Hé-coutez bien! Épisode 17 - Que font vos enfants en ligne? Le savez-vous vraiment?

Date de diffusion : le 12 avril 2024

Nº de catalogue : 45-20-0003
ISSN : 2816-2250

Que font vos enfants en ligne? Le savez-vous vraiment?

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StatCan a publié une nouvelle analyse de la culture en ligne dans laquelle grandissent nos enfants, et celle-ci est loin de représenter le meilleur des mondes possibles : mésinformation, intimidation, violence... et pire encore.

Samuel Perreault se joint à nous pour analyser les résultats de cette étude.

Animatrice

Annik Lepage

Invité

Samuel Perreault

Écoutez

Hé-coutez bien! Épisode 17 - Que font vos enfants en ligne? Le savez-vous vraiment?? - Transcription

Transcription

Annik :Bienvenue a Hé-coutez bien, un balado de Statistique Canada où nous rencontrons les personnes derrière les données et découvrons les histoires qu'elles révèlent. Je suis votre animatrice, Annik Lepage.

L'Internet n'est plus ce qu'il était à ses débuts et, je pense que, même si deux personnes utilisent l'Internet en même temps, elles font l'expérience de deux Internets différents : les algorithmes devinent ce que vous voulez voir, ce sur quoi vous voulez cliquer, ce que vous voulez acheter. Votre Internet n'est pas le mien, et l'Internet d'aujourd'hui n'est certainement pas celui d'hier.  Une nouvelle analyse de Statistique Canada révèle des résultats alarmants sur l'expérience en ligne des jeunes Canadiens.

Pour discuter de ce sujet nous accueillons Samuel Perreault au studio.

Samuel :Samuel Perreault, analyste au Centre canadien de la statistique juridique et de la sécurité des collectivités de Statistique Canada.

Annik :Les jeunes sont-ils exposés à davantage de contenu en ligne, disons préoccupant que l'utilisateur moyen?

Samuel :Par rapport à la moyenne, oui définitivement. Déjà les jeunes sont beaucoup plus sur Internet quoi que de nos jours presque tout le monde est sur Internet, mais les jeunes le sont un petit peu plus et quand on regarde le contenu auquel ils sont exposés, effectivement ils sont davantage exposés à du contenu, soit de la mésinformation, de la désinformation et également de la nudité en ligne.

Donc oui ils le sont beaucoup plus si on regarde juste pour ce qui est des fausses informations, c'est environ quatre-vingt-quatre pour cent environ, très précisément quatre-vingt-quatre pour cent, des quinze à vingt-quatre ans qui ont dit avoir vu des fausses nouvelles, des fausses informations comparativement à soixante-dix pour cent pour la moyenne, donc c'est quand même assez significatif.

En plus des fonctions aussi du contenu totalement inapproprié comme le contenu haineux ou le contenu violent, donc soit du contenu qui va cibler certains groupes, qui va appeler à la violence ou qui va être carrément violent donc les quinze vingt-quatre ans sont le groupe qui est le plus exposé à ce type de contenu  et quand même dans une proportion encore très significative donc plus de sept jeunes sur dix comparativement à même pas la moitié dans la population en général donc, et les jeunes avec une incapacité sont encore plus exposés donc c'est environ deux fois et demie plus souvent des jeunes avec une incapacité qui est exposé à ce type de contenu tous les jours par rapport aux autres jeunes du même groupe d'âge. On voyait cependant aucune différence par rapport au genre ou aux groupes racisés. Donc c'est vraiment chez les jeunes avec une incapacité qu'on voyait une telle différence.

Annik :C'est quoi la différence entre l'intimidation puis les crimes haineux?

Samuel :C'est une bonne question parce que les deux s'entrecoupent évidemment on peut parler d'un continuum mais un continuum qui à certains moments va s'entrecouper. Donc l'intimidation, ça va être des comportements répétitifs qui ont le but intentionnel de blesser une personne, de la dénigrer, ça peut impliquer des actions physiques, mais également des actions verbales ou des fois des comportements plus subtils et qui vont souvent aussi impliquer des relations de pouvoir. Ceci dit, ça peut devenir criminel dans certains cas donc la différence entre l'intimidation, le bullying et le harcèlement criminel peut être très mince et quand on parle d'action physique également, on tombe aussi dans des comportements qui peuvent être criminels. Les crimes haineux, ça peut être à la base n'importe quel crime, du moins pour l'instant il y a des discussions pour peut-être changer le code criminel en ce moment au Parlement, mais pour l'instant la notion de crime motivé par la haine, c'est un facteur aggravant dans le code criminel donc n'importe quel crime peut être un crime haineux.  Donc un crime doit être haineux quand il est motivé par la haine d'un groupe en particulier. Donc soit que le crime a été motivé par la haine de la race, l'origine ethnique, le genre, l'identité de genre, l'orientation sexuelle, la langue, etc.  Donc c'est la principale différence.

Annik :Les jeunes sont-ils également soupçonnés de commettre des crimes haineux en ligne?

Samuel :Oui, définitivement, donc les jeunes étaient donc environ un peu plus du tiers des auteurs présumés de crimes haineux en ligne étaient des jeunes, surtout des garçons. Donc les garçons de douze à dix-sept ans représentaient trente pour cent de tous les auteurs présumés de tous les crimes haineux en ligne.

Les filles de ce groupe d'âge représentaient cinq pour cent, ce qui est beaucoup moins que les garçons, mais quand même significatif si on compare aux autres groupes d'âge et les dix-huit à trente-quatre ans représentait un autre vingt-cinq pour cent hommes et femmes combinés donc définitivement les jeunes sont souvent les auteurs présumés des crimes haineux, donc les victimes et les auteurs présumés.

Annik :Quels sont les défis qui sont posés par l'étude des interactions en ligne, donc la mésinformation, l'intimidation et les crimes haineux?

Samuel :Le principal défi, c'est d'arriver à mesurer correctement ces comportements-là donc disons ce qui se passe sur Internet, ça évolue très rapidement et on sait que construire une enquête et l'amener sur le terrain c'est un long processus, donc par le temps qu'on arrive sur le terrain, que l'enquête ait lieu, il peut déjà avoir eu beaucoup d'évolution, donc juste de rester à jour et trouver les bonnes questions pour mesurer ce qu'on veut. Mesurer ce qui se passe sur Internet est en soi un défi. Il peut également y avoir les taux de réponses qui peuvent être des défis.

Donc on sait que les taux de réponse aux enquêtes ménages sont à la baisse depuis de nombreuses années et typiquement les jeunes y répondent encore moins. Donc quand on vise un sujet qui s'attarde essentiellement aux jeunes c'est un défi supplémentaire également parce que pour l'instant, on se fie essentiellement sur des enquêtes ménages donc on ne va pas encore dans les techniques de webscraping, pardonnez l'anglicisme, donc on se fie aux enquêtes ménages et dans le cas des crimes haineux, les données provenaient des données policières, donc les données qui sont déclarés par la police. Donc là, on ajoute une contrainte supplémentaire, il faut que ça ait été porté à l'attention de la police donc plusieurs des comportements dont on a parlé aujourd'hui ou dans l'étude parfois ont des comportements qui peuvent être sans dire qu'ils vont être mineurs parce que c'est des comportements qui peuvent avoir des conséquences importantes pour les victimes. Mais si ça n'atteint pas le seuil du code criminel, de l'acte criminel, la police ne peut rien faire. Puis on sait également que si le crime n'est pas particulièrement grave, la police va pas émettre non plus des tonnes de moyens donc il y a beaucoup de ces crimes-là qui ne vont pas être déclarés à la police, crimes ou comportements en général qui ne vont tout simplement pas être déclarés à la police, donc qui ne feront pas les données de l'enquête.

Annik :Pourquoi selon vous ces résultats sont-ils importants?

Samuel :Déjà les résultats ont été publiés dans le cadre de la Journée du chandail rose qui, je pense déjà représente, est un indicateur de l'importance. On y consacre une journée, c'est parce que ça peut avoir des conséquences assez importantes pour les victimes.

Quand on parle de l'intimidation en ligne, du bullying, des crimes haineux, ça peut avoir des effets dévastateurs sur les victimes, sur la confiance en soi, certains peuvent en venir jusqu'au suicide. Donc évidemment, c'est un enjeu important et de pouvoir identifier qui sont les personnes derrière donc qui en sont les victimes et qui en sont les auteurs présumés.

Ça va évidemment aider à mieux cibler les politiques pour intervenir autant auprès des victimes que des auteurs présumés. Également, quand on pense aux mauvaises informations aussi, la mésinformation, ça peut avoir des conséquences sur la démocratie, la santé de la démocratie, de nos institutions.

Donc là aussi, c'est des enjeux assez importants et d'actualité auxquels il est pertinent de s'attaquer et pour pouvoir bien s'y attaquer bien on a besoin d'avoir des informations pertinentes

Annik :Merci beaucoup!

Vous venez d'écouter Hé-Coutez bien! Merci à notre invité, Samuel Perreault.

Pour plus d'informations sur le sujet d'aujourd'hui consultez l'article publié dans Le Quotidien du 27 février 2024, intitulé La haine et l'agression en ligne chez les jeunes au Canada.

Vous pouvez vous abonner à cette émission à partir de tout endroit où vous accédez habituellement à vos balados. Vous y trouverez également sa version anglaise, intitulée Eh Sayers. Si vous avez aimé cette émission, n'hésitez surtout pas à la noter, à la commenter et à vous y abonner.

Sources

Le Quotidien — La haine et l'agression en ligne chez les jeunes au Canada

Hé-coutez bien! Épisode 16 - Comment dit-on « revitalisation linguistique » en cri?

Date de diffusion : le 27 mars 2024

Nº de catalogue : 45-20-0003
ISSN : 2816-2250

Comment dit-on revitalisation linguistique en cri?

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Comment dit-on revitalisation linguistique en cri?

Plus de 70 langues autochtones distinctes sont parlées par les Premières Nations, les Métis et les Inuit au Canada, mais ces langues sont menacées.

Dans cet épisode, nous nous entretenons avec Randy Morin et Belinda kakiyosēw Daniels, qui partagent leurs connaissances de la langue crie avec les apprenants du Nêhiyawak Language Experience, au sujet de la sagesse encodée dans les langues autochtones, ainsi que des possibilités offertes par ces langues et des obstacles auxquels elles sont confrontées.

Animatrice

Annik Lepage

Invités

Randy Morin, Belinda kakiyosēw Daniels

Narration

Chris Houle, Valérie Legault

Écoutez

Hé-coutez bien! Épisode 16 - Comment dit-on « revitalisation linguistique » en cri?

Annik : Bienvenue à Hé-coutez bien, un balado de Statistique Canada, où nous rencontrons les personnes derrière les données et découvrons les histoires qu'elles révèlent. Je suis votre animatrice, Annik Lepage.

Quand on parle de langues autochtones, on ne parle pas d'une seule chose. Le Canada compte plus de 70 langues autochtones distinctes.

Elles ont des statuts différents. Par exemple, l'inuktitut est une langue officielle au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest, et près de 40 000 Inuit ont indiqué dans le Recensement de 2021 qu'ils le parlent assez bien pour soutenir une conversation. Les langues cries et ojibwées comptent également des dizaines de milliers de locuteurs, ce qui fait de ces trois langages les langues autochtones les plus couramment parlées au Canada. Cependant, il y a aussi des langues comme l'haisla, le haïda et le ktunaxa, qui représentent chacune moins de 300 locuteurs. Cependant  entre le Recensement de 2016 et celui de 2021, le nombre de locuteurs du ktunaxa  et du haisla a augmenté, tandis que le nombre de locuteurs du haïda a diminué.

Un peu plus de 237 000 Autochtones au Canada ont déclaré parler une langue autochtone assez bien pour soutenir une conversation dans le Recensement de 2021, mais ce nombre a diminué depuis le recensement précédent, durant lequel environ 260 000 Autochtones ont déclaré être capables de parler une langue autochtone. Cette baisse est attribuable à une diminution constante du nombre de personnes dont la langue maternelle est une langue autochtone.

Parallèlement, le Recensement de 2021 a indiqué que davantage d'Autochtones apprennent une langue autochtone comme langue seconde. Les locuteurs de langue seconde représentaient plus d'un quart de tous locuteurs de langues autochtones, en hausse de 4 100, ou de 6,7 %, par rapport à 2016.

L'UNESCO, l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture considère que toutes les langues autochtones du Canada sont « à risque », c'est-à-dire vulnérables ou menacées. Les langues autochtones sont menacées à cause de la discrimination, de la colonisation et des pratiques, y compris le système des pensionnats indiens, qui visait à détruire les cultures et les langues autochtones. Les enfants autochtones se sont fait enlever leur langue lorsqu'ils ont été enlevés de force de leur famille et punis ou humiliés pour avoir parlé leur langue.

Tout cela signifie qu'aujourd'hui, ces langues sont en danger, et les communautés autochtones luttent pour garder leurs langues vivantes.

Randy : Oui, on dit qu'il n'y aura que trois langues qui seront encore parlées dans 20 à 25 ans et le cri est l'une d'entre elles. Le cri, l'inuktitut et l'ojibwé. C'est ce que disent les statistiques.

Annik : C'est Randy Morin, un gardien du savoir.

Randy : Randy Morin, professeur adjoint, Université de la Saskatchewan.

Annik : Selon le dernier recensement il y avait près de 87 000 locuteurs cris au Canada. Le cri serait la langue autochtone la plus parlée au Canada… s'il n'y avait qu'une seule langue crie. Mais il y a beaucoup de langues cries, et elles ne sont pas toutes pareilles.

Randy : Il y a un grand risque, surtout pour les dialectes moins parlés, comme le dialecte R, le dialecte L. Ces dialectes sont plus parlés dans l'Est canadien. Je ne sais pas grand-chose à leur sujet, pour être honnête, personnellement. Mais nous avons aussi des petits dialectes en Saskatchewan, le dialecte N et le dialecte TH, le cri des bois, le cri des marais. Par contre, le plus grand, celui auquel je suppose que les statistiques font référence, serait le dialecte cri des Plaines. Celui-là survivra probablement un peu plus longtemps que les autres dialectes.

Annik : Ce n'est pas seulement que différents dialectes utilisent des sons différents ou des mots différents.

Randy : Chaque dialecte a sa propre façon de voir le monde. Les Cris des marais ont leur propre façon, les Cris des bois, ou Cris des rochers, comme ils s'appellent eux-mêmes, donc pour eux et pour nous autres les Cris des plaines, il y a des différences dans les dialectes et la façon dont nous voyons le monde.

Annik : Randy parle le cri comme langue maternelle.

Randy : Bien, j'ai grandi en parlant la langue. On me parlait en cri quand j'étais encore dans le ventre de ma mère, alors je ne parlais pas d'anglais avant d'avoir 10 ans. Et je raconte souvent cette histoire, comment ai-je réussi la maternelle et la première année alors que je parlais seulement le cri? Beaucoup d'entre nous dans ma communauté, à mon âge, parlaient tous la langue, et nous avons passé la maternelle et la première année. J'ai grandi en la parlant. Je ne connaissais rien d'autre. C'est comme un poisson, un poisson ne sait pas qu'il est dans l'eau, c'est juste comme ça que j'étais dans ma langue, j'étais immergé, elle était partout autour de moi.

Annik: Mais, comme je l'ai mentionné, de nombreux locuteurs de langues autochtones ont appris ces langues comme langue seconde, comme kakiyosēw.

Belinda : Dre Belinda kakiyosēw Daniels, département de l'éducation autochtone à l'université de Victoria.

En ce qui concerne l'apprentissage, j'ai toujours écouté la langue depuis ma naissance. J'ai été élevé par mes grands-parents pendant la majeure partie de ma vie et ils parlaient cri entre eux. Ils ne m'ont pas encouragé à leur parler, mais j'ai souvent entendu la langue. Et donc, quand il s'agit d'être inspiré, leur simple capacité à se parler dans notre langue originale m'a inspiré, et c'est ce qui a piqué ma curiosité pour me demander « pourquoi ne suis-je pas encouragé à parler ma propre langue? »

Annik : En 2017, la moitié des jeunes autochtones ont déclaré que parler une langue autochtone était important ou très important, et bien qu'ils étaient moins susceptibles d'avoir une langue maternelle autochtone, nombre d'entre eux apprenaient une langue autochtone comme langue seconde. La majorité des jeunes des Premières Nations et des Inuits, respectivement 68 % et 87 %, qui pouvaient parler une langue autochtone ont appris leur langue en tant que langue maternelle. Chez les jeunes Métis pouvant parler une langue autochtone, la proportion était plus proche de la moitié, puisque 55 % d'entre eux ont appris leur langue comme langue maternelle et le reste l'ont apprise comme langue seconde.

Annik : Randy et kakiyosēw enseignent la langue crie aux élèves d'un camp d'immersion linguistique.

Belinda : Nous codirigeons Néhiyawak Language Experience, qui est une organisation communautaire locale à but non lucratif. Nous célébrons notre 20e anniversaire cet été. Donc, c'est excitant pour le travail que nous faisons. Je dirais que nous sommes en fait des pionniers dans cette façon de récupérer les terres et l'immersion linguistique dans nos territoires d'origine comme une intention ciblée.

Annik : Leurs efforts vont de la communauté locale au milieu universitaire.

Belinda : Nous écrivons aussi des livres ensemble. Nous faisons des recherches ensemble.

J'ai 12 étudiants des cycles supérieurs que je supervise ou qui siègent à un comité.

Randy : J'enseigne la langue crie à l'Université de la Saskatchewan. J'y crée un programme de certificat de langue crie, et j'espère le lancer l'année prochaine.

Annik : Mais ça ne s'arrête pas là! Il est aussi question de la télévision et des livres.

Randy : J'ai aussi beaucoup travaillé avec APTN. Donc, j'ai fait beaucoup de travail cri pour l'émission Wapoos Bay. Aussi, les Gardiens, le dessin animé. Et maintenant, la plus récente série pour enfants s'appelle CHUMS. Et ça va être lancé cette année, donc j'ai fait beaucoup de travail en cri.

Belinda : Je tiens le livre que j'ai co-écrit avec Andrea Custer, intitulé Speaking Cree in the Home: A Beginner's Guide for Families. (disponible en anglais seulement)  nēhiyawētān kīkināhk.

Annik : Il n'existe pas de solution unique pour revitaliser les langues autochtones. Il y a des raisons historiques pour lesquelles ces langues sont en danger, mais il y a aussi des obstacles qui existent aujourd'hui encore.

Belinda : Quels sont les obstacles? Mettons en place une politique pour rendre nos langues officielles. Obtenons du financement pour nos langues des Premières Nations dans nos systèmes scolaires. L'argent a toujours été sous-évalué ou sous-financé. Commençons à valider nos orateurs et à montrer le respect que ces orateurs méritent en ce qui concerne les titres de compétence. Ils n'ont peut-être pas de baccalauréat ou de doctorat, mais ils sont des locuteurs de la langue et possèdent une grande connaissance du monde. Donc, valorisons et reconnaissons cela.

Randy : En grandissant, nous parlions tous la langue et tout d'un coup la radio FM est débarquée, et la culture pop est débarquée. Oh, mon Dieu, tout le monde a commencé à parler anglais du jour au lendemain, vous savez, et ça n'a cessé de décliner depuis avec des choses comme la modernisation, la mondialisation, et le culte de la célébrité. Je suppose que nos jeunes gens admirent les célébrités, et donc nous devons les ramener à leurs propres modèles, vous savez, et c'est un défi.

Les gouvernements fédéral et provinciaux, ils ont gâché tellement de choses, pour les peuples autochtones pendant des années. Ils doivent vraiment souligner ce sentiment d'urgence et les universités doivent travailler avec les spécialistes linguistiques. Il n'y a que deux d'entre nous à l'Université de la Saskatchewan, et c'est un vrai défi.

Il n'y a que deux écoles à Saskatoon, St. Francis et wâhkôhtowin. Il y a beaucoup de défis, mais il y a aussi beaucoup de réussites.

La technologie peut être utilisée pour établir des liens avec les gens dans les collectivités éloignées. En fait, notre ami, Bill Cook, notre frère, son projet de doctorat est de connecter des conférenciers, des communautés éloignées avec les apprenants et, et ils sont payés. N'est-ce pas formidable? Quel projet génial! Tous ces anciens qui sont à la maison pourraient faire de l'argent sur leurs ordinateurs, parler à des apprenants, ah, quel projet! J'aurais aimé y avoir pensé pour mon doctorat. Donc, beaucoup de défis, mais aussi beaucoup de réussites.

Belinda : Je voulais ajouter aux réussites à l'échelle communautaire. Alors, j'ai mentionné mon nom, n'est-ce pas? kakiyosēw. Je viens de pakitahwâkan sâkahikan, Premières Nations de Sturgeon Lake, en Saskatchewan. Et pour ce qui est des activités communautaires locales, pour ma part, je suis toujours au service de ma communauté d'origine, et dans l'ensemble, de ma nation.

Certains des succès ont été de créer des signes de nēhiyawēwin dans notre communauté natale. Euh, créer des camps pour les familles, créer des programmes oskapios pour les garçons et les hommes, créer un programme linguistique à l'échelle de la communauté, du leadership aux différents organismes qui travaillent dans notre communauté natale.

Belinda : Nous avons la revitalisation des langues autochtones comme domaine d'études à l'Université de Victoria. Je sais que l'Université des Premières Nations du Canada travaille aussi sur la même chose. En tant que peuple néhiyawak, les peuples originaux de l'île de la Tortue, nous travaillons ensemble. Nous nous rassemblons. Travailler ensemble pour aider à relever nos langues originales.

Annik : Plus tôt dans notre conversation, Randy a mentionné que les différentes langues cries ont leurs propres visions du monde. Différentes langues ne sont pas seulement des étiquettes interchangeables pour les mêmes choses. Et les langues cries sont uniques à leur façon.

Randy : Vous voyez certainement le monde de deux façons différentes quand vous connaissez la langue. Et je parle d'expérience, donc votre vision du monde est vraiment différente.

Vous pouvez comprendre les histoires, vous savez, les enseignements qui sont insérés dans les histoires. Vous comprendrez beaucoup plus les cérémonies si vous avez une connaissance intime de la langue.

L'humour joue aussi un grand rôle dans le langage, puisque l'humour est si descriptif, vous pouvez le voir dans votre esprit mieux qu'en anglais. En anglais, c'est un peu unidimensionnel. Mais dans la langue d'origine, nous le voyons sous tous les angles, c'est tellement drôle.

Donc oui, ça concerne les relations avec le monde naturel. La façon dont nous percevons le monde en tant qu'être vivant et cela va vraiment à l'encontre de cette vision du monde d'aujourd'hui. Comme s'il n'y avait pas de liens avec la Terre. Vous voyez, plusieurs voient la terre comme inanimée. Pas vivante. Ils voient les animaux comme n'ayant pas d'esprit. Les insectes. Les oiseaux. Vous savez, pour nous, ils font partie de notre famille.

