Semaine nationale de l’accessibilité 2021 - Transcript
Alexandra : En septembre, Statistique Canada lancera son tout premier balado. Il sera disponible en français et en anglais, sous les titres, Hé-coutez bien et Eh Sayers.
Pour célébrer la Semaine nationale de l'accessibilité, nous vous partageons en avant-première une partie de notre premier épisode.
Nous avons travaillé très dur pour le réaliser et nous espérons qu'il vous plaira.
[musique]
Bienvenue au tout premier épisode de Hé-coutez bien, un balado de Statistique Canada où nous faisons la connaissance des personnes derrière les données et découvrons les histoires qu'elles révèlent. Je suis votre animatrice Alexandra.
Alexandra : Aujourd'hui, nous parlons des incapacités. Selon l'Enquête canadienne sur l'incapacité de 2017, plus de 6 millions de Canadiens âgés de 15 ans et plus ont déclaré avoir une incapacité. Il s'agit d'environ 1 Canadien sur 5. Mais, que voulons nous dire par personnes ayant une incapacité?
Tony : Ah, bien, ça peut vouloir dire beaucoup de choses différentes, selon la personne. La personne peut avoir des limitations d'activité ou des conditions qui font que, elle a une incapacité qui est visible à première vue. Par exemple, quelqu'un qui a un problème de mobilité ou un problème sensoriel comme moi, où on voit que mes yeux bougent, mes yeux gigotent la première fois qu'on me rencontre, alors on sait que j'ai probablement quelque chose avec ma vue et puis ça parait, mais il y a beaucoup d'autres incapacités, d'activité, de limitation d'activité qui ne sont pas visibles à première vue.
Alexandra : Ça, c'est la voix de Tony Labillois.
Tony : Bonjour, je m'appelle Tony Labillois, je suis le directeur de la division de la statistique du secteur public à Statistique Canada et je suis aussi le Champion pour les personnes handicapées et pour l'accessibilité depuis 2002, et je suis né avec une basse vision, ce qui fait que pour moi, c'est une vision normale, mais qui est beaucoup plus faible que pour les autres personnes.
Alexandra : Comme Tony, 1,5 million de Canadiens âgés de 15 ans et plus ont une incapacité visuelle.
Que voulez-vous dire par incapacité invisible?
Tony : Pensez aux troubles d'apprentissage, ou à, pensez à quelqu'un qui est autiste ou à quelqu'un qui a une hypersensibilité à l'environnement ou quelqu'un qui a un enjeu de santé mentale. Ces choses-là ne sont pas visibles à première vue, et ça ne veut pas dire que, que la personne se considère handicapé pour autant, mais souvent ces choses-là occasionnent une limitation d'activité.
Alexandra : Pourriez-vous en parler un peu plus? Pourquoi une personne pourrait-elle ne pas se considérer comme une personne ayant une incapacité?
Tony : Les limitations d'activité, selon comment on va se percevoir comme individu, on peut décider de les accepter ou non. Et puis quand ça vient graduellement, c'est, c'est quelque chose qui évolue, mais même quand ça vient à la base comme moi, quand j'étais jeune, on ne peut pas dire que j'avais le même niveau d'acceptation que maintenant, ni le même niveau de confort pour en parler que maintenant. Puis, quelque part, c'est quelque chose qui évolue dans la vie. L'incapacité malheureusement peut être acquise, ou la limitation d'activité. Et puis c'est une question d'acceptation de soi, mais aussi de confiance, de comment les autres vont nous accepter avec notre façon différente de faire les choses, ou notre accommodement ou notre propre perception de nous-même. Prenez un exemple simple qui arrive dans la vie de beaucoup de gens dans la quarantaine. Où, par exemple, les gens se retrouvent à avoir des difficultés à lire quelque chose. Ils vont essayer de prendre la feuille et puis de la repousser un peu plus loin ou de la rapprocher jusqu'à temps qu'ils aient le bon euh, la bonne distance pour lire ce qu'ils ont à lire.
Ça prend combien de temps avant que quelqu'un va décider par lui-même, ou que les autres vont lui dire d'aller chez l'optométriste pour avoir besoin de lunettes. Quelque part, les lunettes sont un accommodement. Puis, avant que l'accommodement soit accepté, pourtant, il est généralement accepté dans la société, avant que la personne l'accepte, Il faut qu'elle accepte le fait qu'elle est en train d'avoir une vision qui baisse et puis une limitation dans ses activités quotidiennes ou au travail. Et puis c'est un cas où ça part de l'acceptation de soi. Puis dans la société, on ne fait pas de cas d'un accommodement aussi fréquent. Je ne pense pas que personne vous dirait qu'il va être discriminé dans l'obtention d'un poste ou dans l'obtention d'une occasion de quoi que ce soit d'autre parce qu'il a des lunettes. C'est relativement bien accepté. Il faut en venir à un niveau d'acceptation des accommodements ou des façons de faire différentes des gens qui ont des limitations d'activité. Aussi, il faut que ça devienne aussi normal que pour des lunettes et puis aller chercher justement les forces de chacun, puis l'inclusion de tout le monde. Et puis, c'est quelque chose qu'il ne faut pas perdre de vue, justement. Sans faire de jeu de mots.
