable que la question sur le genre demeure, et que celle sur le sexe à la naissance aussi soit toujours au Recensement de 2026. Ceci étant dit, pour enrichir les données, il est possible que pour le Recensement de 2026, une troisième question supplémentaire sur l’orientation sexuelle soit introduite, étant donné les besoins de données sur les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles ou pansexuelles au Canada.
Annik : À quelle fréquence le recensement change-t-il? Et pourquoi change-t-il?
Laurent : Le recensement canadien est en constante évolution, mais le recensement à tous les cycles, évolue. À tous les cycles, il peut y avoir des questions qui sont abandonnées d’ailleurs. Il faut voir qu’au début des années 1930, on pouvait demander aux Canadiens combien de radios ils avaient à la maison, ce qui n’est plus tellement pertinent aujourd’hui. Donc, il y a des questions qui sont abandonnées. Il y en a d’autres qui sont introduites, comme le genre en 2021. Le recensement évolue toujours, de façon permanente. En fait, Statistique Canada, actuellement, en 2023, travaille évidemment au Recensement de 2026, mais continue également de travailler sur le Recensement de 2031. Donc, c’est un processus qui est vraiment en continu.
Annik : L’avenir semble-t-il prometteur pour les enfants transgenres et au genre non conforme au Canada? Quelles possibilités et quelles difficultés prévoyez-vous?
Cyril : Je pense que l’avenir est prometteur pour les jeunes transgenres, non binaires ou non conformes au Canada. Je pense qu’il y a quelque chose de vraiment merveilleux qui nous attend, mais le chemin qui y mène est semé de nombreux obstacles. Nous avons réalisé des progrès incroyables au cours des dernières décennies en tant que communauté, mais certaines personnes y réagissent de manière extrême et aimeraient nous arracher ce que nous avons accompli. Nous ne pouvons pas devenir complaisants. Vous savez, nous ne pouvons pas nous donner une tape sur le dos et dire « bon travail, le combat est terminé, nous avons réussi », puis ignorer ce qui se passe réellement sur le terrain parce que, si nous faisons cela, nous allons perdre cet avenir prometteur.
Nous répéterons l’histoire. Et quand l’histoire se répète, des vies sont perdues. Des gens meurent dans les circonstances dans lesquelles nous vivons depuis des siècles. Et pour moi, ce n’est pas une façon acceptable d’évoluer. Il est inacceptable de perdre nos frères et sœurs non binaires et au genre non conforme dans cette lutte.
Les enfants queers et trans devraient devenir des adultes queers et trans. Et cela ne devrait faire l’objet d’aucun débat. Nous devons être fermes là-dedans et ne pas tomber dans le paradoxe de la tolérance. En tolérant l’intolérance, on la laisse s’accroître, s’envenimer, devenir toxique et prendre le dessus, et puis tout d’un coup « oh, où sont passés tous ces droits pour lesquels nous nous sommes battus si fort »?
Je crois que les Canadiennes et les Canadiens sont intelligents et capables de comprendre des faits honnêtes quand on leur en présente, que nous pouvons dissiper les mythes négatifs, que nous pouvons avancer ensemble vers quelque chose de mieux pour nous tous, mais nous devons nous mettre au travail pour que cela se produise.
Annik : C’est quoi l’alliance inclusive pour vous et comment les gens peuvent-ils être des alliés de la communauté queer?
Cyril : L’alliance inclusive est active, pas passive. Beaucoup de personnes s’identifient à l’idée d’une alliance. Elles veulent être des alliées, et je pense que c’est merveilleux. Mais quand on me dit « Oh, je suis un allié de la communauté queer », je réponds « Super! Qu’est-ce que cela signifie? Que faites-vous pour être un allié de la communauté queer? » parce que ça ne suffit pas de ne pas être homophobe, transphobe ou queerphobe. Ça ne suffit pas de simplement ne pas être intolérant. Il faut soutenir la communauté d’une quelconque façon.
On ne peut pas nous laisser lutter seuls pour notre cause. Nous avons aussi besoin des renforts de nos alliés cisgenres et hétérosexuels. C’est ainsi que l’alliance devient active.
Annik : Qu’espérez-vous que les auditeurs retirent de cet épisode?
Laurent : Le caractère novateur de la question, le fait que le recensement canadien est le premier dans le monde à avoir posé une question, collecté de l'information sur les personnes transgenres et non binaires et l’avoir diffusée assez rapidement après cette collecte. Cela permet de montrer à quel point la société canadienne évolue, à quel point la société canadienne est progressiste à ce niveau, inclusive également.