La langue vous enseigne des valeurs. Les lois, les enseignements, ceux-ci sont intégrés dans notre langue et celle-ci depuis des millénaires.

D'un point de vue philosophique, spirituel, nous retournons au monde des esprits. Donc, nous devons avoir ces lois, nous devons suivre ces enseignements, parce que notre temps sur la terre passe rapidement.

Annik : Comme vous les savez, en français, on classe les noms par genre, masculin et féminin. Le cri classe ses noms selon le concept d'« animacy » : ce qui est vivant et ce qui ne l'est pas.

Belinda : Ce concept représente la façon dont nous considérons le monde comme étant vivant et imprégné d'esprit. Et donc, quand nous regardons la terre, la terre nous fournit tout ce dont nous avons besoin; donc la terre est vivante, la terre est vivante et dotée d'un esprit. Et quand vous regardez les arbres et les rochers, les montagnes et les rivières, les animaux, l'océan, le soleil, même le temps. Si vous avez cette perspective que ces éléments sont vivants, dotés d'esprits, empreints d'une force vitale de quelque chose, une source, et si vous pouvez les voir comme vous pensez à vos propres parents, vos propres grands-parents, votre frère, votre sœur, votre nouveau-né, cette façon de penser au monde naturel vous rend plus conscient, respectueux et reconnaissant de l'endroit où nous vivons.

Annik :  Vous avez parlé de l'importance de la nature. En fait, vous dirigez un camp linguistique, et « camp » est un mot extrêmement important, je pense. Pourquoi ce camp est-il dehors dans la nature et déconnecté, débranché? Pourquoi est-ce là l'endroit idéal? Pas pour un camp linguistique en général. Mais un camp de langue crie en particulier, pourquoi est-ce là le meilleur endroit?

Belinda : C'est ainsi que vivaient nos ancêtres. C'est ce que nos ancêtres ont toujours fait. C'est la solution. C'est un endroit spirituel, être dans la nature, marcher sur la terre, nager dans les eaux, écouter les oiseaux quand ils commencent à chanter tôt le matin, et aller dormir quand ils arrêtent…c'est incroyable. Je ne sais pas pourquoi ou comment, mais quand je suis dans le contexte de la langue, en entendant le langage, quelque chose se passe dans ma tête dans mon cerveau de la façon dont je pense qu'il y a un changement qui se produit et j'essaie souvent de le décrire comme… comme un casse-tête qui est assemblé simultanément, c'est ce qui arrive à mon cerveau. Comme je peux littéralement sentir cette connexion au contexte sur la terre dans la langue. Toute ma vision du monde est juste, vous savez, comme si un interrupteur bascule et que je laisse derrière moi ce monde anglais. Je laisse derrière moi tous les souvenirs de la violence dans le contexte colonial anglais. Et quand je suis dans la nature, sur les terres ancestrales c'est un sentiment de sâkihitowin. C'est un sentiment d'amour.

Randy : Vous savez, quand vous allez dans la nature, ça vous enseigne l'humilité, il n'y a pas d'ego, il n'y a pas de jeux de pouvoir, et vous arrivez à vous connecter avec les communautés dans lesquelles vous êtes. C'est l'énergie de l'endroit, c'est un environnement vraiment propre, détoxifiant. C'est responsabilisant. C'est très aimant. C'est très doux. C'est très organique, vous savez, c'est juste un sentiment d'être chez soi. Vous laissez derrière vous cette jungle de béton et vous vous connectez avec le monde naturel et les esprits de la terre. C'est un bel endroit.

Belinda : C'est un rythme naturel.

Annik : Quand votre langue catégorise les noms en fonction de la présence d'esprit, comment cela affecte-t-il votre perception du monde naturel? Surtout dans le contexte de la crise climatique?

Randy : Hé bien, je vais le dire en un mot. wâhkôhtowin, wâhkôhtowin, nous sommes tous apparentés. Cela inclut les plantes, cela inclut les étoiles, la lune, les montagnes. Si vous êtes proche à un parent, allez-vous faire du mal à ce parent? En fait, dans nos lois, nous avonspâstâhowin, le fait de transgresser la loi du Créateur. Donc, si vous savez que vous n'allez pas abattre des arbres, vous allez seulement prendre ce que vous voulez, sans surexploiter pour en tirer des montants exorbitants en profit. Vous voyez, les gens s'enrichissent et, vous savez, il n'y a aucun mot dans leur vision du monde sur wâhkôhtowin, non? Et puis nous avons cette chose appelée ohcinêwin, c'est comme le mal contre des êtres doués d'intelligence. Et cela inclut tout dans la création. Vous savez, l'eau est vivante, on ne va pas empoisonner l'eau, on ne va pas forer dans l'eau. Vous savez ce que je veux dire? Nous avons tous ces exemples de ce qu'il ne faut pas faire.

Belinda : Cela nous ramène à ce que nous disions tout à l'heure à propos de cette idée d'« animacy ». Par exemple, les arbres, mîtos, mîtosak, ou les animaux, ou comme les oiseaux, piyêsîsak, c'est la même référence à quelque chose qui est vivant, rochers, asiniyakc'est la même référence au fait qu'ils sont vivants et dotés d'esprit et c'est comme ça qu'on parle d'eux. Donc, si vous voyez le monde comme une chose vivante et que vous considérez ces choses comme des membres de votre famille, vous n'allez pas faire de coupes à blanc. Vous n'allez pas extraire et construire ces gros trous miniers.

Randy : Ouais, donc les différentes langues du monde disent que la Terre est une mère. Elle nourrit. Ce n'est pas seulement un concept. C'est en fait comme une vraie croyance que la Terre est notre mère, n'est-ce pas? Donc, avec cette compréhension, comme Belinda l'a dit, nous allons protéger et nous occuper de notre mère et des médicaments qu'elle nous fournit, chaque chose a un but médicinal et un esprit, n'est-ce pas? Donc, c'est à nous de connaître ces médicaments, afin de pouvoir les garder pour les générations futures.

Annik : Ryan DeCaire a dit : On dit que les gens revitalisent une langue, mais en réalité, c'est une langue qui revitalise un peuple. Quels sont les avantages d'apprendre une langue autochtone, que ce soit comme langue maternelle ou comme langue seconde.

Belinda : Votre connexion à l'endroit où vous appartenez, votre culture, votre connexion à ce que vous connaissez des lois naturelles et de la gouvernance naturelle, dans ces systèmes et aussi les gens, votre connexion au peuple. Il y a donc de multiples avantages.

De même, une fois que vous vous en rendez compte et que vous savez d'où vous venez, où vous êtes allé, en allant de l'avant, vous pouvez aborder les traumatismes. Vous pouvez entrer dans ce traumatisme historique, ce traumatisme intergénérationnel, et vous pouvez le briser une fois que vous connaissez votre langue et d'où vous venez. Et c'est comme ça pour moi. Et ça a été un sentiment de rentrer à la maison, de connaître mon but, de connaître mon rôle, de savoir que mes ancêtres sont derrière moi, et que je me tiens sur les épaules de véritables géants.

Annik : Quels sont vos rêves pour l'avenir de votre langue et de votre communauté, et pensez-vous que le travail se terminera un jour?

Belinda : Mes rêves pour l'avenir… On m'a posé cette question il y a environ 10 ans, alors je suis heureuse de me voir à nouveau poser cette question. Mon rêve pour l'avenir est que nos langues soient protégées par des lois fédérales et provinciales partout au Canada. J'espère que nos communautés parlent la langue, et que les langues s'épanouissent dans nos communautés, que nos écoles sont basées sur le territoire, et que nous parlons, pas seulement notre langue, mais nos langues voisines.

Je tiens à souligner qu'avant le contact, et ceci est basé sur le travail d'Onowa McIvor, nos langues étaient très multilingues. Nous étions un continent très multilingue. Nous devions parler plusieurs langues pour avoir cet énorme système d'alliances commerciales avant le contact. Et quand les premiers colons sont arrivés, ils ont appris nos langues. Il n'y a que peu de temps que nous avons eu cette interdiction de nos façons de savoir, d'être et de faire. Dans les cent dernières années environ, et donc mes rêves sont, comment pouvons-nous rectifier cela? Comment le gouvernement fédéral rectifie-t-il cela? Et alors, comment les pouvoirs en place peuvent-ils aider à élever nos langues?

Et mes rêves sont que nous avons cet amour, cette compréhension et cette empathie pour les peuples originaux de cette terre. Et que personne n'est incarcéré. Que nous n'avons pas de toxicomanie. Que nous ne connaissons pas l'itinérance. Que nous n'avons pas de maladie mentale. Ce sont mes rêves, et je m'accroche à ça.

Annik : Randy?

Randy : J'espère que notre environnement est également intact. Et j'espère que nous aurons un premier ministre autochtone. Vous savez ce que je veux dire? Ce sont tous mes espoirs et mes rêves, mais je veux que mes enfants, mes petits-enfants soient dans ce monde, qui les valorisent pour qui ils sont.

Parce que vous savez, regardez-moi, partout où je vais, les gens ont peur de moi dans mes propres terres, mon propre territoire de traité. Les gens ont peur de moi. Je suis stéréotypé par le racisme dont je suis victime quotidiennement. Donc, je veux que l'avenir soit meilleur pour mes enfants et mes petits-enfants. Nous pouvons nous entendre et travailler ensemble de la maternelle jusqu'à l'université pour que la langue soit, vous savez, intégrée, l'enseignement de la langue, vous savez, tout le monde parle seulement la langue, c'est un de mes souhaits les plus précieux, mais je ne sais pas si je pourrai voir cela de mon vivant, mais c'est ce que je veux voir.

Annik : Y a-t-il quelque chose que je n'ai pas mentionné dont vous voudriez parler?

Belinda : Oh, je voudrais dire aux gens qui écoutent d'apprendre les noms originaux des nations qui vivent sur l'Île de la Tortue. Je ne sais pas exactement d'où viennent les mots « indigène » ou « autochtone », mais je préfère être appelée une nêhiyaw. Il y a plusieurs nations au Canada. Apprenez un salut, apprenez à dire bonjour dans les langues des terres où vous vivez. Heu, j'ai appris à dire uy' skweyl. Par exemple, ce ne sont que des petits mots très utiles, qui vont très loin. Surtout si vous êtes un visiteur. Heu, sur des terres dont vous n'êtes pas originaire et je ne suis pas sûre de l'avoir dit, mais encouragez vos enfants comme vous, vous savez, avec le sport, la danse ou la musique. Encouragez vos enfants à parler la langue et à participer à la culture. Ce ne sont que deux ou trois choses qui me viennent à l'esprit.

Annik : Vous venez d'écouter Hé-coutez bien! Merci à nos invités, Randy Morin et Belinda kakiyosēw Daniels, d'avoir pris le temps de nous parler. Vous pouvez vous abonner à cette émission à partir de tout endroit où vous accédez habituellement à vos balados. Vous y trouverez également la version anglaise, intitulée Eh Sayers. Si vous avez aimé cette émission, n'hésitez surtout pas à la noter, à la commenter et à vous y abonner. Merci de nous avoir écoutés!

Sources

Anderson, Thomas. « Chapitre 4 : Les jeunes autochtones au Canada. » Statistique Canada. Gouvernement du Canada, 1 décembre, 2021.

Statistique Canada. « Les langues autochtones au Canada, 2021. » Statistique Canada. Gouvernement du Canada, 29 mars, 2023.

« Les langues autochtones au Canada. » Statistique Canada. Gouvernement du Canada, 29 mars, 2023.

Hé-coutez bien! Épisode 15 - Moins de mésinformation, plus de vérité, s'il vous plaît!

Date de diffusion : le 13 décembre, 2023

Nº de catalogue : 45-20-0003
ISSN : 2816-2250

Hé-coutez bien! Saison 4, épisode 3 - Moins de mésinformation, plus de vérité, s’il vous plaît!

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Graphique de mésinformation 1

Moins de mésinformation, plus de vérité, s’il vous plaît! - Hé-coutez bien! Avec Timothy Caulfield

À l'ère des médias sociaux, de l'IA et de l'hypertrucage, il est primordial de savoir discerner les faits des faux renseignements. Aujourd'hui, nous n'avons plus nécessairement pour principale source d'information le bulletin de nouvelles télévisé de 18 h. Amis, famille, chercheurs, influenceurs, artistes, chefs d'antenne, annonceurs… Qui croire?

Timothy Caulfield, expert en mésinformation/désinformation, auteur, professeur à l'Université de l'Alberta et membre de l'Ordre du Canada, ainsi qu'Éric Rancourt, statisticien en chef adjoint à Statistique Canada, se joignent à nous pour aborder les défis liés à notre environnement de l'information et les mesures à prendre pour lutter contre la mésinformation.

Animatrice

Annik Lepage

Invités

Timothy Caulfield, Eric Rancourt

Narration

Chris Houle

Écoutez

Hé-coutez bien! Épisode 15 - Moins de mésinformation, plus de vérité, s'il vous plaît! - Transcription

Annik : Bienvenue à Hé-coutez bien!, un balado de Statistique Canada qui nous permet de faire connaissance avec les personnes derrière les données, et de découvrir les histoires qu'elles révèlent. Je suis votre animatrice, Annik Lepage.

Comme tout le monde, j'accède aux informations à partir de plusieurs différents endroits.

Pour beaucoup d'entre nous, Internet est notre principale source d'information, mais nos fils sont un étrange mélange disparate : organes de presse, créateurs de mèmes, groupes professionnels, influenceurs, et j'en passe.

C'est un labyrinthe truffé de personnes qui tentent de nous informer, de nous divertir, de faire de la publicité à notre intention… et de nous tromper. Je sais que je peux faire confiance aux données du recensement, mais qu'en est-il du reste?

Aujourd'hui, nous parlons de mésinformation. Et, je vous avise que j'utiliserai ce terme comme un terme un peu passe-partout, mais, en fait, il n'est pas si simple, comme nous le constaterons bientôt.

Timothy : Je m'appelle Timothy Caulfield. Je suis professeur à la faculté de droit et à l'école de santé publique de l'Université de l'Alberta.

Annik : Vous avez dédicacé votre dernier livre, je cite « À la science. Tiens bon. »Pourquoi?

Timothy : Oh, nous avons vécu une ou deux décennies difficiles, n'est-ce pas? On constate une sorte de mépris grandissant à l'égard de la science et des institutions scientifiques. Maintenant, je veux être clair, si vous sortiez et que vous interrogiez 1 000 personnes, la plupart des habitants du Canada diraient qu'elles font confiance à la science et aux scientifiques. Mais cette confiance commence à s'effriter, surtout si vous abordez des sujets particuliers.

Ainsi, une personne pourrait dire, je fais confiance à la science, mais lorsque vous lui demandez, qu'en est-il des vaccins? Qu'en est-il des changements climatiques? Qu'en est-il des suppléments? Qu'en est-il par exemple des autres types de thérapies non éprouvées? C'est là que ça devient intéressant. C'est donc l'une des raisons pour lesquelles j'ai dédicacé le livre à la science. Mais l'autre raison, c'est que j'ai l'impression que les institutions scientifiques sont en quelque sorte menacées. Et c'est vraiment déchirant parce qu'obtenir de bonnes données probantes, avoir des connaissances fiables, c'est d'une importance capitale pour les démocraties libérales et je pense qu'il y a actuellement une crise dans ce domaine.

Annik : Comme je l'ai dit plus tôt, je vais utiliser la mésinformation comme un terme passe-partout, mais techniquement ce n'est pas le cas. Il y a différents types de mésinformation. Comme l'explique Timothy.

Timothy : Oui, j'utilise également la mésinformation comme expression passe-partout, et tout le monde n'est pas d'accord que c'est une bonne stratégie. C'est en fait une sorte d'environnement complexe. L'environnement de l'information. Voyez-vous, je l'appelle le continuum de la mésinformation.

Donc d'un côté, nous avons de l'information que les fournisseurs savent être un mensonge, c'est clairement un mensonge; il n'y a aucune donnée probante pour la soutenir, et elle est proposée pour satisfaire un programme particulier, pour vendre des produits. Nous savons que c'est de la désinformation. L'intention est de répandre la mésinformation pour un tas de raisons.

Nous suivons ce continuum et nous allons trouver beaucoup de gourous du bien-être dans cette catégorie. Est-ce qu'ils y croient? Je ne sais pas. Cela semble scientifique mais est-ce qu'un gourou du bien-être croit vvraiment, qu'un nettoyage du côlon vous aide? Croient-ils vraiment que ces suppléments fonctionnent? Je ne sais pas. Je suis sceptique. Peut-être qu'ils se sont fait des illusions en pensant que ça marche, mais c'est encore faux. C'est toujours de la mésinformation. C'est nocif dans tous les cas.

Et si nous avançons un peu plus loin dans ce continuum, il y a des personnes qui croient vraiment qu'elles font ce qu'il y a de mieux, elles recherchent simplement le meilleur pour elles-mêmes, pour leur famille et leur communauté, et elles répandent cette information inexacte sans intention de nuire. Mais c'est encore de la mésinformation, et ça peut toujours nuire à autrui.

Alors oui, il y a tous ces autres niveaux dans ce continuum, et je pense que c'est un environnement complexe, et c'est important parce que la nature de la mésinformation peut éclairer la manière dont nous devrions nous y attaquer.

Annik : Les canulars existaient bien avant Internet. Il y a par exemple le géant de Cardiff, la sirène des Fidji, les fées de Cottingley. Mais comment la mésinformation moderne est-elle spéciale?

Timothy : Oui, j'adore regarder ces vieux canulars. En fait, je consomme beaucoup de mésinformation sur la santé, et j'adore regarder ces vieilles affiches sur des traitements bidons.

La mésinformation existe depuis toujours; dès que les êtres humains ont commencé à communiquer, je suis persuadé qu'il y avait de la mésinformation. Mais c'est différent maintenant.

Bien des gens pensent que la mésinformation a vraiment commencé à prendre de l'ampleur durant l'élection de 2016 aux États-Unis, et aussi à prendre une forme différente. Au-delà de ça, ce sont vraiment les médias sociaux qui y contribuent. Oui, c'est une réponse évidente, mais les médias sociaux ont vraiment transformé la mésinformation parce que par le passé, les gens n'avaient pas vraiment accès à des moyens de diffuser des idées, et Internet a en fait permis que ça prenne de l'ampleur. Internet a permis de créer des chambres d'écho, et des communautés qui croient à ce genre de choses ont vu le jour.

L'autre chose qui, à mon avis, se produit maintenant c'est que, comme l'environnement de l'information est devenu si trouble, et je pense que notre environnement de la connaissance est devenu très trouble aussi, il est plus facile de trouver des semblants de légitimité pour donner un aspect de crédibilité à une opinion. Par exemple, il existe de mauvaises données scientifiques vers lesquelles les gens peuvent pointer, pour donner l'impression que leur point de vue est plus légitime.

En plus, une des choses que je trouve vraiment effroyable, c'est à quel point la mésinformation est devenue idéologique. Oui, il en a toujours été ainsi. Vous savez, il y a toujours eu une composante idéologique dans la mésinformation. Mais cet aspect évolue assez rapidement. Et si vous regardez la situation dans le domaine de la santé, domaine dans lequel j'effectue mes recherches, c'est incroyable, mais tout a désormais une composante idéologique, que vous parliez de vaccins, que vous parliez de suppléments, que vous parliez de traitements sans fondement scientifique pour l'autisme. Il y a cette perspective idéologique à travers laquelle tout est projeté, et c'est vraiment effrayant parce qu'une fois que quelque chose est empreint d'idéologie, il devient beaucoup plus difficile de modifier la mentalité des gens.

Annik : Selon une récente Enquête sociale générale menée par Statistique Canada, le moyen le plus souvent utilisé pour suivre les nouvelles et l'actualité est Internet, suivi de la télévision. Pourriez-vous nous expliquer comment la différence de point d'accès à l'information est déterminante?

Timothy : Bien des recherches récentes ont trouvé une forte corrélation entre l'endroit où nous obtenons nos renseignements et si nous croyons à la mésinformation et si nous partageons cette mésinformation. Eh oui, c'est vrai, cela importe vraiment. Ainsi, il n'est pas surprenant que si quelqu'un prend ses renseignements sur les médias sociaux, il sera plus susceptible de croire à la mésinformation et plus susceptible de la propager. Si une personne prend ses nouvelles dans les médias traditionnels, comme les journaux bien connus, les radiodiffuseurs qui existent depuis longtemps, elle est moins susceptible de croire à la mésinformation et moins susceptible de partager la mésinformation. C'est très corrélationnel à l'éducation et à l'économie sociale. Mais c'est toujours pertinent parce que ça nous ramène aux chambres d'écho, où les gens obtiennent leurs informations importantes.

En fait, une étude a été publiée cette année qui révèle que le plus fort prédicteur de la croyance à l'efficacité des traitements contre la COVID est l'émission de nouvelles par câble regardée. En fait, il s'agit de résultats pour le grand public mais cette statistique tient aussi pour les médecins. Ils ont donc trouvé qu'aux États-Unis, l'avis de votre médecin en ce qui concerne les traitements contre la COVID est davantage influencé par les émissions de nouvelles par câble qu'ils ont regardées que par les écrits scientifiques qu'ils ont lus. C'est tout simplement terrifiant! Et ça montre vraiment à quel point les choses se sont polarisées et sont devenues une question d'idéologie, et une question d'où les gens obtiennent leurs informations.

La dernière chose que je vais dire à ce sujet, c'est que je pense aussi que cela révèle la nature chaotique de notre environnement informationnel. Alors, si vous obtenez vos renseignements des plateformes de médias sociaux, d'Internet, vous recevez beaucoup plus de renseignements que ce que vous cherchiez, en fait. Vous savez, certaines plateformes comme TikTok poussent l'information vers vous. Instagram fait de même. Toutes les plateformes font ça dans une certaine mesure. Alors nous savons que lorsque nous sommes bombardés de renseignements, nous sommes moins susceptibles de les examiner de façon critique. Donc, nous devons vraiment réfléchir à la manière dont nous pouvons inviter les gens à faire une pause dans cet environnement d'information frénétique pour, alors, mettre en pratique leur pensée critique. Quand l'information vient vers vous, elle vous enveloppe et elle joue sur vos préjugés cognitifs, elle joue sur vos peurs et vos idées préconçues; la mésinformation peut vraiment prendre place, et donc nous devons trouver des stratégies pour la faire reculer.

Annik : Pourriez-vous parler des rouages des médias sociaux? Je parle d'algorithmes, de chambres d'écho et du rôle qu'ils jouent dans l'accès à l'information pour le citoyen ordinaire.