Alexandra : Les incapacités invisibles sont beaucoup plus courantes que vous pourriez le penser. Par exemple, en 2017, un peu plus de 4 millions de Canadiens âgés de 15 ans et plus avaient une incapacité liée à la douleur et plus de 2 millions de Canadiens avaient une incapacité liée à la santé mentale.
Tony nous a parlé un peu plus de ce que c'est que de vivre avec une incapacité invisible.
Tony : Ça signifie que la personne a le choix, elle a le choix de divulguer ou non cette incapacité invisible. Elle a le choix de vivre avec les conséquences de ne pas divulguer cette situation ou avec les conséquences perçues de divulguer cette situation. Par exemple, si vous prenez quelqu'un avec un trouble d'anxiété généralisée, quelqu'un qui a un diagnostic formel comme ça, il peut ou elle peut choisir de ne rien dire au travail, mais avec le risque que pendant une période de pression puis de beaucoup de livrables à donner, ça va devenir insupportable pour elle et peut-être pour les collègues aussi que ça va devenir difficile. Mais personne ne saura, et personne n'accommodera la personne pour cette situation. Par contre si la personne fait le choix de divulguer, c'est parce qu'elle accepte et parce qu'elle a confiance en les autres. Elle accepte sa condition, elle a confiance aussi que les autres vont accepter sa condition et vont l'accommoder. L'accommodement peut être de plusieurs natures, peut être par exemple d'avoir du coaching, pour aider la personne dans son travail avec son anxiété, peut être de l'aide ponctuelle dans des moments stressants ou des moments plus intenses ou de de travailler sur autre chose que des choses intenses. Mais ça peut être juste de savoir qu'elle peut exprimer son anxiété et elle peut dire qu'elle est stressée, ou qu'elle peut demander à son patron si tout va bien plutôt que de ruminer des choses pendant la journée ou dans ses moments de vie personnelle. Ça dépend vraiment de ce que la personne peut faire, et puis ça c'est pas la même chose pour quelqu'un qui a un handicap visible où là, tout d'un coup, c'est peut-être tous les autres qui vont poser des questions à la personne si la personne prétend que ça n'existe pas ou fait semblant de ne pas vouloir en parler.
Alexandra : Donc, c'est beaucoup plus compliqué qu'une simple question à laquelle on peut répondre par oui ou par non. « Êtes-vous une personne ayant une incapacité, oui ou non? » Ce n'est pas toujours aussi simple, n'est-ce pas? Alors, comment est-ce que Statistique Canada s'y prend pour mesurer l'incapacité?
Tony : Statistique Canada mesure l'incapacité avec un modèle social. En fait, on ne regarde pas beaucoup la condition de la personne, on regarde l'interaction de la personne avec son environnement professionnel ou personnel, puis on regarde les barrières auxquelles elle peut faire face. On voit que, par exemple, on peut avoir une douleur modérée ou légère ou très incommodante. Alors on va prendre une question comme ça, on va demander à la personne jusqu'à quel point la douleur, l'affecte dans ses activités. On va faire ça pour la vision ou pour d'autres aspects fonctionnels de notre interaction avec le reste du monde. On a fait ça dans l'enquête de 2017, puis on va faire ça dans l'enquête sur les personnes handicapées de 2022 aussi, après le prochain recensement. Et puis ça nous apporte une façon de mieux comprendre, puis ensuite on peut classer avec les réponses des personnes un peu mieux les statistiques ou faire les statistiques qu'on a à faire. Ça va nous permettre d'identifier les gens qui probablement cocheraient pas « oui » nécessairement, tout le monde ne cocherait pas oui à la question, « êtes-vous une personne handicapée? »
Alexandra : Et, pourquoi est-ce que c'est particulièrement important de reconnaître l'existence des incapacités invisibles pendant la pandémie, non seulement chez les autres mais même en soi?