Annik : Si quelqu’un veut en savoir plus sur les données démographiques, le recensement et la diversité des genres, où peut-on trouver ces informations?
Laurent : Alors, j’inviterais tout le monde à visiter évidemment le site Internet de Statistique Canada; il y a différents portails sujet-matière. L’un d’eux est le portail Population et démographie. Donc, sur le portail Population et démographie, on retrouve une foule d'informations démographiques, des estimations démographiques, des projections démographiques, des analyses, des données sur les familles, les ménages canadiens incluant les personnes transgenres et non binaires. Évidemment, sur le site de Statistique Canada, le site du Recensement de 2021 et du Recensement de 2026, où les gens vont pouvoir trouver une foule de résultats, mais aussi des documents de référence, comme le Dictionnaire du recensement qui permet d’avoir accès aux concepts, aux définitions qu’on utilise, il y a des guides de référence pour bien s’assurer qu’on interprète de la bonne façon les données que Statistique Canada diffuse régulièrement, notamment les données du recensement.
Annik : Si quelqu’un veut en savoir davantage sur vous et votre travail, peut-être même assister à un spectacle drag, où peut-il aller?
Cyril : J’ai un site Web : www.cyrilcinder.com (C-Y-R-I-L-C-I-N-D-E-R). Je suis aussi sur tous les médias sociaux (Instagram, TikTok, Facebook). J’encourage les gens à aller appuyer les artistes de drag de leur communauté. Pour moi, c’est la chose la plus importante. Ces artistes de drag locaux, ceux qui ne passent peut-être pas à la télévision ou qui sont peut-être un peu plus différents, ce sont eux qui travaillent au sein de votre communauté qui, je pense, ont les choses les plus importantes à dire. J’ai vu mon premier spectacle drag en 2014, et ça m’a tellement ouvert les yeux, tellement! J’espère simplement que plus de personnes pourront vivre cette expérience.
Annik : Et si quelqu’un nous écoute et remet son propre genre en question. Avez-vous des suggestions ou des ressources à lui recommander?
Cyril : Si vous remettez votre propre identité de genre en question, de nombreux livres ont été publiés qui pourront vous aider avec cette expérience. Votre bibliothèque locale aura de nombreuses ressources sur l’identité de genre et l’exploration de genre pour une variété de groupes d’âge. Vous pourriez consulter Interligne, un service d’écoute pour la communauté 2ELGBTQIA+ au Canada et basé à Montréal.
Si vous êtes Autochtone, il existe des ressources axées sur les Autochtones pour explorer l’identité bispirituelle. Soyez ouvert, posez des questions. S’il y en a dans votre communauté, allez à une librairie queer ou un magasin queer local. S’il n’y en a pas, Internet est un endroit fantastique pour trouver de bonnes ressources éducatives gratuites et le soutien d’autres personnes qui se sentent comme vous parce que, je vous assure, peu importe les questions que vous vous posez, peu importe les sentiments avec lesquels vous êtes aux prises, vous n’êtes pas le seul dans cette expérience. Il y a quelqu’un d’autre qui se pose les mêmes questions, et vous n’avez pas à vivre cette expérience seul.
Annik : Eh bien, je vous remercie de vous être joint à nous.
Cyril : Merci de m’avoir invité.
(Thème de fermeture)
Annik : Vous venez d’écouter Hé-coutez bien! Merci à nos invités, Cyril Cinder et Laurent Martel, d’avoir été avec nous. Un grand merci également à Vicki Johnson, l’auteure du livre Molly’s Tuxedo, et à sa maison d’édition, « Little Bee Books ». Merci à nos narratrices, Valérie Legault et Stéphanie Lepage. Si vous souhaitez en savoir davantage sur nos données du recensement sur le genre, consultez les liens dans les notes du programme!
Vous pouvez vous abonner à cet émission à partir de tout endroit où vous accédez habituellement à vos balados. Vous y trouverez également sa version anglaise, intitulée Eh Sayers. Si vous avez aimé cet émission, n’hésitez surtout pas à la noter, à la commenter et à vous y abonner. Merci de nous avoir écoutés!
Sources:
Le Quotidien — Le Canada est le premier pays à produire des données sur les personnes transgenres et les personnes non binaires à l'aide du recensement
Combler les lacunes : renseignements sur le genre dans le Recensement de 2021
Vidéo: Recensement de 2021 : Sexe à la naissance et genre - un portrait global