Timothy : Je pense qu'il est vraiment important de reconnaître une chose : l'idée est que les algorithmes qui propulsent les moteurs de recherche, qui propulsent pratiquement toutes les plateformes de médias sociaux sont conçus pour exploiter nos préjugés cognitifs. De nombreux travaux intéressants ont porté sur la manière dont ils jouent sur la peur. Ils jouent sur vos penchants idéologiques. Ils jouent sur votre désir d'être vus au sein d'un groupe. Ces algorithmes, pour cette raison, facilitent non seulement la diffusion de la mésinformation, mais la création de chambres d'écho, qui rend légitime la désinformation et met l'accent sur celle-ci. Je pense que nous avons vraiment besoin de plus de transparence sur ce qui se passe réellement avec ces algorithmes.

En tant qu'individus, en tant que public, nous devrions reconnaître que ces algorithmes sont conçus pour obtenir de l'attention; ils sont conçus pour obtenir des clics, ils sont conçus pour vous embarquer. Et ils le font en jouant avec nos préjugés cognitifs.

Comme je l'ai dit plus tôt, cela nous touche tous. J'ai fait des erreurs moi-même, je me suis fait avoir alors que ce ne serait pas arrivé si j'avais simplement fait une pause pour me rappeler que ces algorithmes sont conçus pour nous tromper en quelque sorte.

Annik : Tant de gens reçoivent des extraits de renseignements : des extraits sonores sur les médias sociaux, une grosse manchette dans une notification sur leur téléphone intelligent. Pourquoi est-ce un problème quand les gens comptent sur ces minuscules infobulles pour leurs nouvelles?

Timothy : C'est, je pense, devenu la façon dont nous obtenons nos nouvelles désormais, n'est-ce pas? Et parfois je suis coupable de ça. Et je veux dire, il y a eu beaucoup d'études vraiment intéressantes menées sur la manière dont les gens ne lisent que les grosses manchettes et à quel point il est rare que les gens cliquent sur le contenu réel. Et nous savons aussi que le fait de ne pas faire de pause, de ne pas essayer d'appliquer vos compétences de pensée critique est corrélé avec la croyance en la mésinformation et la diffusion de la mésinformation.

Et l'autre chose que nous devons nous rappeler c'est que la situation que vous avez décrite, cet environnement d'information frénétique, ça joue aussi sur nos émotions. Donc, c'est un véritable scénario catastrophe. Parce que nous avons ces algorithmes, qui nous connaissent en quelque sorte maintenant et ils nous présentent des titres et du contenu, et des images et des mèmes qui jouent sur nos idées préconçues, qui jouent probablement dans une certaine mesure sur notre idéologie. Et nous sommes donc plus susceptibles de l'intérioriser. C'est pour ça qu'il faut encourager les gens à s'arrêter un moment. Des chercheurs comme Gordon Pennycook à l'Université de Cornell et David Rand à la MIT, ont mené des études vraiment intéressantes qui ont mis en évidence la valeur de marquer une pause, juste pour un instant, pour être moins susceptibles de croire à la mésinformation, moins susceptibles de partager la mésinformation. Et l'autre chose qui, à mon avis, est vraiment importante, c'est le degré auquel ce monde frénétique de pièges à clic dans lequel nous vivons, joue aussi sur nos émotions. Des travaux vraiment intéressants menés par des gens comme Kate Starbird, à l'Université de Washington, postulent que, si le contenu vous rend émotionnel votre instinct ne devrait pas être de le partager ou de l'intérioriser. Votre instinct devrait vous recommander d'être sceptique. Vous savez, quand ça me fait me sentir émotionnel, que ça me met en colère, que ça me fait ressentir de la crainte ou que j'ai l'impression que mon équipe vient de marquer un touché, cela devrait être pour moi un signal de marquer une pause et de revérifier l'information parce que c'est l'algorithme qui, en fait, a pris le contrôle. Et ne tombez pas dans le panneau! Prenez une pause et appliquez ces compétences de pensée critique.

Annik : Cela mène en fait à ma prochaine question, qui était : dans mes recherches pour cet épisode, j'ai découvert à maintes reprises que la mésinformation était plus susceptible d'être partagée sur les médias sociaux si c'était une mauvaise nouvelle, et plus la manchette était dramatique, négative, choquante, plus il était probable qu'elle soit repartagée. Pouvez-vous parler de biais de négativité et du rôle qu'il joue sur notre attention?

Timothy : Oui, il y a beaucoup de recherches vraiment intéressantes menées sur ce sujet. Et, certaines d'entre elles sont très récentes. Une étude a été publiée qui confirme exactement ce que vous venez de dire. Ils ont examiné le rôle du biais de négativité dans le partage de la mésinformation dans le contexte de la COVID, et ils ont constaté que c'était un facteur dominant. Et nous le savons depuis très longtemps. Les manchettes négatives surpassent les manchettes positives. Une étude publiée plus tôt cette année a révélé que, pour cette raison, au cours des deux dernières décennies, les grosses manchettes négatives, effrayantes et inquiétantes étaient de plus en plus fréquentes. Et les manchettes qui portent sur la joie diminuent en fréquence. Donc, tout cela est lié au biais de négativité.

Et le biais de négativité, comme vous le savez bien, c'est l'idée que, si quelque chose est effrayant, nous sommes plus susceptibles de nous en souvenir, plus susceptibles, en fait, de prendre les mesures nécessaires. Ce qui est tout à fait logique en tant que biais cognitif. Pendant la majeure partie de l'histoire humaine, il fallait se souvenir des choses qui faisaient peur, n'est-ce pas? Par exemple, attention, il y habituellement des tigres là-bas, ne mange pas ce fruit toxique!… Mais c'est en train de se retourner contre nous.

Donc, avec notre propre initiative de mot-clic #LaSciencedAbord, nous essayons de contrer la mésinformation d'une manière positive. Nous voulons être constructifs. Nous ne voulons pas tomber dans ce piège de la campagne de la peur. Mais quand vous luttez contre le biais de négativité, cela peut être difficile. Il y a eu des études qui ont découvert que les messages de santé publique qui contiennent un petit élément effrayant surpassent ceux qui sont entièrement positifs. Alors, combattez-vous le feu avec le feu, ou essayez-vous de penser à d'autres stratégies créatives, qui peuvent encore faire gagner du terrain à votre contenu, mais qui ne contribue pas nécessairement à une vision négative du monde? J'aime davantage ce dernier que le premier. Essayons d'être positifs. Le monde a besoin d'un peu plus de positivité.

Annik : Que pensez-vous de l'idée que nous devrions accorder aux deux côtés d'un enjeu une considération à parts égales?

Timothy : Je ne pense pas qu'on le dise assez, le fait que notre environnement d'information actuel est une machine à équilibre précaire. Alors, qu'est-ce que j'entends par là? Hum, les points de vue marginaux, les points de vue contradictoires, les points de vue minoritaires, sont souvent des points de vue qui ne sont pas soutenus par la science, sont élevés dans notre écosystème de l'information pour les faire apparaître comme équivalents à l'ensemble des données probantes, le consensus scientifique. Nous voyons cela se produire avec les vaccins, avec le climat. Cela s'est produit avec pratiquement tous les sujets controversés auxquels vous pouvez penser.

Et il y a eu, il y a eu des recherches vraiment intéressantes, comme une étude réalisée en Europe, qui mettait en évidence le degré auquel cela représente un problème. Dans le cadre de cette étude, on a demandé à des milliers de personnes à quel point il y a consensus dans la communauté médicale au sujet de l'innocuité et de l'efficacité des vaccins contre la COVID. Et 90 % des gens ont répondu qu'ils croyaient que la communauté médicale était divisée. Et que 50 % pensaient que ces vaccins n'étaient peut-être pas sécuritaires et qu'ils n'étaient pas efficaces … quand en réalité, plus de 90 % ont pensé cela. C'est préoccupant quand on pense que 90 % des gens croyaient qu'il y avait un manque de consensus dans la communauté médicale.

Et le problème c'est que la recherche a constamment démontré qu'un équilibre précaire peut avoir une incidence sur la perception publique, il peut avoir une incidence sur les comportements en matière de santé; il peut amener une certaine hésitation à se faire vacciner. Nous devons donc faire un meilleur travail, en présentant le consensus scientifique à la communauté.

Je pense qu'il est également très important de souligner le fait de parler du consensus scientifique. Il ne s'agit pas de ne pas respecter les positions scientifiques controversées, et souvent c'est comme ça que les semeurs de doute essaient de dépeindre le consensus scientifique. Oh, ce ne sont que des moutons! Ce ne sont que des gens qui ont acquis une mentalité de pensée collective. Au contraire, les scientifiques remettent toujours en question le consensus scientifique, et les opinions controversées sont très importantes, mais ces opinions scientifiques doivent être présentées dans des forums scientifiques. Il s'agit d'utiliser la science pour soutenir votre position. Et si, si vous pouvez le faire, votre position finira par s'élever. Le consensus scientifique est important.

OK, la dernière chose que je vais dire à ce sujet, c'est de confirmer ce que je viens de dire. Toute cette idée du consensus scientifique par opposition à ces points de vue marginaux n'est en fait que controversée pour des sujets devenus politiques. Et, vous savez, personne ne s'inquiète de ce que le consensus scientifique ne soit pas vrai quand ils montent à bord d'un avion. Et au fait, ces points de vue marginaux, c'est ce que nos propres recherches ont trouvé largement surreprésenté. Ils ne sont pas réduits au silence. Ils ne sont pas censurés. Ils sont largement surreprésentés dans la sphère publique.

Annik : StatCan est un producteur et un communicateur de données. En tant que tel, il s'engage régulièrement dans cette sphère publique, qui, comme nous venons de l'entendre, est beaucoup plus complexe qu'elle ne l'était auparavant : la mésinformation, la désinformation, la mauvaise science, des fils de nouvelles encombrés…

Peut-être que le statisticien en chef est celui qui l'a dit le mieux dans un discours en 2019 :

Anil : Lorsqu'il est question de mégadonnées, nous devons reconnaître que le volume n'est pas synonyme de qualité.

Annik : Le volume sans la qualité équivaut à une surcharge d'informations.

Le travail de StatCan consiste à fournir aux Canadiens les renseignements dont ils ont besoin. Alors comment l'organisme navigue-t-il dans cet environnement informationnel?

Nous avons rencontré un expert, qui nous accordé une entrevue.

Eric : Eric Rancourt, Statisticien en chef adjoint et dirigeant principal des données à Statistique Canada

Annik : De quelle manière Statistique Canada perçoit-il l'énorme vague d'informations qui déferle sur les Canadiens? Surtout étant donné que nous savons que des personnes malveillantes diffusent intentionnellement de la désinformation pour nous induire en erreur?

Eric : En fait, c'est un changement de contexte qu'on vit. Statistique Canada opère depuis plusieurs années dans un contexte où on a mis en place des sondages, des programmes statistiques qu'on contrôle, basés sur des échantillons et des façons scientifiques de recueillir l'information. Maintenant, avec toute l'information qui se trouve sur internet, qui est disponible partout dans la société, toute cette information-là qui déferle change la donne.

C'est pour ça qu'on a adopté un programme de modernisation qui est en fait un état d'esprit, une façon de toujours s'assurer qu'on répond bien aux besoins des utilisateurs et qu'on utilise des méthodes qui sont à la fine pointe pour justement tenir compte du fait qu'il y a ces changements-là. C'est donc important de s'assurer de produire de l'information de qualité avec des méthodes scientifiques modernes, la science des données et on tient compte de ces nouvelles sources, en intégrant l'information d'une façon qui permet de produire de l'information valide.

Annik : La mésinformation érode la confiance des Canadiens en général. Quelles sont les conséquences si les Canadiens ne savent pas à qui faire confiance et pourquoi la confiance est-elle essentielle?

Eric : C'est très important la confiance envers un système statistique parce que l'information qui est produite va mener à des prises de décision, que ce soit par ceux qui mettent en place des politiques, que ce soit ceux qui gèrent des entreprises ou les personnes dans la vie privée. L'information qui est utilisée mène à des décisions qui pourraient avoir un impact sur les personnes si c'est de la mauvaise information qui a été utilisée. Dans un organisme comme Statistique Canada, on s'assure d'être très transparent sur les méthodes qu'on utilise. C'est pour ça qu'on a un centre de confiance sur notre site web où les gens peuvent aller voir ce qu'on est en train de faire, ce qu'on collecte comme information, ce qu'on prévoit collecter et ça donne de l'information aussi sur comment nous contacter si jamais les gens ont des questions.

Annik : Si la mésinformation sème la méfiance, elle menace bien plus que notre système statistique national. Alors, pourquoi ? Pourquoi quelqu'un diffuserait-il intentionnellement des informations erronées ? J'ai posé cette question à Timothy

Annik : À qui profite la mésinformation?

Timothy : J'avoue que c'est une bonne question. Et puis, je comprends tout à fait parce que, voyez-vous, les gens disent : pourquoi les opposants aux vaccins avancent-ils ce genre de choses? Pourquoi, les gens essaient-ils de créer un doute sur la nature des changements climatiques? Eh bien, très souvent il y a de l'argent en jeu. Il y a beaucoup d'argent en jeu! Des études intéressantes ont examiné dans quelle mesure ceux qui diffusent la mésinformation en bénéficient. Donc, juste pour donner un exemple, de nombreux opposants aux vaccins vendent également des suppléments, ou ils vendent d'autres produits de santé. Ils vendent souvent des produits qui alimentent la peur au moyen de choses comme les vaccins.

Annik : Qui sont les plus vulnérables dans cette conversation?

Timothy : Je pense que nous sommes tous vulnérables. Je pense que nos institutions sont vulnérables. Je pense aussi que la diffusion de la mésinformation et de toutes les choses dont nous avons parlé peuvent aussi, polariser nos communautés d'une manière qui approfondi les enjeux d'équité. Je pense qu'il y a certaines communautés qui sont potentiellement plus vulnérables. Je pense que nous sommes tous vulnérables à la propagation et au préjudice de la mésinformation, et je pense que c'est un point très important que nous ne devrions pas oublier. Je veux dire, cela nous affecte tous. Cela a des répercussions sur nos établissements de soins de santé, sur les fournisseurs de soins de santé, sur les patients, sur les populations, sur les collectivités. Il faut s'en rappeler au moment d'élaborer des stratégies pour contrer la mésinformation.

Annik: Quel est le rôle d'une recherche et de données de qualité dans la lutte contre la mésinformation?

Timothy : Je pense, en fait, qu'il y a un peu de crises de la création de connaissances en ce moment. Je pense vraiment que les démocraties libérales du monde entier devraient faire de la création d'une science digne de confiance une priorité. Et qu'est-ce que je veux dire par là? Il y a une crise de réplication qui se produit. Des journaux prédateurs polluent notre écosystème de connaissance. Il y a des articles zombies qui ne disparaissent tout simplement pas et qui sont toujours cités. Nous devons créer une science indépendante et fiable, qui est distribuée d'une manière que le public puisse avoir confiance en elle. Et c'est absolument essentiel dans la lutte contre la mésinformation, pour informer nos politiques et pour créer de la confiance au sein de la communauté de façon plus large.

Annik : Quels conseils donneriez-vous à quelqu'un qui souhaite demeurer informé, mais qui ne sait pas comment naviguer dans ce milieu?

Timothy : Tout d'abord, arrêtez un instant… cette simple stratégie peut vraiment faire une différence. Je crois qu'en essayant de ralentir un peu notre environnement d'information, on peut ralentir ce bombardement.

L'autre chose que nous devons faire, c'est d'amener les gens, je pense, à mieux comprendre les données probantes, la nature des données probantes; une anecdote n'est pas la même chose que des études bien réalisées. Et seulement enseigner aux gens ce truc très simple, je pense, et le soutien de la recherche peut vraiment faire une différence. Et c'est quelque chose que vous pouvez déployer au quotidien, n'est-ce pas? Je pense aussi que, quand des choses comme l'intelligence artificielle deviennent plus courantes, nous allons devoir inviter les gens à utiliser des compétences de vérification des faits, encore plus

Annik : Alors qu'est-ce qui fait qu'une source d'information est fiable? Comment le savoir? C'est ce que nous avons demandé à Eric, notre expert en information

Annik : Qu'est ce qui rend une source d'information fiable? Par exemple le recensement? Qu'est-ce qui différencie une diffusion des données du recensement des autres sources que les Canadiens peuvent trouver en ligne par exemple?

Eric : D'abord, c'est produit par une institution qui est une institution de confiance— Statistique Canada. Alors la source de l'information devrait toujours être consultée. Si on regarde ce qui est disponible sur Internet, ce n'est pas toujours de sources fiables. C'est le premier point Ensuite est-ce que les méthodes qui ont été utilisées est-ce que les processus en place est-ce que les techniques sont fournies aux utilisateurs.

Statistique Canada est très transparent sur les approches prises sur les méthodes utilisées, et ce n'est pas toujours le cas sur ce qu'on trouve sur Internet. Donc ça, c'est un indicateur de la confiance qu'on peut attribuer à une source d'information. Est-ce que l'information qui est présentée est de qualité? Est ce qu'il y a des fautes dans la façon que c'est présenté? Est-ce que c'est de l'information qui est bien compréhensible? Ça aussi, c'est un indice de confiance envers le producteur d'information et les données comme telles et rendre disponibles des points de contact ou des personnes qu'on peut contacter et être disponible pour discuter de l'approche qui a été prise ça aussi, c'est une preuve de solidité dans l'approche et la façon de produire les données. Donc tout ça, ce sont des éléments qui permettent de faire confiance à une source de données. En fait, c'est très difficile d'avoir confiance en des données, les données, c'est juste un chiffre, c'est un point. La confiance, c'est toujours tourné envers une institution.

Annik : Puis qu'est-ce qu'on peut faire par rapport à la mauvaise information?

Puis quand je dis nou, je parle des Canadiens ordinaires.

Eric: La première chose, c'est qu'il faut être conscient qu'il y a vraiment la possibilité que l'information ne soit pas toujours bonne. Il faut être alerte dans notre façon d'utiliser l'information. D'où vient cette information-là? Il faudrait essayer de trouver en tant que personne, il faut trouver quelle est la source de l'information et est-ce que c'est une source fiable, par exemple Statistique Canada, une université, des endroits comme ça. Et est-ce que les méthodes qui ont été utilisées est-ce qu'elles sont rendues disponibles? Ce n'est pas nécessaire de comprendre et de connaître tous les détails des méthodes utilisées, des approches utilisées mais le fait qu'elle soit rendue disponible ça c'est en soi un indicateur du fait qu'on peut faire confiance à une source comme ça. Si on trouve l'information et qu'elle est douteuse, on ne devrait pas la faire suivre et la passer à des amis ou des collègues. On devrait ne pas proliférer ce genre d'information-là. Et si jamais par hasard, on sait quelle est la vraie information c'est toujours possible de la corriger. Mais dans un contexte comme la production d'information à Statistique Canada, c'est toujours possible pour les gens de contacter Statistique Canada et de poser des questions sur comment l'information a été produite, pourquoi, etc., et ça, c'est une pratique qui devrait être utilisée peu importe la source de données,

Annik : On ne peut pas le dire assez. StatCan produit des données de grande qualité dignes de votre confiance. C'est inestimable dans cet environnement d'information, mais l'organisme dépend de vous, met sa confiance en vous, pour les créer.

Annik : Si quelqu'un veut en savoir plus au sujet de vos travaux, où devrait-il aller?

Timothy : Eh bien, je suis facile à trouver en ligne. Je suis sur plusieurs plateformes de médias sociaux : @CaulfieldTim. C'est là que je m'exprime, et nous avons notre propre projet de lutte contre la mésinformation, appelé #LaScienceDabord, où nous essayons de contrer la mésinformation et de parler de littératie scientifique, de littératie des médias d'une manière très constructive et positive en utilisant diverses voix de partout au Canada. Venez donc vous joindre à l'équipe de LaScienceDabord.

Annik : Si quelqu'un veut en savoir plus sur ce sujet où peut-on trouver ces renseignements?

Eric : On peut commencer par le site web de statistique Canada où il y a le Centre de confiance qui explique ce qu'on fait comme la collecte d'information, ce qu'on prévoit faire, et aussi à cet endroit-là, on peut trouver de l'information sur comment contacter Statistique Canada pour en savoir plus.

Annik : Vous venez d'écouter Hé-Coutez bien! Merci à nos invités, Timothy Caulfield et Éric Rancourt, d'avoir pris le temps de nous parler.

Vous pouvez vous abonner à cette émission à partir de tout endroit où vous accédez habituellement à vos balados. Vous y trouverez également sa version anglaise, intitulée Eh Sayers. Si vous avez aimé cette émission, n'hésitez surtout pas à la noter, à la commenter et à vous y abonner.

Une dernière chose! Si vous avez aimé entendre les histoires qui se cachent derrière les données dans le cadre de notre balado, vous pouvez avoir accès à encore plus de contenu en téléchargeant notre application mobile, StatsCAN. Accédez aux plus récentes publications et soyez informé de la diffusion de nouveaux renseignements qui correspondent à vos intérêts, comme l'agriculture et l'alimentation, la santé ou la science et la technologie. Vous pouvez télécharger gratuitement l'application StatsCAN à partir des boutiques d'applications d'Apple et de Google. Jetez-y un coup d'œil!

Merci de nous avoir écoutés!

Sources

Statistique Canada. « La consommation des médias au Canada : les Canadiennes et les Canadiens sont-ils bien informés? » Statistique Canada. Gouvernement du Canada, 28 mars 2023.

« Le Centre de confiance de Statistique Canada. » Statistique Canada. Gouvernement du Canada, 7 février 2023.

Hé-coutez bien! Épisode 14 - Ça c'est mon genre : un recensement qui ne mégenre pas

Date de diffusion : le 21 août 2023

Nº de catalogue : 45-20-0003
ISSN : 2816-2269

Ça c’est mon genre : un recensement qui ne mégenre pas

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Graphique de genre 1

Graphique de genre 2

Gens de tous genres! 

Bien que chaque recensement soit spécial et important, celui de 2021 était historique. C’était le premier à inclure une question sur le genre, faisant du Canada le premier pays à recueillir et à publier des données sur la diversité des genres provenant d’un recensement national.

Dans cet épisode, nous explorons les questions sur le genre avec le drag king Cyril Cinder, et nous parlons du Recensement de 2021 avec Laurent Martel de StatCan.

Animatrice

Annik Lepage

Invités

Cyril Cinder, Laurent Martel

Narration 

Valérie Legault, Stéphanie Lepage

Écoutez

Hé-coutez bien! Épisode 14 - Ça c'est mon genre : un recensement qui ne mégenre pas - Transcription

[Extrait de Molly’s Tuxedo]

Annik : Bienvenue à Hé-coutez bien!, un balado de Statistique Canada où nous faisons connaissance avec les personnes derrière les données et découvrons les histoires qu’elles révèlent. Je suis votre animatrice, Annik Lepage, et je chuchote parce que c’est l’heure du conte drag. Chut!