Tony : La pandémie a amené toutes sortes défis, puis en même temps toutes sortes d'opportunités. La pandémie a aussi amené des limitations d'activités invisibles auxquelles on ne pense pas nécessairement à prime abord, pour des personnes qui ne se considèrent pas et qui ne se considèreront probablement jamais comme des personnes qui cocheraient la boite « Oui » à une question « Êtes-vous une personne handicapée? ».
Pensez par exemple à des gens qui ont une incapacité, comme un système immunitaire faible ou une maladie pulmonaire chronique ou qui ont tout d'un coup malheureusement développé une phobie de l'espace public, au moins peut-être épisodique, ou on espère pas permanente, mais ces gens-là ont besoin de certains accommodements, ont besoin de certaines formes d'aides pour poursuivre leur vie, puis leur travail.
J'ajouterai que ça peut être n'importe qui d'entre nous qui soudainement fait à des défis. La pandémie, nous a appris ça pour certaines personnes qui tout d'un coup, avaient des conditions qui ne les dérangeait pas trop, que ce soit des conditions de système immunitaire faible ou des conditions pulmonaires ou même des conditions autres, qui tout d'un coup sont devenus des éléments prépondérants dans leur vie. Et puis, demain matin, notre situation peut avoir évolué, on peut malheureusement acquérir une limitation à cause du contexte ou à cause de notre santé qui se détériore et puis il faut s'assurer qu'on bâtit un monde qui ne nous empêchera pas de contribuer ou de participer, même si notre situation personnelle change.
Alexandra : Alors Tony, comment est-ce que le fait de parler de barrières plutôt que d'incapacités aide les gens à mieux comprendre que l'accessibilité est bénéfique tous?
Tony : Quand on parle de barrière, c'est quelque chose qu'on peut enlever quand on parle d'incapacité, on a tendance à associer ça aux gens, aux personnes, et puis c'est néfaste pour leur acceptation d'elle-même et de leur acceptation par les autres. Quand on parle de barrière, on peut s'assurer d'identifier les moyens de l'enlever ou de la contourner, c'est beaucoup plus efficace et ça c'est plus axé sur l'environnement. Dans notre environnement actuel, on peut voir des barrières, mais on peut aussi voir des chemins vers des opportunités, vers des capacités des personnes. Si on prend mon propre exemple, j'ai une basse vision. J'ai une vision que je considère normale, et qui me d'apprécier les beaux paysages, de me promener tout seul, de faire de la photo, de faire toutes sortes de choses que j'aime, j'aime apprécier des œuvres artistiques, etc. regarder des films... Mais, tout le monde voit… la grande majorité des êtres humains voit beaucoup plus que moi. Si tout le monde voyait comme moi, les affiches, les étiquettes, les autres choses dans la société seraient écrites plus grosses, ou on aurait tous une accommodation, un accommodement c'est à dire, commun, collectif qui ferait que, il y en aurait pas de barrières pour moi. Et puis c'est vrai pour l'ensemble des choses sur lesquelles on doit travailler pour rendre la société plus accessible, le milieu de travail plus inclusif, des choses comme ça. On a une capacité comme être humain à discuter de ces barrières-là, puis à les éliminer. Ça ne coûte pas souvent plus cher. Si par exemple, dans mon poste de travail, je reçois un document en PDF. Bien, malheureusement, il est souvent pas accessible pour moi, et puis si par contre tout le monde voyait comme moi, oh là, tout d'un coup le document, il serait nécessairement formaté pour tout le monde. C'est que, un moment donné, il faut que la majorité prenne compte des besoins de la minorité peut-être… Et d'habitude, quand on rend quelque chose accessible pour une personne ou même quelques personnes, on le rend beaucoup plus accessible pour tous et ça ne coûte pas nécessairement plus cher.
Alexandra : La pandémie de la COVID-19 a exposé les nombreuses manières dont nous pouvons rendre le monde plus accessible. Par exemple, si on élargit la définition du mot incapacité, on peut se concentrer sur les capacités de chacun et viser une meilleure accessibilité pour tous.
Tony : Un moment donné, il va falloir garder le meilleur de la situation actuelle et puis se débarrasser des autres choses qui, qui pourront disparaître lorsque la situation sera revenue à la normale. Puis j'espère que ce qui va rester dans l'espace public c'est une plus grande ouverture dans la société et puis dans l'économie pour assurer qu'on considère, et qu'on se concentre sur les aptitudes des gens et leur capacité à contribuer à la société et à l'économie.
Alexandra : Et c'est tout pour l'instant! Nous espérons que vous viendrez nous retrouver en septembre pour écouter l'épisode en entier.
Un gros merci à notre invité, Tony Labillois et merci à vous, de nous avoir écoutés. À la prochaine!