[Extrait de Molly’s Tuxedo]

Vous venez d’entendre une partie du livre Molly’s Tuxedo, de Vicki Johnson, dans lequel Molly doit décider si elle doit porter la robe que sa mère a choisie pour sa journée photo d’école ou le tuxedo qu’elle veut vraiment porter. C’est un livre qui explore le genre d’une manière adaptée aux enfants. Vous entendrez peut-être Molly’s Tuxedo lu à l’heure du conte, et si vous êtes dans la région d’Ottawa, vous l’entendrez peut-être lu par Cyril Cinder.

Cyril : Je suis Cyril Cinder et je suis un artiste de drag et drag king établi à Ottawa, qui se produit depuis 2014.

Annik : Qu’est-ce qu’un drag king?

Cyril : Les drag kings sont des artistes de drag qui incarnent et mettent en scène des personnages masculins dans leurs spectacles. Il peut s’agir de parodies, d’explorations ou d’expansions des normes masculines, ou d’autres types de performances. Les drag kings peuvent être suaves, ils peuvent être comiques, ils peuvent être caricaturaux, extravagants et plus grands que nature. Les drag kings peuvent être absolument n’importe qui et n’importe quoi.

Annik : D’où vient le nom de Cyril Cinder?

Cyril : C’est moi qui me suis donné mon nom drag. Ce n’est pas toujours le cas. Parfois, on vous donne votre nom, mais sur la scène canadienne, nous choisissons habituellement nos propres noms, et je voulais un nom qui évoquait l’alter ego d’un super vilain du cinéma.

En plus, l’allitération sonne cool. J’y suis donc allé avec Cyril Cinder.

Annik : Je l’adore. Quel genre de représentations donnez-vous?

Cyril : J’ai tendance à m’inspirer de la grande tradition de la drag, qui est le spectacle de « lip-sync ». Je donne des spectacles dans des bars et différents autres endroits, des salles de musique. Je suis également un artiste de l’heure du conte, alors je divertis des enfants, des familles et des publics de tous les âges en leur faisant la lecture. Je suis également conférencier et je me rends à des conférences pour parler de ce que je fais en tant que drag king, de la recrudescence des attaques contre la communauté 2ELGBTQIA+ au Canada et de la façon dont ces attaques ont tendance à cibler les artistes de drag. Je parle aussi de la santé mentale parce que je travaille également comme psychothérapeute agréé.

Annik : Pourquoi l’heure du conte drag est-il important pour vous?

Cyril : L’heure du conte drag représente plusieurs choses importantes pour moi. Tout d’abord, c’est une initiative en faveur de l’alphabétisation. Chaque fois que nous faisons quelque chose pour rendre la lecture un peu plus amusante, nous encourageons les enfants à s’intéresser davantage à la lecture et à aimer les livres, et l’alphabétisation est un fondement essentiel de notre société. Aussi, il s’agit d’une initiative de lutte contre l’intimidation, n’est-ce pas? Que ce soit la première fois ou non que nous exposions les enfants à un modèle queer positif, ou à quelqu’un un peu moins conforme du point de vue du genre ou qui ne correspond pas tout à fait aux archétypes ou à la binarité de genre auxquels ils sont souvent exposés à la maison, à l’école et dans les médias, c’est une occasion pour eux de voir que ce n’est pas si étrange que ça, que c’est correct, qu’il n’y a rien de trop bizarre à être fabuleux, étincelant et amusant. Et si nous pouvons présenter aux enfants des modèles positifs de différentes formes de diversité à un jeune âge, à mesure qu’ils vieillissent, cela devient de moins en moins un axe de différence pour eux, quelque chose qu’ils peuvent isoler ou choisir au sujet de leurs pairs et dire « Oh, tu n’es pas comme moi de cette façon ». Cela devient quelque chose qu’ils peuvent dire : « Oh oui, il y a des gens comme ceci. C’est normal. C’est correct. »

Annik : Vous avez parlé de binarité et d’archétypes pour les petits garçons et les petites filles. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Qu’est-ce que la binarité de genre et pourquoi est-ce un problème?

Cyril : La binarité de genre est cette idée qu’il n’y a que deux genres. Le genre est distinct du sexe. Le sexe est un ensemble de caractéristiques biologiques. Le sexe n’est pas non plus une binarité réelle entre sexe masculin et sexe féminin, et cette non-binarité du sexe, nous ne la voyons pas uniquement dans l’espèce humaine : elle est aussi présente chez plusieurs autres espèces. Il existe donc beaucoup, beaucoup d’expressions biologiques différentes qui ne cadrent pas à l’archétype rigide sexe masculin-sexe féminin.

Le genre est différent du sexe. Le genre est une expérience de son genre, de son rôle et de son identité au sein de la société : le concept d’être masculin, féminin, androgyne. L’idée de plutôt être de sexe masculin ou de sexe féminin, être homme ou femme. Et bien que les archétypes et les rôles binaires des hommes et des femmes ne saisissent pas toute l’étendue de l’expérience du sexe, la binarité de la femme et de l’homme ne saisit pas non plus toute l’étendue de l’expérience que les humains peuvent avoir de leur genre et de leur identité de genre.

La binarité de genre peut être utilisée pour contrôler les personnes. On peut s’en servir pour forcer les gens à faire des choses qu’ils ne veulent pas pour eux-mêmes. Les attentes à l’égard des hommes sont très fortes, comme sur le genre d’émotions qu’ils sont autorisés à montrer, le genre de carrière qu’ils sont autorisés à poursuivre, la manière dont ils sont censés se sentir à propos des soins, du sexe, de l’autorité ou de n’importe quoi d’autre. Et ces attentes sont tout aussi dommageables pour les personnes de tous les genres. Vous savez, les femmes se font dire de ne pas être trop autoritaires, qu’elles sont trop émotives, qu’on ne peut pas leur faire confiance pour prendre des décisions ou être dans des positions de leadership, non? Ce genre de boîtes dans lesquelles on force les gens. Et les personnes qui n’ont pas l’impression de s’intégrer dans l’une ou l’autre des options de binarité de genre, sexe masculin ou sexe féminin, des gens qui font partie du très vaste spectre non binaire, méritent vraiment que leur expérience du genre soit comprise, respectée et validée.

Annik : Quels sont vos pronoms préférés?

Cyril : Je m’identifie en fait comme non binaire à l’extérieur de la scène drag, mais mon personnage drag, Cyril Cinder, est un homme dont l’identité de genre est celui de ce personnage. Donc, quand je suis en drag, j’utilise exclusivement les pronoms « il/lui », mais quand je ne suis pas en drag, j’utilise les pronoms « elle/il/iel ». En fait, je me sens à l’aise avec tous les pronoms. Mais chaque fois que je fais référence à Cyril Cinder, le personnage drag, je préfère toujours utiliser « il/lui ».

Annik : Est-ce difficile de vivre comme une personne non binaire?

Cyril : Ça peut l’être. Je pense que je n’éprouve pas certaines des difficultés que d’autres personnes non binaires comme moi pourraient éprouver à cause de ma flexibilité avec les pronoms. Je suis à l’aise si quelqu’un me désigne comme « elle » parce qu’on m’a assigné le sexe féminin à la naissance et que, vous savez, quand je ne suis pas en drag, je me présente de manière quelque peu féminine, alors quand quelqu’un me regarde, il se dit « Ah, une femme ». Ce n’est pas correct, mais ce n’est pas non plus la pire chose au monde pour moi.

En même temps, il y a d’autres personnes pour qui ce serait troublant, bouleversant et invalidant. Je pense qu’elles doivent composer avec de plus grandes difficultés. Une personne qui utilise exclusivement le pronom « iel » et qui doit peut-être corriger sans cesse les gens qui ne respectent pas son pronom ou qui refusent ouvertement de l’utiliser en raison d’une croyance qu’ils ont et d’un désir d’invalider cette personne.

Et c’est vraiment difficile parce que vous évoluez dans le monde où vous essayez de dire aux gens qui vous êtes. Nous avons ce désir humain inné d’être vus par les personnes qui nous entourent. Nous sommes un animal social. Nous vivons dans une société. Nous ne nous débrouillons pas bien seuls. Nous ne sommes pas faits pour cela. Donc, quand on essaie de dire à quelqu’un « Hé, c’est qui je suis » et qu’il dit « Non, ce n’est pas qui tu es. Je te connais mieux que toi, et en fait, ce que tu fais, c’est vraiment un problème. C’est vraiment dangereux. En fait, c’est vraiment mauvais et tu devrais en avoir honte », c’est une expérience que personne ne veut vivre lorsqu’on essaie de commander un café ou de parler à son patron ou de simplement vaquer à ses occupations quotidiennes.

Annik : Vous êtes un drag king. Vous êtes un artiste. La drag, c’est un spectacle, absolument, mais en quoi le genre est-il aussi un spectacle?

Cyril : Le genre est un spectacle. C’est quelque chose que nous mettons en scène, que nous soyons vêtus d’une robe, d’un costume trois-pièces ou des deux à la fois.

Nous avons une identité de genre et nous avons une expression de genre. Ce sont deux choses différentes. La manière dont une personne s’identifie à un genre peut être différente de la manière dont elle l’exprime. Je suis non binaire. Et c’est donc mon identité de genre, mais j’ai une expression de genre très féminin. Je peux également présenter une expression de genre très masculin. C’est assez fluide pour moi. Cela varie beaucoup. Ce n’est peut-être pas tout le monde qui a la même expérience, mais c’est important de pouvoir exprimer ces différentes facettes, car nous ne faisons qu’enrichir notre compréhension de l’expérience humaine.

Annik : L’expérience humaine et la diversité de cette expérience sont certainement riches en couleur. L’identité de genre, en particulier, est fascinante, mais ce n’est pas quelque chose que nous, à Statistique Canada, avons mesuré… jusqu’à maintenant!

Annik : Pourquoi le Recensement de 2021 a-t-il été si important?

Laurent : Oui, alors le Recensement de 2021 a été en fait le premier recensement canadien à inclure une question sur le genre des personnes.

Annik : Il s’agit, bien sûr, de notre expert en recensement à StatCan.    

Annik : Pourriez-vous vous présenter avec votre nom et votre fonction?

Laurent : Oui, alors mon nom est Laurent Martel, et je suis le directeur du Centre de démographie ici, à Statistique Canada.

Annik : Comment les gens peuvent-ils s’identifier maintenant?  

Laurent : Il y a deux questions :  donc on garde le sexe maintenant, qui est précisé « sexe à la naissance ». Les personnes ont deux choix de réponse au sexe à la naissance : masculin et féminin. Et il y a une deuxième question maintenant, une nouvelle question sur le genre, qui comporte en fait trois catégories : donc « homme », « femme » ou « veuillez préciser ». Donc, on invite les gens qui ne sont pas capables de s’identifier soit à la catégorie « homme » ou à la catégorie « femme » de nous écrire à la main la catégorie à laquelle ils veulent s’identifier.

Annik : Pourquoi avons-nous choisi de donner l’option de permettre aux gens d’inscrire l’identité de genre qu’ils préféraient plutôt que de tout simplement cocher une case?

Laurent : Il aurait été en fait difficile pour Statistique Canada d'introduire d’autres catégories de réponses à la question sur le genre. Je vous rappelle que, dans l’état actuel de la question, on donne trois choix de réponses : donc « homme », « femme » ou « veuillez préciser ». Et là, les gens qui ne se déclarent ni « homme » ni « femme » doivent écrire en fait à la main la catégorie de genre à laquelle ils s’identifient. Les catégories « transgenre » et « non binaire », et surtout « non binaire » en fait, évoluent à tous les jours. Certaines catégories disparaissent, certaines émergent.

Annik : Le fait d’offrir un champ à remplir a permis aux répondants de se décrire comme ils l’entendaient. Et c’est ce qu’ils ont fait. Statistique Canada utilise le terme « non binaire » comme terme général, mais ce n’est pas ainsi que tout le monde se décrit. Près du tiers des personnes faisant partie de ce groupe non binaire aux teintes de l’arc-en-ciel ont fourni une description différente de leur genre : androgyne, bigenre, intergenre, pangenre, polygenre, queer et bispirituel. Il s’agit de termes fournis par les répondants au recensement, mais il ne s’agit certainement pas de tous les termes.

Annik : Selon vous, Laurent, quelle est l’importance pour les Canadiens de se sentir vus, entendus, représentés dans le recensement?

Laurent : C’est très important. En fait, le recensement canadien fait partie de l’identité canadienne. C’est pour cette raison que lorsqu’on a constaté qu’un nombre croissant de Canadiens n'étaient plus capables de s’identifier à la question sur le sexe au Recensement de 2016 par exemple, cela a alimenté les réflexions en prévision du Recensement de 2021. Donc, c’est un élément très important des recensements. Le succès d'un recensement est lié notamment au fait que les Canadiens puissent s’identifier dans leur recensement et puissent continuer à en voir la pertinence.

Annik : Pourquoi maintenant ou plutôt pourquoi en 2021? Qu’est-ce qui a changé par rapport à 2011 ou même 2016, lors des deux derniers recensements?

Laurent : Oui, la société canadienne, comme beaucoup de sociétés dans le monde, évolue. La population est aujourd’hui plus sensible à des questions d’identité de genre, d'expression de genre. Statistique Canada était vraiment préoccupé par le fait qu’un certain nombre de Canadiens nous déclaraient ne pas être capables de s’identifier au recensement. C’était un réel problème. Évidemment, il faut que les questions du recensement puissent correspondre à la réalité des gens. C'est une question de pertinence du recensement. Donc, la société a évolué beaucoup au cours des 10, 15 dernières années à cet égard. Donc, c’est pour cela que Statistique Canada trouvait important d'introduire cette nouvelle question sur le genre au recensement.

Annik : Et puis combien de temps tout cela a pris?

Laurent : Statistique Canada a mis environ cinq ans à bien développer la question qui a été introduite au Recensement de 2021. Il faut voir que le recensement suit un processus rigoureux, d’abord, de consultations, ensuite d’élaboration de questions. Il faut tester ces questions. Il faudra se rappeler que le recensement vise à énumérer 100 % de la population canadienne. Il faut que les questions soient très bien comprises par l’ensemble de la population canadienne. Alors, Statistique Canada mène plusieurs tests en fait avant chaque recensement pour s’assurer que les nouvelles questions sont bien comprises de la population.

Annik : Quels ont été les défis à relever lors de la mise en place de ce projet?

Laurent : La mesure du genre a été un défi de taille importante pour Statistique Canada étant donné que c'est une petite population. Il s'agit peut-être de l’une des plus petites populations jamais dénombrées avec un recensement. Il a fallu réfléchir à l’approche qu’on allait adopter pour mesurer le genre. Donc, il y avait une sensibilité aussi à tenir compte, étant donné le caractère obligatoire du recensement canadien, dans l'introduction de cette question-là.

Enfin, préserver la comparabilité historique était très important. Évidemment, les recensements existent depuis fort longtemps au Canada, avant même la Confédération canadienne. Donc, beaucoup d’utilisateurs de données du recensement comptent sur cette comparabilité dans le temps des différentes variables. C’est pour cette raison-là notamment que Statistique Canada n’a pas souhaité remplacer la question du sexe par une question de genre, mais bien préserver, ajouter simplement une question, donc on a décidé de garder la question sur le sexe, en précisant toutefois qu’il s’agit du sexe à la naissance à partir de 2021, ça nous permettait justement de préserver cette comparabilité historique.

Annik : Après tout ça, qu’avons-nous appris? Que disent les statistiques sur le genre?

Laurent : On a dénombré un peu plus de 100 000 personnes transgenres et non binaires au Canada. Ça a été un résultat intéressant. Ce qu’on s’est rendu compte également, c’est que ces personnes transgenres et non binaires sont davantage concentrées dans les grands centres urbains du Canada. Elles sont également plus jeunes en moyenne que la population. On a des proportions de personnes transgenres et non binaires vraiment plus élevées dans le groupe d’âge des 20 à 24 ans en comparaison avec les personnes âgées de 55 ans et plus. Donc, c’est une population plus jeune, plus urbaine également. En fait, c’est aussi une population qui vit moins en couple que les personnes qui ont déclaré une identité de genre ou une expression de genre « homme » ou « femme ».

Donc, les personnes transgenres, les personnes non binaires sont retrouvées plus fréquemment à l'extérieur des couples que les autres personnes. Il y a un certain nombre de caractéristiques comme ça qui émergent, et actuellement Statistique Canada conduit des analyses supplémentaires permettant de décrire à l’aide du recensement les caractéristiques socioéconomiques des personnes transgenres et non binaires.

Ces études vont être bientôt disponibles, donc par exemple, sont-elles dans les catégories de revenus supérieurs? Ont-elles des niveaux d'éducation plus importants? Sont-elles davantage des immigrants ou des immigrantes? À quelle origine ethnique se déclare-t-elle le plus souvent? Ce sont des éléments qu'on va ajouter au cours des prochains mois dans notre compréhension des populations transgenres et non binaires qui vivent au Canada.

Cyril: C’est tellement important, à mon avis. Je veux dire, d’autres ordres de gouvernement reconnaissent l’existence des personnes transgenres et non binaires, n’est-ce pas? On nous offre différentes options de marqueurs de genre sur nos pièces d’identité, et normalement, quand nous nous rendons au cabinet du médecin ou remplissons tout autre formulaire démographique, nous avons aussi l’option d’indiquer notre identité de genre. Alors, quand nous parlons de quelque chose d’aussi grande envergure que le recensement, sur lequel repose un grand nombre de décisions prises aux divers ordres de gouvernement, par exemple pour le financement (Qui reçoit quoi? Combien doit être alloué à quelles collectivités?), il est important d’avoir une mesure précise de ces collectivités. Vous savez, le Canada est le premier pays à inclure ceci dans son recensement, mais cela fait plus d’une décennie que les gens demandent de pouvoir accéder à cette information.

Le simple fait de poser la question montre que le gouvernement se soucie des Canadiennes et Canadiens transgenres et non binaires, que nos expériences sont importantes et que nous faisons partie de la société canadienne.

Annik : À votre avis, maintenant que nous avons ces données sur les personnes transgenres, que devrions-nous en faire? Quelle est la meilleure façon de les utiliser? Et quels sont vos espoirs pour les prochaines étapes?

Cyril : Je pense que parmi les choses importantes, il y a d’être en mesure d’utiliser les renseignements à propos, par exemple, des endroits où des ressources sont nécessaires. Je regardais les données et il y a des choses comme le fait que la grande majorité des personnes non binaires vivent dans six centres urbains au Canada. Savoir ceci est d’une importance majeure, tout comme le fait de savoir combien il y a de personnes transgenres et non binaires vieillissantes au Canada. De quels types de services pourraient-elles avoir besoin au sein du système de soins destiné aux personnes âgées, qui est déjà aux prises avec de nombreuses difficultés? Et aussi, quelles sont les particularités de leurs besoins? Où sont les personnes transgenres non binaires? Où ces services doivent-ils aller? Qu’est-ce qui peut servir efficacement ces communautés? Comment pouvons-nous soutenir ces personnes qui, nous le savons, sont plus susceptibles de souffrir de problèmes de santé mentale? Et d’autres recherches montrent aussi que nous sommes plus susceptibles de vivre dans la pauvreté, plus susceptibles de subir d’autres axes d’oppression systémique et autres choses de ce genre. Rendre l’information accessible au public est aussi très utile, car ça nous permet de l’utiliser pour des activités de défense des droits, et aussi, peut-être, de mettre en contexte la quantité de vitriol qui cible la communauté trans non binaire, et combien peu nombreux nous sommes, en fait. Nous sommes une petite communauté. Si nous regardons les données, nous sommes environ une centaine de milliers au pays, il est important de savoir comment apporter son soutien.

Annik : C’est pourquoi le recensement est si important. StatCan ne se contente pas de recueillir les données. Nos experts les analysent également, et Cyril n’est pas le seul à avoir hâte d’obtenir plus d’information.

Annik : Maintenant que nous disposons de ces informations, quelle est la prochaine étape? Qu’en faisons-nous? Et comment sont-elles utilisées et par qui?

Laurent : En fait, les données sur les populations transgenres et non binaires vont être très utiles, notamment au gouvernement du Canada. Il y a un secrétariat qui s’occupe de ces communautés qui ont besoin de données probantes, de données nationales sur la distribution géographique de ces personnes, où vivent elles, afin d’élaborer des programmes et des services qui répondent aux enjeux vécus par ces communautés. Il y a d’ailleurs, en 2022, le premier plan d’action qui a été dévoilé par le secrétariat pour justement mettre en place des programmes et des services venant en aide à ces communautés. Il y a beaucoup également de chercheurs universitaires, de groupes de recherche à travers le Canada qui vont utiliser les données du recensement pour mieux comprendre les caractéristiques socioéconomiques des communautés transgenres et non binaires dans certaines régions du pays. Par exemple, en couplant les données entre le fait d'être un Autochtone et le fait d'être une personne transgenre et non binaire, on sait que les peuples autochtones ont une propension plus grande à se déclarer, par exemple de communauté deux esprits. Il est probable que les données du recensement puissent nous permettre de mieux comprendre combien sont-ils, où vivent ils principalement, et donc de répondre à leurs besoins en élaborant des programmes.

Annik : Quelle est la prochaine étape pour le genre et le recensement? Y a-t-il des changements pour les prochains recensements?

Laurent : Statistique Canada est actuellement en train de conduire des tests en prévision du Recensement de 2026. À ce stade-ci, le contenu du Recensement de 2026 n’est pas encore confirmé, mais il est probable que la question sur le genre demeure, et que celle sur le sexe à la naissance aussi soit toujours au Recensement de 2026. Ceci étant dit, pour enrichir les données, il est possible que pour le Recensement de 2026, une troisième question supplémentaire sur l’orientation sexuelle soit introduite, étant donné les besoins de données sur les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles ou pansexuelles au Canada.

Annik : À quelle fréquence le recensement change-t-il? Et pourquoi change-t-il?

Laurent : Le recensement canadien est en constante évolution, mais le recensement à tous les cycles, évolue. À tous les cycles, il peut y avoir des questions qui sont abandonnées d’ailleurs. Il faut voir qu’au début des années 1930, on pouvait demander aux Canadiens combien de radios ils avaient à la maison, ce qui n’est plus tellement pertinent aujourd’hui. Donc, il y a des questions qui sont abandonnées. Il y en a d’autres qui sont introduites, comme le genre en 2021. Le recensement évolue toujours, de façon permanente. En fait, Statistique Canada, actuellement, en 2023, travaille évidemment au Recensement de 2026, mais continue également de travailler sur le Recensement de 2031. Donc, c’est un processus qui est vraiment en continu.

Annik : L’avenir semble-t-il prometteur pour les enfants transgenres et au genre non conforme au Canada? Quelles possibilités et quelles difficultés prévoyez-vous?

Cyril : Je pense que l’avenir est prometteur pour les jeunes transgenres, non binaires ou non conformes au Canada. Je pense qu’il y a quelque chose de vraiment merveilleux qui nous attend, mais le chemin qui y mène est semé de nombreux obstacles. Nous avons réalisé des progrès incroyables au cours des dernières décennies en tant que communauté, mais certaines personnes y réagissent de manière extrême et aimeraient nous arracher ce que nous avons accompli. Nous ne pouvons pas devenir complaisants. Vous savez, nous ne pouvons pas nous donner une tape sur le dos et dire « bon travail, le combat est terminé, nous avons réussi », puis ignorer ce qui se passe réellement sur le terrain parce que, si nous faisons cela, nous allons perdre cet avenir prometteur.

Nous répéterons l’histoire. Et quand l’histoire se répète, des vies sont perdues. Des gens meurent dans les circonstances dans lesquelles nous vivons depuis des siècles. Et pour moi, ce n’est pas une façon acceptable d’évoluer. Il est inacceptable de perdre nos frères et sœurs non binaires et au genre non conforme dans cette lutte.

Les enfants queers et trans devraient devenir des adultes queers et trans. Et cela ne devrait faire l’objet d’aucun débat. Nous devons être fermes là-dedans et ne pas tomber dans le paradoxe de la tolérance. En tolérant l’intolérance, on la laisse s’accroître, s’envenimer, devenir toxique et prendre le dessus, et puis tout d’un coup « oh, où sont passés tous ces droits pour lesquels nous nous sommes battus si fort »?

Je crois que les Canadiennes et les Canadiens sont intelligents et capables de comprendre des faits honnêtes quand on leur en présente, que nous pouvons dissiper les mythes négatifs, que nous pouvons avancer ensemble vers quelque chose de mieux pour nous tous, mais nous devons nous mettre au travail pour que cela se produise.

Annik : C’est quoi l’alliance inclusive pour vous et comment les gens peuvent-ils être des alliés de la communauté queer?

Cyril : L’alliance inclusive est active, pas passive. Beaucoup de personnes s’identifient à l’idée d’une alliance. Elles veulent être des alliées, et je pense que c’est merveilleux. Mais quand on me dit « Oh, je suis un allié de la communauté queer », je réponds « Super! Qu’est-ce que cela signifie? Que faites-vous pour être un allié de la communauté queer? » parce que ça ne suffit pas de ne pas être homophobe, transphobe ou queerphobe. Ça ne suffit pas de simplement ne pas être intolérant. Il faut soutenir la communauté d’une quelconque façon.

On ne peut pas nous laisser lutter seuls pour notre cause. Nous avons aussi besoin des renforts de nos alliés cisgenres et hétérosexuels. C’est ainsi que l’alliance devient active.

Annik : Qu’espérez-vous que les auditeurs retirent de cet épisode?

Laurent : Le caractère novateur de la question, le fait que le recensement canadien est le premier dans le monde à avoir posé une question, collecté de l'information sur les personnes transgenres et non binaires et l’avoir diffusée assez rapidement après cette collecte. Cela permet de montrer à quel point la société canadienne évolue, à quel point la société canadienne est progressiste à ce niveau, inclusive également.

Annik : Si quelqu’un veut en savoir plus sur les données démographiques, le recensement et la diversité des genres, où peut-on trouver ces informations?

Laurent : Alors, j’inviterais tout le monde à visiter évidemment le site Internet de Statistique Canada; il y a différents portails sujet-matière. L’un d’eux est le portail Population et démographie. Donc, sur le portail Population et démographie, on retrouve une foule d'informations démographiques, des estimations démographiques, des projections démographiques, des analyses, des données sur les familles, les ménages canadiens incluant les personnes transgenres et non binaires. Évidemment, sur le site de Statistique Canada, le site du Recensement de 2021 et du Recensement de 2026, où les gens vont pouvoir trouver une foule de résultats, mais aussi des documents de référence, comme le Dictionnaire du recensement qui permet d’avoir accès aux concepts, aux définitions qu’on utilise, il y a des guides de référence pour bien s’assurer qu’on interprète de la bonne façon les données que Statistique Canada diffuse régulièrement, notamment les données du recensement.

Annik : Si quelqu’un veut en savoir davantage sur vous et votre travail, peut-être même assister à un spectacle drag, où peut-il aller?

Cyril : J’ai un site Web : www.cyrilcinder.com (C-Y-R-I-L-C-I-N-D-E-R). Je suis aussi sur tous les médias sociaux (Instagram, TikTok, Facebook). J’encourage les gens à aller appuyer les artistes de drag de leur communauté. Pour moi, c’est la chose la plus importante. Ces artistes de drag locaux, ceux qui ne passent peut-être pas à la télévision ou qui sont peut-être un peu plus différents, ce sont eux qui travaillent au sein de votre communauté qui, je pense, ont les choses les plus importantes à dire. J’ai vu mon premier spectacle drag en 2014, et ça m’a tellement ouvert les yeux, tellement! J’espère simplement que plus de personnes pourront vivre cette expérience.

Annik : Et si quelqu’un nous écoute et remet son propre genre en question. Avez-vous des suggestions ou des ressources à lui recommander?

Cyril : Si vous remettez votre propre identité de genre en question, de nombreux livres ont été publiés qui pourront vous aider avec cette expérience. Votre bibliothèque locale aura de nombreuses ressources sur l’identité de genre et l’exploration de genre pour une variété de groupes d’âge. Vous pourriez consulter Interligne, un service d’écoute pour la communauté 2ELGBTQIA+ au Canada et basé à Montréal.

Si vous êtes Autochtone, il existe des ressources axées sur les Autochtones pour explorer l’identité bispirituelle. Soyez ouvert, posez des questions. S’il y en a dans votre communauté, allez à une librairie queer ou un magasin queer local. S’il n’y en a pas, Internet est un endroit fantastique pour trouver de bonnes ressources éducatives gratuites et le soutien d’autres personnes qui se sentent comme vous parce que, je vous assure, peu importe les questions que vous vous posez, peu importe les sentiments avec lesquels vous êtes aux prises, vous n’êtes pas le seul dans cette expérience. Il y a quelqu’un d’autre qui se pose les mêmes questions, et vous n’avez pas à vivre cette expérience seul.

Annik : Eh bien, je vous remercie de vous être joint à nous.

Cyril : Merci de m’avoir invité.

(Thème de fermeture)

Annik : Vous venez d’écouter Hé-coutez bien! Merci à nos invités, Cyril Cinder et Laurent Martel, d’avoir été avec nous. Un grand merci également à Vicki Johnson, l’auteure du livre Molly’s Tuxedo, et à sa maison d’édition, « Little Bee Books ». Merci à nos narratrices, Valérie Legault et Stéphanie Lepage. Si vous souhaitez en savoir davantage sur nos données du recensement sur le genre, consultez les liens dans les notes du programme!

Vous pouvez vous abonner à cet émission à partir de tout endroit où vous accédez habituellement à vos balados. Vous y trouverez également sa version anglaise, intitulée Eh Sayers. Si vous avez aimé cet émission, n’hésitez surtout pas à la noter, à la commenter et à vous y abonner. Merci de nous avoir écoutés!

Sources:

Le Quotidien — Le Canada est le premier pays à produire des données sur les personnes transgenres et les personnes non binaires à l'aide du recensement
Combler les lacunes : renseignements sur le genre dans le Recensement de 2021
Vidéo: Recensement de 2021 : Sexe à la naissance et genre - un portrait global

Hé-coutez bien! Épisode 13 - À la recherche du 40 millionième Canadien!

Date de diffusion : le 19 juin 2023

Nº de catalogue : 45-20-0003
ISSN : 2816-2269

Écoutez « Hé-coutez bien! » sur :

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Graphique de 40 millionième Canadien 1 (JPG, 1.85 Mo)

Graphique de 40 millionième Canadien 1 (JPG, 1.85 Mo)

Le Canada a franchi une étape importante le 16 juin 2023. Pour la première fois, 40 millions de personnes vivaient au Canada. Cela signifie que quelqu'un est le 40 millionième Canadien. Mais de qui s'agit-il ?

Laurent Martel, directeur du Centre de démographie de Statistique Canada, se joint à nous pour explorer ce que les données démographiques peuvent nous apprendre sur cette personne, ainsi que les implications de l'évolution démographique du Canada et de la croissance rapide de sa population.

Animatrice

Annik Lepage

Invité

Laurent Martel

Écoutez

Hé-coutez bien! Épisode 193 - À la recherche du 40 millionième Canadien! - Transcription

Annik: Bienvenue à la quatrième saison de « Hé-coutez bien! », un balado de Statistique Canada où nous faisons la connaissance des personnes derrière les données et découvrons les histoires qu'elles révèlent. Je suis votre animatrice, Annik Lepage.

Il y a eu un événement important le 16 juin 2023. Vous ne l'avez peut-être pas remarqué mais je vous assure que c'était un événement très important. Énorme même!

Laurent: Ce qui se passe dans la population Canadienne, c'est qu'elle vient d'atteindre la marque de quarante millions d'habitants.

Annik: Et qui est cette personne qui nous parle ?

Laurent: Mon nom est Laurent Martel et je suis le directeur du centre de démographie ici à Statistique Canada.

Annik: Merci Laurent. C'est bien ça! 40 millions de Canadiens (et un petit à côté, nous utilisons le mot Canadien pour décrire n'importe qui vivant au Canada, plutôt que la définition légale d'un citoyen canadien)

en tout cas...

Quelqu'un est le 40 millionième Canadien. Essayons de découvrir qui cela pourrait être.

(un bébé gazouille)

Commençons par ce qui est évident. Ce 40 millionième Canadien est peut-être… un bébé ?

Si c’est le cas, si c’est un mignon petit bébé, il est légèrement plus probable que ce soit un garçon qu’une fille. Et il sera plus probablement né en Ontario, simplement en raison de la taille de la population de cette province. En 2021, 141 000 bébés sont nés en Ontario, tandis que 83 000 bébés sont nés au Québec, la province en deuxième place en termes de naissances.

Le bébé en question aura fort probablement au moins un frère ou une sœur. Mais les probabilités pourraient être plus serrées que vous ne le pensez! Parmi les familles ayant répondu au Recensement de 2016, 45 % ont déclaré avoir une zone sans rivalité fraternelle dans leur ménage puisqu’elles avaient un seul enfant.

Nous savons où notre bébé est susceptible de naître, nous savons qu’il est légèrement plus susceptible d’être un garçon et nous savons qu’il est susceptible d’avoir au moins un frère ou une sœur. Mais qu’en est-il du bébé lui-même? Impossible de prédire avec certitude ce que sera son avenir mais grâce au pouvoir du recensement, de la démographie et des statistiques nous pouvons faire quelques suppositions éclairées.

Par exemple, l'espérance de vie a tendance à augmenter. Un garçon né dans les années 80 pourrait espérer vivre environ 72 ans tandis que l'espérance de vie des garçons nés à la fin des années 2010 jusqu'au début des années 2020 est légèrement inférieure à 80 ans.

Les femmes ont des enfants plus tard qu'auparavant. La mère de notre bébé est probablement âgée d'environ 31 ans. Les données montrent que l'âge moyen des mères au moment de l'accouchement était de 31 ans, soit de 2 ans de plus qu'en 2001.

Notre bébé est peut-être aussi un Canadien de deuxième génération, bien qu'il y ait plus de chances que ses deux parents soient nés au Canada. Selon les données du recensement de 2021 près de 1, 9 million d'enfants de moins de 15 ans avaient au moins un parent né à l'étranger soit près d'un tiers de tous les enfants du Canada.

Et maintenant, le grand dévoilement! Si le 40 millionième Canadien est effectivement un bébé, nous en avons appris beaucoup au sujet de qui il pourrait être, de l’endroit où il serait susceptible de naître et de sa situation familiale probable. Mais dans quelle mesure est-il probable que le 40 millionième Canadien soit un bébé?

(Roulement de tambour)

Laurent: La probabilité que le 40 millionième Canadien soit un bébé est probablement de l'ordre de moins de cinq pour cent.

Annik: Savons-nous pourquoi les Canadiens ont de moins en moins d'enfants?

Laurent: Il y a plusieurs phénomènes en fait qui sont reliés au fait que la fécondité au Canada, mais aussi dans tous les pays du monde industrialisé, a diminué au cours des trente à quarante dernières années. D'une part, il y a eu l'accès à la contraception, puis les développements en matière de contraception, qui a donné les moyens aux couples de contrôler davantage leurs enfants, le nombre d'enfants qu'ils avaient de déterminer plus facilement quand est ce qu’ils les avaient, et donc il y a des changements importants dans l'âge moyen à la maternité par exemple.

Il y a aussi toute la question de l'accessibilité ou le désir plus grand, c'est à dire des femmes d’être plus actives sur le marché du travail. Donc ça a quand même eu des répercussions sur la fécondité des couples et donc il y a eu cette importante hausse au niveau de l'activité des femmes au cours des trente à quarante dernières années qui a fait en sorte que les couples ont limité leur fécondité également.

Puis après, bien évidemment, on peut évoquer peut-être d'autres phénomènes, par exemple les phénomènes de consommation. Avoir un enfant c'est une décision aussi économique en quelque part. Donc les couples, peut-être davantage aujourd'hui que dans le passé, se posent la question : est-ce que je peux d’une part me permettre d'avoir des enfants économiquement?

Puis j'évoquerais enfin une dernière chose qui est évidemment depuis cinquante ans la baisse de la pratique religieuse qui entraîne certainement aussi, qui ont entraîné des impacts importants au niveau du désir des couples d’avoir des enfants.

Annik: Donc, si le 40 millionième Canadien n'est pas un bébé, il est fort probablement un nouvel arrivant...

Laurent: L'incidence de l'immigration sur la croissance démographique est très importante actuellement, on estime qu'environ 95% de la croissance démographique du Canada au cours de l'année dernière était reliés, soit à l'immigration permanente ou l'immigration temporaire.

Annik: L’immigration, et non la fécondité, stimule la croissance démographique du Canada depuis les années 90.

De 2016 à 2021, la population du Canada vivant dans des ménages privés a augmenté de 5%, et les immigrants, nouveaux ou récents, représentaient 71 % de cette croissance.

Si la quarante millionième personne du Canada était une nouvelle arrivante, quelle serait la raison probable de sa venue au pays?

Laurent: Si on se fie aux plus récentes données en fait, cette personne serait probablement une immigrante temporaire, donc venu au Canada par exemple avec un permis d'étude ou un permis de travail et son permis serait d'une certaine durée, évidemment plusieurs de ces résidents non permanents actuellement, ces immigrants temporaires un peu plus tard peuvent éventuellement être admis à titre d'immigrants permanents au pays.

Annik: Et quel serait le genre de cette personne?

Laurent: Probablement, je dirais un homme, puisqu'on sait que parmi l'immigration actuellement, il y a un fort volet d'immigrants économiques qui viennent au Canada pour des raisons économiques et ça, c'est vrai, tant pour les immigrants permanents que pour les résidents temporaires, il y a un peu plus d'hommes qui viennent dans ce contexte-là.

Annik: Étant donné que les personnes migrent habituellement lorsqu’elles sont jeunes, la grande majorité, donc 96% des immigrants récents au Canada, de 2016 à 2021, étaient âgés de moins de 65 ans. 64% se situaient dans le principal groupe d’âge actif de 25 à 54 ans.

Est ce qu'il serait arrivé seul au pays ou avec des membres de sa famille?

Laurent: Alors ça, c'est une bonne question du côté de l'immigration temporaire, certainement seul, du côté de l'immigration permanente, c'est peut-être un peu moins vrai, mais on pourrait dire que probablement une probabilité un peu plus grande que ce soit une personne qui soit arrivé seule.

Annik: D’accord. Puis de quelle région du monde proviendrait il le plus probablement? Quels ont été les changements observés dans les dernières années par rapport à la provenance des immigrants?

Laurent: Alors cet immigrant-là, temporaire viendrait probablement de l'Inde ou de la Chine, donc un pays certainement asiatique.

Et si on regarde dans le passé, la plupart des immigrants qui venaient au Canada dans les années cinquante, soixante étaient des immigrants qui était en provenance de l'Europe. Aujourd'hui, c'est vraiment beaucoup plus l'Asie et on voit une nouvelle tendance émerger également on reçoit de plus en plus d'immigrants en provenance du continent africain, même si proportionnellement ça demeure relativement modeste. Mais c'est en forte hausse.

Annik: OK, et où vont ces nouveaux arrivants qui entrent au pays? Est-ce qu'il y a des surprises, en autres mots, y a-t-il des provinces qui se démarquent?

Laurent: Il y a des provinces qui se démarquent, des régions surtout, qui se démarquent et ce sont les très grands centres urbains du Canada. Il y a six grands centres urbains de plus d'un million de personnes, évidemment Toronto, qui est le centre urbain le plus peuplé du Canada, c'est le choix de beaucoup d'immigrants. Et puis, si on cumule ces six plus grandes régions métropolitaines de recensement, ces six plus grandes villes, c'est les deux tiers de l'immigration qui se dirige simplement dans ces six plus grandes villes au Canada, après, le tiers restant se dirige dans les autres grands centres urbains et puis une faible proportion vont se diriger vers les milieux plus ruraux.

Annik: Alors la grande majorité des immigrants, plus de quatre-vingt-dix pour cent, ont déclaré pouvoir tenir une conversation en anglais ou en français. Il est donc fort probable que notre 40 millionième Canadien parle l'une de nos deux langues officielles.

Est-ce que les immigrants sont susceptibles de parler une autre langue comme langue maternelle, c'est à dire leur première langue?

Laurent: Oui, certainement. Surtout que cette immigration, on l'a évoquée, s’est diversifiée du moins en provenance de pays européens, davantage en provenance de pays asiatiques dans lequel le français et l'anglais sont absents.

Donc un immigrant qui vient de l'Inde, qui vient de la Chine bien souvent, ne connaît ni l'anglais ni le français. Donc cette proportion d'immigrants ne connaissant aucune des deux langues officielles du Canada a beaucoup augmenté au cours des trois dernières décennies.

Annik: D’accord et puisque nous parlons de culture, parlons de religion. Que savons-nous de leurs croyances religieuses?

Laurent: Alors ça c'est une question intéressante en ce sens que lorsqu'on regarde l'ensemble de la population canadienne, la proportion que représente la population qui a une confession religieuse dite chrétienne est en baisse au profit des religions dites non chrétiennes. Alors par exemple l'hindouisme, la religion musulmane, la religion sikhe par exemple, on a beaucoup d'immigrants, on l'évoquait qui proviennent du continent asiatique et ce sont des endroits où ces religions sont plus dominantes.

Annik: Pouvez-vous résumer ce dont nous avons parlé en dressant un seul profil.

Laurent: Oui je dirais que le 40 millionième Canadien qui vient d’arriver au pays est probablement un immigrant temporaire, un homme venu au Canada soit pour étudier, soit pour travailler, il est venu seul et s'est vraisemblablement dirigé en Ontario.

Annik: Pourquoi l'immigration est-elle si importante pour le Canada?

Laurent: Le Canada est un pays avec une longue tradition d'immigration. C'est un pays qui s'est bâti sur l'immigration, donc historiquement, ça a toujours été le cas. On peut évoquer par exemple le peuplement des provinces de l'Ouest à la fin du dix-neuvième siècle, au début du vingtième siècle. Aujourd'hui, étant donné la faible fécondité des Canadiens et des Canadiennes le nombre d'enfants par femme actuellement est à un niveau historiquement bas, autour d’un virgule quatre enfant par femme donc sans cet apport migratoire, la population canadienne diminuerait puisqu'on ne fait pas suffisamment d'enfants actuellement pour renouveler simplement la population.

Alors c'est en ce sens-là que si on veut maintenir par exemple une croissance démographique, il faut avoir un des moyens est de faire venir évidemment des immigrants ici. Évidemment, c'est un choix aussi de société puisque des pays comme le Japon connaissent des baisses de population depuis un certain nombre d'années déjà. C'est à quelque part un choix. Le Canada a choisi la voie de l'immigration et de la croissance démographique pour le moment du moins.

Il y a aussi une autre raison pour laquelle le Canada fait le choix de l'immigration actuellement, c'est évidemment la question des pénuries de main d'œuvre. La vaste génération des personnes appartenant au baby-boom de l'après-guerre est en train de quitter vers la retraite. Ils sont autour entre soixante et soixante-dix ans, ça fait des sorties massives de la main d'œuvre canadienne et donc une des façons de faire face à ces pénuries de main d'œuvre, c'est évidemment d'accueillir des immigrants permanents et temporaires qui peuvent directement remplir une partie du moins de ces besoins.

Annik: ll ne s'agit pas seulement d'une question de croissance et de main-d’œuvre. La diversité nous définit. Selon l’Enquête sociale générale de 2020, 92% de la population âgée de 15 ans et plus étaient d’accord avec le fait que la diversité ethnique ou culturelle constitue une valeur canadienne.

Quelles sont les projections concernant la population future du Canada et quel est le rôle de l'immigration à cet égard?

Laurent: Statistique Canada établit des projections démographiques pour le Canada, pour les provinces et territoires évidemment. On se base sur les tendances passées très souvent pour projeter ce qui pourrait bien exister dans l'avenir. Si le Canada devait conserver les niveaux d'immigration évidemment, la population continue de croître et c'est ça que nos projections reflètent et donc se dirigerait vers une population qui pourrait être nettement plus importante d'ici une cinquantaine d'années. Évidemment aussi l'immigration serait le principal moteur de cette croissance démographique.

On a des scénarios dans nos projections qui suppose une remontée de la fécondité. Mais à ce stade-ci compte tenu des quarante dernières années, c'est difficilement imaginable que la fécondité puisse remonter à des seuils significativement élevés pour être capable de renouveler par elle-même la population, par exemple un seuil autour de deux enfants par femme. Ça fait plus de quarante ans que le Canada n'a pas connu des seuils de fécondité de cet ordre-là.

Alors l'immigration serait, et aujourd'hui et demeurerait dans l'avenir, le principal moteur de la croissance démographique canadienne.

Annik: Pourriez-vous nous parler des défis et des opportunités liés à un taux d'immigration aussi élevé?

Laurent: Oui, alors, le Canada a un des taux d'immigration les plus élevés parmi les pays industrialisés. Le taux d'immigration étant le nombre d'immigrants qu'on reçoit dans une année divisée par la taille de la population canadienne. On retrouve très peu de pays dans le monde avec un taux d'immigration aussi élevé qu'au Canada, il est plus de trois fois moindre aux États-Unis par exemple. C'est une différence importante. Il y a beaucoup d'enjeux avec l'immigration, beaucoup d'opportunités également. Évidemment on peut penser à combler certaines pénuries sur le marché du travail canadien. Les immigrants, évidemment, enrichissent la population canadienne de par leur bagage professionnel, leur expérience de vie, leur capital humain. Donc c'est une richesse importante.

Accueillir un nombre élevé d'immigrants vient aussi avec un certain nombre de défis. On peut penser par exemple aux défis reliés en matière de logement. Il faut construire des habitations pour loger les nouveaux arrivants. Il faut construire des infrastructures. Ça veut dire aussi davantage de personnes qui vont utiliser des services de santé, qui vont utiliser les services scolaires, pour faire éduquer leurs enfants.

Et enfin des défis reliés au fait que les immigrants se dirige plutôt dans certaines régions que dans d'autres. Il y a des régions rurales à côté de ça où la croissance démographique est nettement moins élevée. Alors ça peut créer certains déséquilibres, certaines conditions très différentes d'une région à l'autre.

Annik: Alors comment est-ce que le Canada se compare aux autres pays du G7?

Laurent: Le Canada se compare aux pays du G sept en ce sens qu'il présente la plus forte croissance démographique, et ça depuis plus de vingt ans. Donc, dès le début des années deux mille, le Canada était déjà en tête du G sept au niveau de sa croissance démographique. On a également une population, qui est relativement plus jeune que plusieurs des pays du G sept, en particulier le Japon, l'Italie présente des populations en moyenne nettement plus âgé, et évidemment un taux d'immigration très fort. Je crois qu'en 2022, le seul pays du G sept qui présentait un taux d'immigration plus fort que le Canada était l'Allemagne. Mais c'est une situation bien particulière associée à l'accueil de réfugiés important cette année-là. Sur une plus longue période, c'est le Canada qui présente le taux d'immigration le plus fort.

Annik: Et puis pourquoi le Canada attire-t- il un si grand nombre d’immigrants ?

Laurent: Le Canada attire beaucoup d'immigrants d'une part parce qu'on a fait un choix. Le gouvernement canadien exprime à tous les mois de novembre, à travers son plan d'immigration, les objectifs d'immigration pour les trois années subséquentes. Puis le Canada demeure un pays qui internationalement je pense est bien perçu avec une qualité de vie importante, une stabilité dans sa démocratie dans ses institutions, une économie forte alors au même titre que d'autres pays du monde, le Canada exerce un pouvoir d'attraction significatif sur les immigrants potentiels des autres pays du monde.

Annik: Alors où peut-on se rendre pour en savoir plus sur la démographie et la population du Canada?

Laurent: Il y a un endroit sur lequel on doit se rendre pour apprendre davantage sur la démographie canadienne. C'est le portail de Statistique Canada et il y a le sujet-matière population et démographie. Lorsqu'on choisit d'accéder au portail population et démographie sur le site de StatCan on a accès à l'ensemble des produits que Statistique Canada met à disposition des Canadiens sur les phénomènes démographiques. Donc on peut y retrouver les nombres d'habitants dans les différentes régions, les espérances de vie des Canadiens, le nombre d'enfants par femme et une foule d'autres dimensions démographiques, des statistiques sur les familles, sur les ménages canadiens, sur le vieillissement démographique, sur évidemment la diversité ethnoculturelle de la population et bien entendu sur les projections démographiques.

Annik: Qu’est-ce que vous aimeriez que les auditeurs retirent de cet épisode?

Laurent: Je pense que ce qui est important de réaliser, c'est le caractère unique de la situation canadienne à l'égard de la démographie. Le Canada présente un des plus forts taux d'immigration dans le monde, une croissance démographique considérable qui s’est vraiment ce qui s'est vraiment accéléré au cours de l'année dernière en 2022. Ce sont des caractéristiques uniques. On évoque de plus en plus que la population mondiale pourrait commencer à diminuer à partir de 2070, 2080. Le Canada est sur une autre trajectoire de celle de la population mondiale du moins actuellement, la croissance démographique canadienne s'est accélérée, elle est une des plus fortes du monde, la population canadienne augmente rapidement. Alors le Canada est finalement, lorsqu'on regarde la situation internationale, un peu un cas unique.

Annik: Eh bien! Si nos prévisions sont exactes, j'aimerais dire svaagat à notre 40 millionième Canadien! C'est la bienvenue en hindi. Mais d'où que vous veniez et quelle que soit la langue que vous parlez, nous sommes heureux de vous accueillir.

(Thème)

Vous venez d’écouter « Hé-coutez bien! ». Merci à notre invité, Laurent Martel, ainsi qu’à Patrick Charbonneau pour son aide en coulisses.

Vous pouvez vous abonner à cette émission à partir de n’importe lequel des sites où vous obtenez habituellement vos balados. Vous y trouverez également la version anglaise de notre émission, intitulée Eh Sayers. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez surtout pas à la noter, à la commenter et à vous y abonner. Merci de nous avoir écouté!

Source:

Statistique Canada. « Statistiques sur la population et la démographie ». Statistique Canada. Gouvernement du Canada, 3 juin 2019. Statistiques sur la population et la démographie

Hé-coutez bien! Épisode 12 - Dans un film sur l'économie, l'inflation est-elle le méchant?

Date de diffusion : le 19 avril 2023

Nº de catalogue : 45-20-0003
ISSN : 2816-2269

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Graphique de l'inflation 1 (JPG, 1.85 Mo)

Graphique de l'inflation 2 (JPG, 1.85 Mo)

L'Indice des prix à la consommation (IPC) de Statistique Canada nous en dit beaucoup à propos de l'économie… mais encore faut-il savoir où regarder. Guy Gellatly, conseiller économique en chef à Statistique Canada, se joint à nous pour démystifier l'IPC et répondre à nos questions au sujet de l'économie. Quel est le taux d'inflation idéal? Une inflation nulle, est-ce quelque chose qu'on devrait viser? Et qu'est-ce qu'une spirale déflationniste?

Animatrice

Annik Lepage

Invité

Guy Gellatly

Narration

Chris Houle

Écoutez

Hé-coutez bien! Épisode 12 - Dans un film sur l'économie, l'inflation est-elle le méchant? - Transcription

Annik : Bienvenue à Hé-coutez bien!, un balado de Statistique Canada qui nous permet de faire connaissance avec les personnes derrière les données, et de découvrir les histoires que révèlent les chiffres. Je suis votre animatrice, Annik Lepage. Les auditeurs de longue date du balado se souviendront peut-être que nous avons diffusé un épisode sur l'inflation et l'indice des prix à la consommation en janvier 2022. À ce moment-là, les dernières données nous indiquaient qu'en décembre 2021, l'IPC avaient augmenté de 4,8 % par rapport à l'année précédente.

Les deux années qui viennent de s'écouler ont été, si je puis dire, intéressantes. J'aimerais bien vous montrer un graphique de l'évolution du taux d'inflation au cours des deux dernières années. Mais comme les graphiques ne se traduisent pas bien en baladodiffusion, le son de ce sifflet coulissant vous donnera une idée de ce à quoi ressemblerait le graphique.

À ce point-ci, au moment de l'enregistrement, les données diffusées en février 2023 indiquaient que le taux d'inflation était de 5,2 %. Ce taux n'est pas le plus haut enregistré au cours de la dernière année, mais il est définitivement élevé. Il est plus haut qu'il y a un an, quand nous discutions déjà du niveau élevé de l'inflation. Cela m'a amenée à me demander : qu'est-ce qui fait qu'un taux d'inflation est élevé par rapport à ce qui serait un taux d'inflation idéal?

C'est à ce moment-là que j'ai réalisé que nous devrions probablement faire un autre épisode sur l'inflation, ne serait-ce que pour avoir l'occasion d'inviter un autre spécialiste de StatCan.

Je vous remercie d'être ici avec nous. Pouvez-vous vous présenter?

Guy : Certainement. Je suis Guy Gellatly, conseiller économique principal à la Direction des études analytiques ici à Statistique Canada.

Annik : Pourriez-vous nous parler, de façon générale, de l'économie et de l'inflation?

Guy : Eh bien, nous sortons d'une période extraordinaire, évidemment, avec la pandémie. Et les deux dernières années ont vu une augmentation assez continue des pressions inflationnistes, dans différents segments de l'économie. Et c'est en quelque sorte la toile de fond pour une grande partie du discours économique. Il est certain qu'une grande partie de la réaction de la part des ménages et des entreprises est de savoir comment faire face, vous savez, à ces taux d'inflation élevés et à ce qu'ils signifient, au bout du compte, pour les dépenses des consommateurs et les investissements des entreprises et de multiples autres activités économiques.

Annik : Bien sûr, nous constatons une forte inflation, ce qui cause beaucoup de stress à bien des gens. Donc, si je voulais tourner un film sur l'économie, l'inflation serait-elle le méchant?

Guy : Eh bien, l'inflation élevée est habituellement le méchant. Il n'y a aucun doute là-dessus.

L'idée derrière la politique monétaire et, par exemple, ce que la Banque du Canada tente de faire avec sa cible d'inflation est de maintenir un taux d'inflation faible, stable et prévisible. Et c'est ça l'idée derrière une cible de 2 %. C'est en quelque sorte le point médian entre leur fourchette de contrôle de 1 % à 3 %.

L'idée ici est donc de donner confiance aux ménages et aux investisseurs qui doivent prendre des décisions encourant leurs dépenses et leurs investissements, et ils veulent être certains que la valeur de cet argent, leur argent durement gagné est préservé au fil du temps. C'est ça l'idée, assurer une sorte de stabilité et de prévisibilité, lesquels peuvent être votre ami, mais dans un environnement inflationniste élevé, il peut être difficile d'y arriver.

Annik : Alors, nous connaissons certainement les inconvénients de l'inflation, mais pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les avantages dont vous parlez?

Guy : Eh bien, c'est la distinction entre une certaine inflation et une inflation élevée. On veut une certaine inflation, et c'est l'idée de cette cible de 2 %. On va l'a garder au point médian de ce que la banque appelle sa fourchette de contrôle, ou près de ce point.

Donc, l'idée est qu'on veut une certaine inflation, une certaine pression à la hausse sur les prix. C'est en quelque sorte essentiel au bon fonctionnement de l'économie. On veut quelque chose qui est propice à la croissance de la production, à la croissance de la productivité, à la croissance des salaires et à la création d'emplois, et tout cela, ce sont les bonnes choses dont nous aimons parler.

Un environnement inflationniste stable et faible ne signifie pas qu'il n'y a aucune inflation, et nous pouvons en parler plus tard, mais une sorte de croissance stable des prix est généralement considérée comme très, très favorable à ces objectifs. C'est donc là l'idée.

Annik : Vous dites que nous sortons d'une période extraordinaire en ce moment. Pour quelqu'un qui n'a pas étudié en économie, où se situe notre inflation actuelle ou l'inflation que nous avons observée au cours de la dernière année, où se classe-t-elle?

Guy : Bien, certainement pour ceux d'entre nous qui sommes plus jeunes, et je ne suis plus nécessairement l'un de ceux-là, il s'agit du taux le plus élevé que nous avons vu depuis un certain temps. Si vous remontez au début des années 1980, nous avons eu une inflation à deux chiffres pendant un certain temps. C'était avant les politiques d'inflation ciblée que la Banque du Canada a adoptée au début des années 1990.

Vous savez, nous avons déjà eu des taux d'inflation très élevés auparavant. Maintenant, nous le voyons pour la première fois en une génération ou deux, alors c'est un peu un choc. Et la chose au sujet de l'environnement inflationniste actuel, c'est qu'il est très, très généralisé. Donc, ce n'est pas juste une chose. Nous parlons souvent de la dynamique des prix de l'essence et de sa contribution à l'inflation.

Mais ici, on a des pressions qui proviennent de l'essence, des aliments, du logement, de beaucoup de biens de consommation durables et de dépenses de consommation. On constate une forte croissance des prix dans l'ensemble. Et c'est ça le défi que doivent relever de nombreux consommateurs.

Annik : Je ne pense pas que les gens ont besoin qu'on leur parle des défis d'une inflation élevée. Cela signifie que leur argent ne va pas aussi loin lorsqu'ils veulent faire des achats. Mais que se passerait-il si l'inflation était nulle? Pourquoi ne serait-ce pas idéal?

Guy : Eh bien, la réponse classique est une spirale déflationniste. L'idée ici est que pour vous, les attentes comptent. Si les gens sont convaincus qu'ils vont voir des baisses de prix continues et soutenues sur une longue période, ils vont retarder leurs dépenses maintenant. Il y a donc un énorme délai dans leurs dépenses, et cela peut avoir des effets vraiment néfastes sur l'économie à court terme en matière de baisse de la production et de hausse du chômage.

Annik : C'est ce qui arriverait si l'inflation baissait. Mais que se passerait-il si tous les prix restaient les mêmes?

Guy : C'est ça le problème, vous savez, vous ne serez jamais dans un monde où tous les prix resteront les mêmes.

Les prix sont le reflet des conditions de l'offre et de la demande. Et ces conditions changent continuellement, vous savez? Si on regarde l'expérience des deux dernières années, on voit dans quelle mesure cela peut changer rapidement. Vous savez, tant du côté de la demande, nous sommes sortis de la pandémie et les gens ont commencé à dépenser davantage, car nous étions tous coincés dans nos sous-sols. Il existe donc une demande réelle de sortir et de dépenser.

Et vous savez, le thème récurrent des deux dernières années, en ce qui concerne l'inflation, a été toutes les contraintes du côté de l'offre. Il est tout simplement difficile de déplacer les choses en raison des perturbations et des pénuries liées aux puces informatiques et ainsi de suite. Cela a créé de réelles tensions du côté de l'offre, et cela se répercutera aussi dans les prix à un moment donné.

Vous avez donc une pression à la hausse provenant de la demande élevée, et une certaine pression à la hausse sur l'inflation provenant de la baisse de l'offre. Et cela crée certains des taux que nous avons observés au cours de la dernière année.

Annik : Vous avez utilisé un terme plutôt effrayant : spirale déflationniste. Pouvez-vous nous parler de ce qui se passe si l'inflation devenait négative?

Guy : Eh bien, c'est une question d'être dans le négatif pendant une période soutenue, et puis les gens se disent, oh, pourquoi dépenser mon argent maintenant si les choses vont juste être moins chères plus tard?

Ce que vous ne voulez pas faire c'est de vous enfermer dans un raisonnement comme celui-là, parce que vous savez alors que vous allez potentiellement causer des dommages réels à l'économie à court terme. Les gens ne vont pas dépenser, s'ils sont convaincus qu'ils feront une meilleure affaire dans un mois, deux mois, trois mois, et cela mène en fait à une demande moindre et à des prix plus bas.

Alors l'idée de la spirale, c'est ce qu'ils essaient d'éviter. L'objectif ici est la stabilité et la prévisibilité, accompagnées d'une certaine inflation qui est généralement propice à la croissance économique, à la productivité et à la croissance des revenus.

Annik : Parlons donc de ce taux d'inflation idéal. Vous avez parlé de 2 % plus tôt, ou de 1 % à 3 %. D'où viennent ces chiffres? Et pourquoi est-ce le meilleur chiffre?

Guy : Vous savez, c'est ce qui est convenu. Il y a une entente sur le ciblage de l'inflation que la Banque du Canada examine tous les cinq ans avec le gouvernement du Canada. Et c'est depuis longtemps le taux cible, ce point médian de cette fourchette de 1 à 3.

Et c'est ce qu'ils considèrent, évidemment, comme le meilleur taux pour soutenir le genre d'activité économique et d'activité sur le marché de l'emploi que nous aimerions voir. Vous savez, cette cible peut être révisée. Il n'y a pas un chiffre précis qui fonctionne en tout temps, bien que la cible ait été de 2 % depuis un bon bout de temps, au Canada et dans de nombreux autres pays. La Réserve fédérale américaine en est le meilleur exemple.

Alors oui, ils examinent certainement la cible. Il ne s'agit pas d'une solution mécanique où une taille unique convient en tout temps. Ils vont l'examiner périodiquement et déterminer quel est le taux optimal, du moins à court ou à moyen terme. Et ils ajusteront leur politique monétaire conformément pour atteindre cette cible. Mais du plus loin que je m'en souvienne, la cible a été de 2 %. Donc, lent, stable et prévisible : c'est ça l'idée ici.

Annik : Est-ce que chaque économie vise un taux d'inflation de 2 %? Et est-ce qu'il y a des exemples d'économies qui ne visent pas un taux d'inflation de 2 %? S'agit-il d'un chiffre universel?

Guy : Vous savez, je ne sais pas s'il s'agit d'un chiffre universel. Il est certainement un chiffre commun pour la plupart des banques centrales et des autorités monétaires dans le monde occidental. Il s'agit simplement de voir que c'est le genre de position qu'un grand nombre d'entre elles adopteront.

Ce serait amusant de faire un retour en arrière et de se demander, vous savez, comment on en est arrivé à cette cible de 2 % et à quoi ressemblerait vraiment l'évolution de la politique monétaire en cours de route. Mais l'idée ici, et c'est un point très important, est de donner aux consommateurs, aux ménages et aux investisseurs confiance que la valeur de leur argent va être préservée, tout en étant très explicite sur cet objectif et en fournissant des renseignements en temps réel sur la façon dont ils voient l'économie évoluer à court terme. Cela vous donne beaucoup de confiance en tant que personne qui doit maintenant dépenser de l'argent. C'est comme, OK, est-ce une chose raisonnable à faire? Ai-je confiance que l'inflation va revenir dans cette fourchette?

Et donc les banques centrales, ici et à l'étranger, donneront beaucoup de signaux pour communiquer leurs attentes, à vous et à moi, et puis c'est évidemment bon pour l'économie dans son ensemble.

Annik : Si on veut en savoir plus sur l'inflation, où peut-on se renseigner?

Guy : Premièrement, vous pouvez aller sur le site Web de Statistique Canada pour consulter l'Indice des prix à la consommation qui est publié mensuellement. C'est l'indicateur de l'inflation totale.

Et il y a aussi toute une série de travaux analytiques qui ont été produits au fil du temps par la Division des prix à la consommation et d'autres au sein de l'organisme, qui nous aident à comprendre la dynamique de l'inflation et ce qui l'alimente et quels sont certains des principaux enjeux liés à la mesure. Il s'agit d'un bon endroit pour commencer.

La Banque du Canada aussi, si vous vous intéressez au ciblage de l'inflation, à la façon dont cela fonctionne et à la façon dont la politique monétaire est menée pour que vous sachiez que l'économie fonctionne sur une base efficace et solide. C'est l'endroit où aller. Ils ont un certain nombre de documents où ils décrivent en quelque sorte leur façon de penser et les outils à leur disposition.

Annik : Parfait. Merci beaucoup.

Guy : Merci!

Annik : Vous avez écouté Hé-coutez bien! Nous remercions notre invité, Guy Gellatly. Vous pouvez vous abonner à cette émission à partir de tout endroit où vous écoutez vos balados. Vous pouvez également y trouver sa version anglaise, appelé Eh Sayers. Si vous avez aimé cette émission, merci de la noter, de fournir un commentaire et de vous y abonner. Il s'agit du dernier épisode de la troisième saison. Nous aimerions profiter de l'occasion pour tourner les feux du projecteur vers les nombreuses personnes qui contribuent à l'émission en coulisse.

Nous remercions les spécialistes de Statistique Canada et les nombreuses autres équipes qui rendent l'émission possible. Un remerciement spécial à Tom Thompson pour ses précieux conseils. Le soutien à la production est assuré par Janelle Bah et Gillian Bridge. L'équipe de la production de vidéos est constituée de Tony Colasante, Martin Charlebois, Jessie James McCutcheon et Mitch Lawson. L'ingénierie audio est assurée par Max Zimmerman. Le logo a été créé par Vincenzo Germano. Merci à Marc Bazinet d'avoir dirigé ce navire.  Je m'appelle Annik Lepage, j'ai été votre animatrice et je vous remercie de m'avoir écoutée.

Sources

Statistique Canada. « Le Quotidien — Indice des prix à la consommation, février 2023. »,  Gouvernement du Canada, le 21 mars 2023. Indice des prix à la consommation, février 2023.

Hé-coutez bien! Saison 3, épisode 3 - Oui aux maisons écologiques, non aux émissions

Date de diffusion : le 22 novembre 2022

Nº de catalogue : 45-20-0003
ISSN : 2816-2269

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Graphique de climat (JPG, 1.85 Mo)

Le Canada est confronté à la fois à une crise climatique et à une crise du logement, qui sont interreliées.

Les choix que nous faisons par rapport à nos habitations — leur emplacement et le besoin d'utiliser un véhicule pour nous déplacer, leur source de chaleur et les matériaux dont elles sont construites, notamment — ont une incidence sur l'environnement.

Par ailleurs, le climat a des conséquences sur nos habitations. Lorsque des événements météorologiques violents se produisent et les endommagent, nous n'avons d'autres choix que de les reconstruire. Si par chance, elles s'en sortent indemnes, nous devons tout de même déterminer la mesure dans laquelle notre style de vie doit changer pour s'adapter aux changements climatiques.

Andrew DeFazio, Conseiller du Bureau de changement climatique à SCHL, se joint à nous pour discuter comment adopter une stratégie climatique qui tient compte de nos habitations et adapter notre stratégie de logement au climat.

Animatrice

Alexandra Bassa

Invité

Andrew DeFazio

Narration

Fawzi Hemsas

Écoutez

Hé-coutez bien! saison 3 épisode 3 - Oui aux maisons écologiques, non aux émissions - Transcription

Alexandra : Bienvenue à « Hé-coutez bien! », un balado de Statistique Canada où nous faisons la connaissance des personnes derrière les données et découvrons les histoires qu'elles révèlent. Je suis votre animatrice, Alexandra Bassa.

C'est l'automne, la saison des chandails tricotés et de la citrouille épicée. La saison au cours de laquelle il convient de se poser la question : « Jusqu'où peut-on aller dans le gigantisme en matière de foulard? » Alors que les feuilles tourbillonnent et tombent et que la température baisse, la « bataille du thermostat » commence chez nous. Chacun met en avant ses arguments pour la température de son choix, l'un expliquant que les matins sont plus durs lorsqu'on quitte la chaleur du lit pour se retrouver dans une pièce glaciale, l'autre répliquant que c'est bien la raison pour laquelle on peut porter des chandails géants et de grosses chaussettes bien épaisses.

Cependant, nous devons être conscients que le choix d'augmenter le thermostat, de bricoler nous-mêmes l'isolation des fenêtres ou d'investir dans des rénovations écologiques n'a pas seulement des conséquences sur notre budget, mais également sur le climat. Quand on parle d'un seul ménage, on peut estimer que les choix effectués auront peu de répercussions, mais il y a des millions de ménages comme nous, d'un océan à l'autre : en fait plus de 10 millions de familles ont été comptées au cours du recensement de 2021. Dans ce contexte, quelles répercussions avons-nous tous sur l'environnement et quelles incidences ont nos logements?

Nous avons rencontré un expert pour en discuter.

Andrew : Bonjour, je m'appelle Andrew DeFazio et je travaille pour la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) à titre de conseiller au Bureau des changements climatiques de la SCHL.

Alexandra: Alors ça fait combien de temps que la SCHL a un bureau des changements climatiques et qu'elle offre le genre de travail que vous faites?

Andrew : Le Bureau des changements climatiques a été entièrement doté en personnel en 2020, à la suite de mesures délibérées prises par notre direction pour se rendre compte de l'importance du climat sur le logement et pour reconnaître que la SCHL a un rôle à jouer dans le système de logement.

C'est notre souhait que d'ici 2030, toutes les personnes au Canada aient un logement qu'elles peuvent se payer et qui répond à leurs besoins. Et avec les changements climatiques, cela devient de plus en plus crucial. Au Bureau des changements climatiques, ce que nous essayons de faire, c'est d'obtenir des résultats sur le système de logement de sorte qu'il soit en mesure d'appuyer la durabilité et la stabilité.

Alexandra : Selon le Recensement de 2021, 1 ménage sur 10 avait des besoins impérieux en matière de logement, c'est-à-dire qu'il occupait un logement inabordable, de qualité inconvenable ou de taille insuffisante, et qu'il ne n'avait pas les moyens de se payer un logement acceptable dans sa communauté.

L'un des objectifs que vous venez de mentionner vise à ce que toutes les personnes au Canada aient un logement qu'elles peuvent se payer d'ici 2030. Pourriez-vous nous parler de la différence entre le logement disponible et le logement abordable?

Andrew : Certainement. Lorsque nous voulons nous pencher sur l'abordabilité, nous devons jeter un œil sur le parc de logements déjà construits et sur le genre de retombées que cela a sur les revenus des gens de vivre dans ce parc de logements.

L'autre élément est le parc de logements dont nous avons besoin. Et on a beaucoup insisté sur le fait que nous ne disposons pas du parc de logements requis pour atteindre les niveaux d'abordabilité que nous aurions vus auparavant. Alors, lorsque nous y réfléchissons, l'un des défis principaux que le système de logement doit relever est de trouver la façon de mettre des unités sur le marché, de trouver des espaces de logement adaptés aux besoins des gens.

Nous avons mené certaines recherches sur le sujet et utilisé un grand nombre de données pour en arriver avec ce que nous croyons être le nombre d'unités qui replacera les marchés de l'habitation à un niveau que nous qualifierions d'abordable. Lorsque vous réfléchissez au système et que vous voyez ce qui se passe, si nous pensons à ce qui arrivera d'ici 2030, nous projetons qu'il y aura 2,3 millions d'unités qui seront créées. Cela chiffrerait le parc de logements à 19 millions d'unités. Cela ne suffira pas. Il en faudra plus. Il en faudra 3,5 millions de plus pour porter le nombre total d'unités de logement à 22 millions.

Et d'autres éléments qui sont importants tournent autour de l'abordabilité. C'est en fait le type de logement qui est requis. On verra toute la gamme, des maisons unifamiliales jusqu'aux locations. Et je crois qu'il est important de se concentrer sur la location. Parce que la location apporte beaucoup de facteurs intéressants qui contribuent à l'abordabilité. Elle permet aussi d'être respectueux du climat, parce que vous pouvez avoir de la densité. Alors pour nous, c'est une question de déterminer comment l'offre peut commencer à augmenter au Canada afin que nous puissions avoir plus d'équilibre et d'abordabilité pour les personnes qui vivent au Canada.

Alexandra : En 2021, 17 % des personnes vivant au Canada faisaient partie d'un ménage qui consacrait 30 % ou plus de son revenu aux frais de logement ou, autrement dit, vivaient dans un logement inabordable.

Comment la crise climatique et la crise du logement se répercutent-elles l'une sur l'autre?

Andrew : Je crois qu'il est d'abord important de comprendre que nous savons que le logement émet des gaz à effet de serre, qui créent de la pollution. Cela se produit de différentes manières. Cela se produit à travers les appareils électroménagers, la source de chauffage que vous utilisez dans votre maison, votre mode de vie au quotidien. Cela contribue aussi, quand on y pense, aux matériaux qui servent à produire votre maison. Alors, quand vous construisez votre maison, ces matériaux eux-mêmes contribuent aux émissions de gaz à effet de serre.

L'autre partie de l'équation est de réfléchir aux répercussions du climat sur la maison. Vous assisterez à des événements météorologiques violents qui créeront des défis et des enjeux pour votre maison et qui entraîneront des dommages. Vous devrez par la suite faire des rénovations, des travaux d'adaptations, de sorte que vous puissiez voir la façon dont le logement en soi contribuera aux émissions de gaz à effet de serre. Le climat aura donc des répercussions sur le logement. Et ce n'est qu'une roue qui continue de tourner.

Alexandra : Je crois que pour plusieurs personnes, depuis longtemps, nous entendons parler des changements climatiques comme étant quelque chose qui va se produire dans l'avenir. Ce sera un problème à l'avenir. C'est un problème pour nos enfants, pour nos petits-enfants. Mais ce n'est plus nécessairement le cas, non? Vous savez, nous voyons déjà les effets des changements climatiques. Quels sont les aspects des changements climatiques que les gens au Canada auraient déjà vus dans leur propre vie jusqu'à maintenant?

Andrew : Lorsque nous parlons des changements climatiques et de leurs effets, sur le logement, il y a deux concepts clés ici. Il y a le risque physique et le risque lié à la transition.

C'est plus facile de voir le risque physique. Alors, nous savons que dans le contexte du réchauffement de la planète, nous constatons une intensité accrue des tempêtes. Nous constatons des vitesses plus élevées des vents. Nous vivons des saisons sèches encore plus sèches, ce qui entraîne des feux incontrôlés. Nous observons une fonte des neiges rapide, des pluies fortes, des précipitations qui entraînent des inondations. Vous pouvez donc voir le risque physique, vous pouvez constater dans quelle mesure cela touche et peut endommager les habitations.

L'autre élément de cela, qui n'est pas aussi facile à voir et que nous commençons à vivre et que nous subirons tout autant dans l'avenir, a trait à ce qui s'appelle le risque lié à la transition. C'est le fait de constater les changements au niveau de l'économie et au niveau des modes de vie qui viendront en tentant d'avoir une plus faible empreinte carbone. Pensez par exemple aux industries qui émettent beaucoup de carbone et qui devront s'adapter. Quel genre d'incidence économiques cela aura-t-il? Pensez aux endroits où les gens veulent vivre s'ils constatent qu'il y a des régions au pays qui sont plus susceptibles de résister aux risques et aux décisions qui seront prises pour migrer vers des régions qui comportent toujours des risques, parce que nous ne sommes pas à l'abri du risque, quel que soit l'endroit au pays. Mais la probabilité de l'intensité de ces événements météorologiques auront un moindre incidence. Alors, en mettant ces deux éléments ensemble, vous pouvez voir la transition qui s'annonce, mais c'est quelque chose qui s'insinue en vous. Mais à l'avenir, c'est ce à quoi cela ressemblera, le risque lié à la transition vers une empreinte carbone plus faible.

Alexandra : Qui sont les plus vulnérables dans cette conversation? Vous savez que les Canadiens ne vont pas tous vivre cela de la même façon. Vous avez parlé de régions géographiques. Quels sont les autres éléments à prendre en considération?

Andrew : Quand nous parlons de vulnérabilité, un domaine qui est souvent négligé est le marché de la location. Et lorsque nous tentons de déterminer qui sont les locataires, ces derniers sont plus susceptibles d'être en besoins impérieux en matière de logement que les propriétaires individuels. Certaines statistiques que nous avons ici indiqueraient qu'environ 27 % des locataires sont en besoins impérieux en matière de logement. Ces personnes sont moins en contrôle d'être en mesure d'apporter les changements aux logements dans lesquels elles vivent. Ces décisions sont prises par les locateurs et les fournisseurs de logement. Mais nous ne pouvons pas perdre de vue le fait qu'il s'agit d'un groupe qui sera touché davantage par les changements climatiques, parce que les moyens de se rétablir ne sont pas là.

À la SCHL l'année dernière, nous avons eu une conférence à l'interne, à laquelle nous avons invité des personnes du secteur du logement pour parler des groupes vulnérables et des répercussions sur le climat. Parmi les personnes ayant pris la parole, il y avait une certaine Estelle Le Roux Joky. Une des choses qu'elle a dites qui m'a marqué dans mon travail et ma réflexion est que l'adaptation aux changements climatiques ne peut pas être un luxe. Nous devons évaluer le degré auquel les personnes vulnérables seront touchées là où elles vivent et en tenir compte. Nous ne pouvons pas permettre que l'efficacité énergétique et la résilience deviennent un luxe. Les groupes vulnérables ne peuvent se le permettre. Mais nous devons trouver des manières, par l'entremise du gouvernement, par l'entremise du secteur privé, de garantir que le logement sera compatible avec le climat dans l'avenir. Parce que la capacité de se rétablir, c'est beaucoup plus difficile.

Alexandra : Les locataires sont plus susceptibles que les propriétaires d'avoir des besoins impérieux en matière de logement. Selon le recensement de 2021, 20 % des ménages locataires avaient des besoins impérieux en matière de logement, par rapport à seulement 5 % des ménages propriétaires.

Où se situe le parc de logements en ce qui a trait à la résilience dans le contexte des changements climatiques?

Andrew : C'est un domaine qu'il faut explorer et comprendre davantage. Et cela renvoie à la raison pour laquelle nous avons une mission sur les données. Alors, nous avons des données sur le logement, et vous avez des données sur le climat. Mais les deux ne sont pas fusionnées.

Il est important de comprendre les répercussions du réchauffement de la planète sur les comportements et les tendances météorologiques. Pour ce faire, pour bâtir des modèles, vous devez avoir des données sur la compréhension de l'état actuel du parc de logements. En quoi consiste-t-il? Dans quelle mesure sera-t-il résilient? Vous devez ensuite avoir des données pour comprendre les répercussions des niveaux d'eau. Et en fonction des quantités de pluie, à quel moment les niveaux d'eau sortiront-ils des rivières? Atteindront-ils un point où ils auront des répercussions, genre, à des centaines de mètres des rivages? Un kilomètre? Alors c'est un domaine où nous avons l'impression qu'il y a un manque de données. Et c'est là que les données doivent jouer ce rôle pour aider à éduquer tous les intervenants dans le système à propos des risques qu'ils courent, de sorte qu'ils puissent prendre ces décisions sur la meilleure façon d'adapter le logement dans lequel ils vivent aux risques existants.

Alexandra : Quelle est l'incidence de la conception de notre environnement bâti, des maisons dans lesquelles nous vivons dans nos quartiers, des routes sur lesquelles nous conduisons, quelle est leur incidence sur les changements climatiques?

Andrew : J'aime la façon dont vous avez formulé cette question, parce qu'elle fait appel à la collectivité. Toutes ces choses ensemble forment une collectivité et l'habitation en fait partie. Alors quand vous pensez à ce que nous devons faire, nous devons réfléchir aux endroits où installer nos maisons pour permettre un mode de vie dans lequel nous pouvons produire moins de carbone. Ce qui signifie que vous dépendez moins des voitures, que vous pouvez marcher pour vous rendre à divers endroits, que vous pouvez… vous déplacer à vélo, que vous pouvez utiliser le transport en commun. Vous pouvez aussi tenir compte de la densité dans cette équation. Plus la région est dense, moins il faut utiliser d'espaces verts et qu'en soit, cela entraîne une meilleure qualité de vie, une meilleure vie communautaire, des répercussions sur la santé mentale. Pensons aussi à l'entretien et aux réparations des routes. Tout cela est réduit, et vous créez ce genre de collectivités où vous pouvez avoir l'abordabilité grâce à la densité et des logements compatibles avec le climat.

Alexandra : Résoudre la crise climatique pourrait nous obliger à revoir une partie de tout ce que nous tenons pour acquis. La pandémie de la COVID-19 nous a obligés à repenser de nombreuses hypothèses sur le travail, et de nombreuses personnes se sont retrouvées à télétravailler pour se protéger et pour protéger les autres.

Un rapport de 2021 a exploré les implications environnementales du télétravail, en demandant ce qui arriverait si tous les Canadiens qui quittés habituellement leurs maisons pour aller travailler dans des emplois pouvant être effectués à domicile, commençaient à télétravailler. Il serait fort probable que l'utilisation des transports en commun, la congestion routière et les émissions de gaz à effet de serre chuteraient. Mais de quelle ampleur serait cette baisse? Les auteurs de l'enquête ont déterminé que la baisse des déplacements quotidiens pour aller travailler et la baisse de l'utilisation des transports en commun qui en résulterait pourrait réduire les émissions de gaz à effet de serre d'environ 8,6 mégatonnes d'équivalent CO2 par an, soit 11% des émissions directes provenant des activités de transport des ménages pour 2015.

La crise climatique et la crise du logement sont à l'évidence toutes les deux très complexes. Est-il possible d'aborder ces deux enjeux de front? Ou est-ce que vous devez choisir d'avoir un logement abordable ou choisir d'avoir un climat viable, mais pas les deux?

Andrew : Vous pouvez avoir les deux. Et, c'est là qu'il faut remettre en question la pensée conventionnelle. Et je travaille à partir d'un concept dont notre agent en chef du climat, Steven Mennill, parle depuis un certain temps. Et il s'agit d'une fausse dichotomie que de prétendre que ces deux concepts s'opposent, de prétendre que l'abordabilité et le logement compatible avec le climat sont en contradiction.

Le premier point principal ici concerne la densité. Quand vous avez du logement dense, cela peut créer l'abordabilité, mais cela a aussi des effets bénéfiques sur le climat. Les gens utilisent moins la voiture. Ils peuvent avoir une empreinte carbone plus faible, parce qu'ils disposent de plus de commodités dont ils ont besoin pour vivre… il y en a partout autour de vous. Alors c'est le premier point entourant la fausse dichotomie, et la densité est le lien principal pour les deux.

Le deuxième point clé ici est de réfléchir aux coûts, mais à un moment donné dans le temps. Nous pensons souvent seulement à ce qui touche à notre porte-feuille aujourd'hui. Nous ne réfléchissons pas à l'avenir. Nous avons tendance à réfléchir à propos de la rentabilité, genre, combien de temps faudra-t-il pour rentrer dans mon argent? Mais nous réfléchissons rarement au coût du cycle de vie. Alors, réfléchissez au coût pour les gouvernements et les municipalités attribuable aux changements climatiques s'ils ne font pas des choses qui auront des répercussions positives sur le climat. Pensez au coût des soins de santé si nous vivons dans un monde où vous pourriez avoir plus de problèmes de santé en raison des changements climatiques.

Pensez au coût que vous payez aujourd'hui pour des assurances sans prendre aucune mesure pour rendre votre maison plus résiliente ou, collectivement, en tant que société, sans prendre de mesures pour stopper le réchauffement de la planète et aux répercussions que cela peut avoir sur les événements météorologiques catastrophiques. Et par conséquent, aux dommages que subiront les endroits où vous vivez.

Pensez aussi aux taux de location et à leurs répercussions éventuelles au fil du temps, en raison des changements climatiques. Et un autre élément qui, je l'espère, commence à se développer est celui de la demande. Et à mesure que les personnes deviennent plus renseignées et plus sensibilisées, elles vont commencer à exiger ces types de produits dans leurs maisons. Et cela entraîne un effet boule de neige sur ce qui commence à être produit. Alors ce que nous croyons utile aujourd'hui pourrait ne pas l'être pour la prochaine génération. Et cette génération, étant concentrée davantage sur le climat et sur sa compréhension et possédant plus d'outils et de ressources pour comprendre les répercussions qu'il aura sur leurs vies, exigera un changement dans le type d'habitation dans lequel ils vivent.

Alexandra : La prochaine génération serait-elle plus consciente de son incidence sur l'environnement? Une diffusion de 2022 a révélé que 5 % des personnes âgées de 15 à 30 ans faisaient des dons à des organisations environnementales, plus que tout autre groupe d'âge.

J'ai l'impression que les changements climatiques sont parfois un enjeu qui est simplement trop important pour qu'une seule personne ait l'impression de pouvoir y faire quelque chose et d'apporter un changement quelconque.

Y a-t-il des moyens par lesquels les gens qui nous écoutent chez eux dans leurs maisons, leurs appartements ou leurs copropriétés, où quel que soit l'endroit où ils vivent, pour qu'ils puissent faire une différence positive?

Andrew : Vous avez raison. Cela peut sembler un défi de taille et il est difficile de trouver par où commencer. Je crois que la première chose à faire est de commencer à nous renseigner sur notre environnement. Et je parle d'être renseigné à propos des types de risques… Parlons d'abord des risques physiques. Alors, sur le plan de l'endroit où vous vivez, le fait de comprendre quel type de condition météorologique aura des répercussions sur votre logement, analyser la condition de votre maison. Lorsque vous planifiez et envisagez des améliorations, parlez aux professionnels à propos de l'efficacité énergétique, des types de matériaux que vous pouvez utiliser dans votre maison.

Le dernier point serait d'utiliser des outils qui peuvent contribuer à vous renseigner sur votre empreinte carbone, de sorte que vous puissiez voir de quelle façon vous contribuez aux changements climatiques. Et vous pouvez ensuite utiliser ces renseignements pour vous aider à prendre des décisions sur votre manière de contribuer à réduire les effets sur les changements climatiques.

Alexandra : En ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre par les ménages, environ 40 % des émissions canadiennes résultaient de la consommation et de l'utilisation de biens et de services des ménages canadiens, en 2018.

Comment faire pour commencer à réfléchir à adapter sa maison aux changements climatiques?

Andrew : C'est une grande question, mais il y a un plan à suivre pour être en mesure de le faire. La première chose est de reconnaître que chaque habitation est différente. L'âge, les technologies que l'on y trouve… Aussi, où nous sommes situés au pays, le climat touche différentes régions du pays différemment.

Alors, pour commencer, l'une des choses que je peux proposer est de faire des recherches sur les groupes qui diffusent des publications sur la façon de trouver l'efficacité énergétique et la résilience climatique.

Une organisation qui propose des documents intéressants est le Centre Intact d'adaptation au climat. Alors, si vous cherchez des manières de réduire les risques d'inondation, réduire les risques de feu incontrôlé, ils ont des publications que vous pouvez utiliser pour voir ce que vous pourriez faire dans votre maison.

Un autre endroit que vous pouvez consulter pour entreprendre votre réflexion à propos de l'efficacité énergétique et de la résilience est la subvention canadienne pour des maisons plus vertes de Ressources Naturelles Canada. Vous passez alors par un processus pour obtenir une inspection d'un guide de Ressources Naturelles qui peut vous aider à adapter votre maison. Il y a aussi une source de financement liée à cette subvention, qui s'appelle le Programme de prêts pour des maisons plus vertes, qui peut vous aider à prendre les décisions et vous aider avec le financement.

Nos produits de prêt hypothécaire et d'assurances sont d'autres produits et endroits que vous pouvez consulter pour trouver des renseignements. Nous avons un programme Eco Plus qui est conçu à l'intention des propriétaires de maison. Nous avons un produit pour les propriétaires d'immeubles résidentiels collectifs appelé APH Select. Et nous avons aussi le fonds de co-investissement de la SNL. Ce sont là des endroits où vous pouvez aller pour entreprendre votre réflexion à propos des décisions et des choix que vous pouvez faire pour rendre votre maison, votre résidence, plus compatible avec le climat.

Alexandra : En 2018, plus de 101 000 kilotonnes de CO2 produit par les ménages provenaient des carburants et des lubrifiants. Près de 60 000 kilotonnes provenaient du gaz naturel, du chauffage et d'autres émissions de sources fixes.

Et nous avons parlé un peu du rôle et de l'importance de la recherche et de bonnes données dans la lutte contre la crise des changements climatiques et la crise du logement. Quelles sont les données que nous n'avons pas? Et pourquoi cela est-il important? Pourquoi de bonnes données sont-elles importantes ici?

Andrew : Les bonnes données sont importantes pour tous les intervenants du système de logement. Et pour donner quelques exemples, elles sont importantes pour le consommateur qui souhaite acquérir une maison. Pensez aux acheteurs d'une première maison qui veulent comprendre le risque d'inondation pour cet immense investissement qu'ils vont faire. Où peuvent-ils se tourner pour trouver des renseignements sur ce risque d'inondation?

Cela commence par les producteurs et les constructeurs pour comprendre les technologies qui existent et leur avantage. Les données profitent aux acteurs sur le plan financier, pour comprendre, vous savez, quand ils vont émettre des primes d'assurance ou prêter pour comprendre le risque supplémentaire qui vient d'être ajouté dans le système en vue de les aider à prendre des décisions efficaces.

Elles profitent aussi aux gouvernements. Pour faciliter l'élaboration de politiques publiques, il faut disposer de données. Il faut comprendre autant que possible le parc de logements actuel, les nouvelles technologies pour élaborer ces stratégies afin d'avoir une empreinte carbone plus faible.

Alexandra : Avez-vous des publications qui seront diffusées prochainement à ce sujet sur lesquelles vous aimeriez attirer l'attention de notre auditoire?

Andrew : Oui, il y a deux recherches produites qui sont réellement intéressantes.

Une porte sur les solutions en matière d'assurance. Elle examine la manière dont les pays s'y prennent pour élaborer des programmes et des produits d'assurance solides. Nous savons que lorsqu'il arrive un événement catastrophique qui entraîne des répercussions dévastatrices sur le logement l'assurance joue un rôle clé. Cette étude contribuera donc à montrer ce que les autres compagnies d'assurance font pour gérer ces risques.

Une autre réalisation très intéressante est le travail que nous avons accompli avec l'industrie pour tenter de comprendre le risque climatique sur le logement. Le travail porte sur les intervenants dans le système, se penche sur le risque climatique de la même manière et en arrive à la conclusion qu'il y a un point en commun qui réunit tous les acteurs du système. Il s'agit des données de la nécessité d'avoir des données fiables pour éclairer la prise de décisions dans le but de lutter contre les changements climatiques et de s'y adapter aujourd'hui et à l'avenir.

Alexandra : Lorsque l'on cherche à prendre une décision éclairée, on en revient toujours aux données! StatCan met à disposition sur son site Web, statcan.gc.ca, de très nombreux renseignements, notamment par le biais de son Portail de statistiques sur le logement. Il est également possible d'obtenir des données sur le logement issues du Recensement de 2021, en visitant la page du recensement sur notre site Web.

Pour en revenir à la « guerre des thermostats », j'ai trouvé certaines données sur le site Web de StatCan présentant les économies d'énergie réalisables en fonction des températures; je crois que nous allons pouvoir nous appuyer sur ces renseignements, cet hiver, pour choisir une température et peut-être bien qu'un thermostat programmable se profile à l'horizon.

Vous venez d'écouter « Hé-coutez bien! » Un merci spécial à Andrew Defazio et à l'équipe de la SCHL pour leur aide dans la réalisation de cet épisode.

Vous pouvez vous abonner à cette émission à partir de n'importe lequel des sites où vous obtenez habituellement vos balados. Vous y trouverez également la version anglaise de notre émission, intitulée « Eh Sayers ». Si vous avez aimé cette émission, veuillez la noter, la commenter ou vous abonner et peut-être la partager avec un ami. Merci de nous avoir écouté!

Psst! Hé! Vous êtes à la toute fin de l'émission. Félicitations! Et, sincèrement, merci! Nous travaillons très fort pour réaliser cette émission, alors nous sommes ravis que vous l'ayez écoutée au complet. En tant que nouveau membre de notre club super secret et, hum, « entièrement réel  » des Hé-couteurs, j'aimerais vous demander un service. Tous les balados vous demandent de les noter, de les commenter ou de vous y abonner, mais écoutez-moi bien.

Nous sommes un tout nouveau balado. Il y a tout juste un an que nous avons lancé notre tout premier épisode, et nous travaillons incroyablement dur sur notre contenu. Nous essayons d'offrir à la population canadienne un moyen amusant et facile de découvrir les données produites par StatCan. Nous essayons également d'accroître la littératie des données et d'aider les gens à comprendre les forces économiques qui façonnent notre monde. Aujourd'hui, par exemple, nous nous sommes penchés sur la crise climatique et la crise du logement et sur les façons dont elles se répercutent les unes sur l'autre. Et nous pensons que c'est une question vraiment importante à laquelle les Canadiens doivent réfléchir. Vous voici arrivés à la fin de l'émission, et nous espérons que vous trouvez notre mission importante. Si c'est le cas, veuillez partager cet épisode avec une autre personne, un ami, une collègue. Soit une autre personne qui pense qu'il est bon d'en savoir un peu plus sur le monde. Merci d'avance! Nous vous en sommes très reconnaissants.
Quoiqu'il en soit, et comme d'habitude, nous vous remercions infiniment de votre écoute!

Sources 

Société canadienne d'hypothèques et de logement. 2022. « Intégrer les répercussions des changements climatiques aux modèles liés au logement et au financement de l'habitation : une analyse documentaire. » Société canadienne d'hypothèques et de logement. Recherche sur le logementIntégrer les répercussions des changements climatiques aux modèles liés au logement et au financement de l'habitation : une analyse documentaire.

Bureau d'assurance du Canada. 2022. « Ouvrir la voie à la compatibilité climatique  : divulgation et mesures relatives aux risques climatiques dans le contexte du logement au Canada.  » Bureau d'assurance du Canada. Ouvrir la voie à la compatibilité climatique :divulgation et mesures relatives aux risques climatiques dans le contexte du logement au Canada.


Statistique Canada. « Indicateurs de logement, Recensement de 2021. » Statistique Canada, 21 septembre 2022. Indicateurs de logement, Recensement de 2021.

Incidence potentielle du télétravail sur le transport en commun et les émissions de gaz à effet de serre, selon les données de 2015. 22 avril 2021. Infographie. Statistique Canada.

Un portrait des familles au Canada en 2021. 13 juillet 2022. Infographie. Statistique Canada.

Les émissions canadiennes de gaz à effet de serre attribuables aux ménages, 2018. 28 mars 2022. Infographie. Statistique Canada.

Besoins impérieux en matière de logement au Canada. 21 septembre 2022. Infographie. Statistique Canada.

Portrait des jeunes au Canada : Environnement. 7 avril 2022. Infographie. Statistique Canada.

Date de modification :

Hé-coutez bien! Épisode 10 - Pourquoi n'avons-nous pas encore mis fin à la pauvreté?

Date de diffusion : le 17 octobre 2022

Nº de catalogue : 45-20-0003
ISSN : 2816-2269

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Graphique de pauvreté (JPG, 1.85 Mo)

À une époque, Statistique Canada ne mesurait pas la pauvreté, pas exactement en tout cas. La pauvreté est complexe et personne ne s'entendait sur la manière de la définir. Par conséquent, même si StatCan mesurait bien le faible revenu et d'autres indicateurs de l'inégalité des revenus, il ne mesurait pas la pauvreté à proprement parler. Ce fut le cas jusqu'en 2018, lorsque la mesure du panier de consommation (MPC) est devenue le seuil de pauvreté officiel du Canada. Cela signifie que le gouvernement se sert maintenant de la MPC pour effectuer le suivi de ses cibles de réduction de la pauvreté.

Quelque chose d'inattendu s'est produit au cours de la pandémie : le taux de pauvreté a diminué en 2020 – et de beaucoup. En une seule année, ce taux a diminué pratiquement autant qu'il l'avait fait au cours des quatre années précédentes.

Mais qu'est-ce qui s'est passé? Le taux de pauvreté continuera-t-il à baisser? Qu'arrivera-t-il s'il atteint zéro? Quelles seraient les répercussions sur les résultats en matière de santé? Sur les études? Sur le bonheur et le bien-être général des gens?

Existe-t-il un moment et un endroit au Canada où le taux de pauvreté a été zéro? La situation la plus proche peut avoir été l'expérimentation Mincome, qui s'est déroulée au Manitoba dans les années 1970. Beaucoup de Canadiens n'ont jamais entendu parler de cette expérimentation de revenu garanti, mais celle-ci offre un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler l'élimination de la pauvreté.

Pour en savoir plus, nous avons discuté avec Burton Gustajtis, économiste à Statistique Canada, Evelyn Forget, professeure en économie et en sciences de la santé communautaire à l'Université du Manitoba, et Kevin Milligan, professeur en économie à la Vancouver School of Economics de l'Université de la Colombie-Britannique.

Animatrice

Mélanie Charron

Invités

Burton Gustajtis, Evelyn Forget, Kevin Milligan

Narration

Alexandra Bassa, Fawzi Hemsas, et Chris Houle

Écoutez

Hé-coutez bien! Épisode 10 - Pourquoi n'avons-nous pas encore mis fin à la pauvreté? - Transcription

(Thème)

Mélanie : Bienvenue à « Hé-Coutez bien! », un balado de Statistique Canada où nous faisons connaissance avec les personnes derrière les données et découvrons les histoires qu'elles révèlent. Je suis votre animatrice Mélanie Charron.

À une époque, Statistique Canada ne mesurait pas la pauvreté, pas exactement en tout cas. Il n'existait pas de définition unique de ce que signifiait « la pauvreté » et c'était un sujet complexe; par conséquent, même si Statistique Canada mesurait le faible revenu et d'autres indicateurs, le gouvernement devait établir une définition de la pauvreté pour que Statistique Canada puisse la mesurer. C'est ce qui s'est passé en 2018, lorsque la mesure du panier de consommation (MPC) est devenue le seuil de pauvreté officiel du Canada. C'est la mesure qu'utilise le gouvernement du Canada pour effectuer le suivi de ses cibles de réduction de la pauvreté faisant parti de l'un des objectifs de développement durable canadien d'élimination de la pauvreté.

Quelque chose d'inattendu s'est produit au cours de la pandémie : en 2020, le taux du seuil de pauvreté a diminué; et de beaucoup.

Le taux de pauvreté est passé à 6,4 %, alors qu'il était de 10,3 % en 2019; donc plus d'un tiers. En une seule année, ce taux a diminué pratiquement autant qu'il l'avait fait au cours des quatre années précédentes.

Burton : Je suis Burton Gustajtis. Je suis économiste à Statistique Canada.

En général, la mesure du panier de consommation est une mesure absolue du faible revenu. Elle se fonde sur le coût d'un panier donné de biens et de services correspondant à un niveau de vie modeste de base d'une famille de quatre personnes.

Mélanie : La MPC est donc un panier d'achat rempli des articles dont vous auriez besoin : l'alimentation, l'habillement, les chaussures, le logement, le transport et d'autres articles de première nécessité.

Burton : Chacune de ces composantes, lorsque cela est pertinent, suit des normes établies par des experts de leur domaine particulier. La composante d'alimentation, par exemple, se fonde sur des aliments couramment consommés représentant un régime nutritif. On utilise pour cela le panier de provisions nutritif national de 2019 élaboré par Santé Canada et correspondant au Guide alimentaire canadien le plus récent.

Mélanie : Les experts de Statistique Canada analyse ce qui remplit votre panier d'achats et combien il en coûte, et c'est ce qui devient alors le seuil. Si votre revenu vous permet d'acheter ce panier d'items, vous vivez au-dessus du seuil de pauvreté. À l'inverse, vous êtes sous le seuil.

Que se passe-t-il pour les personnes qui ne correspondent pas nécessairement à la structure d'une famille de quatre?

Burton : Pour les différentes tailles de familles, nous avons recours à une méthodologie d'équivalence, qui est une méthode reconnue à l'échelle internationale d'ajustement des seuils de faible revenu, ainsi que des estimations de revenu pour différentes tailles de familles.

Mélanie : Est-ce comme une équation?

Burton : Oui. On l'appelle la méthode d'équivalence par racine carrée. Au fond, l'idée est que le coût augmente pour une famille, mais à un taux décroissant. Plus la famille est nombreuse, plus le coût du panier est élevé, pas selon un taux linéaire mais à un taux décroissant.

Mélanie : Je comprends. Pour chaque personne supplémentaire, on ne double pas les chiffres.

Burton : Oui, c'est ça! Exactement. Il augmente, mais pas à un coût constant.

Mélanie : Donc, en plus de prendre en compte les différentes tailles des familles pour déterminer différentes tailles de panier, la mesure tient également compte d'une composante régionale.

Burton : Le coût de ce panier est établi dans 53 régions dans l'ensemble des provinces.

Mélanie : Le coût de certains articles peut être différent selon l'endroit où l'on vit. Le même pain, par exemple, peut avoir un prix différent selon que vous l'achetiez à Halifax, ou en région rurale de l'Alberta ou à Montréal. La MPC tient donc compte de l'endroit où vivent les gens.

Le coût du panier change-t-il en fonction de l'inflation?

Burton : Oui, en effet. Il s'agit donc d'une mesure absolue de la pauvreté. Cela signifie que le contenu du panier est une constante pour une année de référence. Notre année de référence actuelle est 2018. Il est ensuite ajusté chaque année pour tenir compte de la variation inflationniste, des changements uniquement relatifs aux prix. Le contenu du panier reste constant, mais son prix est ajusté à l'aide de l'Indice des prix à la consommation.

Mélanie : La MPC est un seuil publié annuellement. Elle fluctue selon l'inflation qui elle est calculée mensuellement. Nous avons consacré un épisode entier à l'inflation et à l'IPC en janvier dernier, intitulé « Pourquoi devriez-vous vous préoccuper de l'inflation? » Écoutez-le pour en apprendre davantage!

La mesure du panier de consommation capture-t-elle pleinement la pauvreté au Canada?

Burton : C'est une bonne question. La pauvreté est un concept complexe. Elle ne se résume pas à un faible revenu comme l'exprime la mesure du panier de consommation. Il s'agit d'une notion multidimensionnelle. Il s'agit également de l'inégalité de la répartition du revenu, de se trouver en dessous du seuil de pauvreté, de se retrouver en situation de pauvreté et d'en sortir. Cela comprend aussi l'accès à l'éducation, des emplois bien rémunérés, l'intégration sociale. Il ne s'agit donc pas seulement d'un faible revenu.

Mélanie : La mesure du panier de consommation est un excellent outil; elle est facile à comprendre, elle tient compte des différences géographiques et permet certaines variations de la taille de la famille; elle est continuellement mise à jour (ou fait l'objet d'un changement de base; qui est le terme technique) par Statistique Canada et ses partenaires d'Emploi et Développement social Canada, afin d'améliorer l'outil et d'en aborder toute éventuelle faiblesse. La mesure du panier de consommation est utile, mais n'est pas la seule façon de faire le suivi de la pauvreté. Statistique Canada dispose d'un tableau de bord de la pauvreté en ligne appelé le Carrefour des dimensions de la pauvreté proposant 12 indicateurs différents que l'on peut consulter pour dresser un tableau plus complet.

Comme je l'ai mentionné au début de l'entrevue, le taux de pauvreté affichait une tendance à la baisse avant la pandémie. De 2015 à 2019, il a diminué, passant de 14,5 % à 10,3 %, ce qui représente une différence de 4,2 points de pourcentage en quatre ans. De façon notable pour 2020, le taux de pauvreté a encore diminué pour passer à 6,4 %, alors qu'il était de 10,3 % en 2019; ce qui représente un écart de 3,9 points de pourcentage, donc plus d'un tiers. En une seule année, ce taux a diminué pratiquement autant qu'il l'avait fait au cours des quatre années précédentes.

En réponse à la pandémie et aux fermetures et restrictions mises en place pour la gérer, le gouvernement du Canada a introduit de nouvelles mesures de soutien du revenu pour les particuliers ainsi que pour les entreprises, comme la Prestation canadienne d'urgence et la Prestation canadienne d'urgence pour les étudiants.

Burton : Les répercussions de la pandémie n'ont pas été ressenties de façon égale par tout le monde et de nombreuses familles ont souffert. Alors que bon nombre de familles n'ont pas souffert d'une perte d'emploi ou de revenu, ces pertes de revenus et d'emploi ont tendu à se concentrer parmi les familles et personnes à faible revenu. Pour faire face à ces pertes d'emploi et de revenu, un certain nombre de Canadiens se sont tournés vers les mesures de soutien du revenu existantes et nouvellement mises en place. Ces programmes ont fourni un soutien du revenu d'environ 82 milliards de dollars à 8,1 millions de familles et de personnes hors famille canadiennes en 2020. Le résultat général de cela a été que le taux de pauvreté a diminué de plus du tiers en 2020. Ces diminutions ont été universelles. Elles se sont appliquées à toutes les provinces, tous les types de famille, tous les groupes démographiques, même si je tiens à souligner que les écarts se sont maintenus entre les populations à risque et celles n'étant généralement pas confrontées à un risque de pauvreté; donc, même si la pauvreté a diminué pour tout le monde, les écarts entre les populations demeurent les mêmes.

Mélanie : Il est important de noter que ces variations du taux de pauvreté ont été attribuables aux soutiens gouvernementaux temporaires et on ne peut pas s'attendre à ce que ces changements soient permanents.

Nous avons entendu parler de la diminution impressionnante du taux de pauvreté et cela a fait réfléchir toute l'équipe du balado. À quoi ressemblerait le Canada si le taux de pauvreté atteignait zéro? Quelles seraient les répercussions sur les résultats en matière de santé? Sur les études? Globalement sur le bonheur et le bien-être des gens?

Cela a vraiment stimulé notre curiosité. Existe-t-il un moment et un endroit au Canada où le taux de pauvreté a été zéro? La situation la plus proche peut avoir été l'expérimentation Mincome. Nous avons voulu en savoir plus et nous avons consulté des experts.

Evelyn : Je m'appelle Evelyn Forget. Je suis professeure au Département des sciences de la santé communautaire de l'Université du Manitoba.

Mélanie : Pourriez-vous nous expliquer ce qu'a été l'expérimentation Mincome?

Evelyn : L'expérimentation Mincome a eu lieu au milieu des années 1970 au Canada, lorsque le gouvernement fédéral et les divers gouvernements provinciaux repensaient un grand nombre des programmes sociaux offerts dans le pays. Il s'agissait d'une expérimentation de revenu annuel garanti. On l'appelait alors une expérimentation de revenu annuel de base. Cela signifiait que tous les participants à l'expérimentation recevaient la promesse de bénéficier d'un certain montant d'argent convenu, s'ils n'avaient pas d'autre source de revenus. S'ils avaient une autre source de revenus, s'ils travaillaient, par exemple, et gagnaient un peu d'argent, la prestation était réduite, mais moins que proportionnellement. Ce revenu garanti agissait donc alors à la fois comme un supplément pour des travailleurs à faible revenu et comme un remplacement d'aide au revenu provinciale. Deux sites au Manitoba ont été choisis pour participer à l'expérimentation : Winnipeg et une petite ville du nom de Dauphin au Manitoba.

Mélanie : Les familles ont reçu de l'argent pendant trois ans, de 1975 à 1978, et l'un des objectifs était d'évaluer les répercussions de ce revenu annuel garanti sur le comportement de travail des bénéficiaires, afin de vérifier la théorie selon laquelle si l'on donne de l'argent à des gens, ils n'ont pas la même motivation pour travailler et ils réduisent leurs heures de travail voire abandonnent leur emploi.

Quels ont été les résultats de cette expérimentation?

Evelyn : Au cours des années 1980, plusieurs économistes de l'Université du Manitoba ont examiné les résultats du marché du travail : Derek Hum et Wayne Simpson. Ils ont découvert ce qui a été révélé par de nombreuses autres expérimentations de revenu de base et de revenu garanti : il n'y avait pas vraiment de grande répercussion sur le marché du travail; les personnes qui travaillaient avant l'expérimentation ont continué à travailler à peu de choses près. Les personnes qui ne travaillaient pas avant n'ont, en grande partie, pas commencé à travailler et n'ont pas arrêté. Donc, il n'y a pas eu de grand changement dans la participation au marché du travail du fait de l'expérimentation du revenu de base ou de l'expérimentation de revenu annuel garanti.

Mélanie : Il y a cependant eu deux exceptions notables.

Evelyn : En effet, deux groupes de personnes ont travaillé moins au cours de l'expérimentation. L'un de ces groupes était constitué de femmes vivant une première maternité. Si on réfléchit à la situation dans les années 1970. Les congés de maternité n'étaient pas ce qu'ils sont maintenant. Le congé parental d'un an n'existait pas et, la plupart du temps, les femmes avaient la garantie de quatre semaines de congé lorsqu'elles accouchaient. Un grand nombre de jeunes mères trouvaient que c'était une réponse plutôt dérisoire pour un accouchement. Je pense que, d'une manière prévisible, bon nombre de ces familles ont utilisé la prestation Mincome pour s'offrir des congés parentaux plus longs. L'autre groupe de personnes ayant moins travaillé a été, et les termes utilisés ici s'avèrent vraiment très importants... Les termes employés dans le rapport étaient « young, unattached males », c'est-à-dire, les jeunes hommes n'ayant pas formé de famille. Ils n'étaient pas mariés, ils ne vivaient pas dans une relation engagée, ils n'avaient pas d'enfants et ils travaillaient moins. Cela a semblé alimenter de nombreux préjugés que les gens avaient, de nombreuses inquiétudes que les gens avaient en matière de revenu garanti. Ce que j'ai pu faire a été de retourner pour retrouver certains des dossiers scolaires de cette période. L'un des aspects que j'ai montrés est qu'il y a eu une jolie petite bulle de taux de diplomation d'études secondaires exactement pendant l'expérimentation Mincome. Cela signifiait que les personnes qui n'auraient probablement pas terminé leurs études secondaires ont pu les terminer, parce que leurs familles ont reçu l'aide Mincome.

Mélanie : Les gens ont pensé que ces jeunes hommes faisaient ce que tout le monde craignait : utiliser l'argent à d'autres fin qu'aux besoins essentiels, mais les constats d'Evelyn suggèrent que ce qui a pu se passer en fait est que les jeunes hommes, qui auraient abandonné leurs études secondaires pour aider à soutenir leurs familles, ont en fait ainsi eu l'occasion de terminer leurs études et d'obtenir leur diplôme.

Est-ce que l'expérimentation a eu une incidence sur le type d'emploi des gens?

Evelyn : Eh bien, je n'ai pas de données explorant spécifiquement les types d'emplois qu'occupaient ces personnes. Je dispose en revanche d'un grand nombre de rapports anecdotiques de gens ayant participé à l'expérimentation. Donc, j'ai pu, par exemple, parler aux gens ayant saisi l'occasion de maintenir les activités d'une petite entreprise ou de fonder de petites entreprises. J'ai trouvé que c'était un résultat vraiment intéressant. Une femme de Dauphin à qui j'ai parlé avait ouvert une petite boutique de disques vendant des tourne-disques et des disques au cours de cette période. Elle m'a confié se souvenir de la période Mincome comme d'une période où tout le monde avait un peu d'argent dans les poches. Mais il y avait beaucoup d'histoires de personnes utilisant l'argent de Mincome pour investir dans de petites entreprises déjà existantes. Un grand nombre de personnes à Dauphin, par exemple, étaient des agriculteurs ou avaient un lien d'une manière ou d'une autre avec l'agriculture. Mincome a donc stabilisé leurs revenus et leur a permis d'investir dans du nouveau matériel pour établir leurs entreprises.

Mélanie : En termes de santé, est-ce que cela a eu une incidence sur les gens, sur le plan de la santé physique ou mentale?

Evelyn : L'une des raisons pour lesquelles je suis retournée explorer les dossiers de Mincome était de savoir si la santé des gens s'était améliorée. J'étais particulièrement intéressée par la santé mentale, mais également par tous les aspects de la santé. J'ai été très chanceuse en fait, car le Manitoba venait d'adopter l'assurance-maladie universelle juste avant le début de l'expérimentation. J'ai donc pu faire le suivi de certains participants dans les dossiers du régime d'assurance-maladie et examiner ce qui était arrivé à leur santé. J'ai donc pu comparer les personnes ayant participé à l'expérimentation avec un groupe correspondant de personnes de même âge et de même sexe vivant dans des types d'endroits similaires n'ayant pas bénéficié de ce soutien du revenu. J'ai pu montrer que les taux d'hospitalisation ont diminué de façon relativement substantielle au cours de l'expérimentation. Globalement, le taux d'hospitalisation a diminué d'environ 8,5 %. C'est un constat relativement spectaculaire; une grosse réduction des taux d'hospitalisation. Lorsque j'ai examiné les choses d'un peu plus près pour savoir pourquoi les taux d'hospitalisation avaient diminué, deux catégories se sont vraiment distinguées : d'abord les accidents et les blessures; c'est une vaste catégorie qui comprend tous les types d'admissions en soins hospitaliers de courte durée. Vous savez, les personnes ayant eu des accidents de la route, des accidents de tout genre, etc. Mais l'autre catégorie était la santé mentale. Il y a eu une grosse réduction des hospitalisations associées à la santé mentale. Cela a été l'un des gros constats, je pense, au cours de cette expérimentation; cela a été sans aucun doute un résultat intéressant pour une expérimentation de revenu garanti.

Mélanie : Y a-t-il des leçons ou des implications que nous pouvons tirer de cela?

Evelyn : Je pense que nous trouvons des résultats similaires chaque fois que nous faisons des types d'expérimentations similaires. Je pense que la santé des gens s'améliore inévitablement lorsque leur revenu augmente. Je pense que ce n'est pas une surprise. Nous le voyons dans un grand nombre de types de programmes différents. Je pense que l'un des aspects devenant très évidents pour les gens est que la pauvreté entraîne de nombreux coûts dans l'économie et la société. Si on peut faire quelque chose réduisant le taux de pauvreté, cela peut améliorer le niveau de vie non seulement des gens recevant l'argent, mais de tous les gens vivant dans une ville, tous les gens qui vivent ensemble. Je pense donc que ces points sont très positifs. Mais les constats de base, je pense, sont ce que nous voyons chaque fois : que la pauvreté représente un coût. Nous ressentons ce coût et de façon très personnelle, dans notre santé, en termes de bien-être. Si vous donnez de l'argent à des gens, ils le dépensent en majeure partie dans des choses qui améliorent leur qualité de vie et celle de leur famille. Ils investissent dans les études, ils investissent dans un meilleur logement, une meilleure alimentation. Dans un sens, cela n'est pas surprenant.

Les gens qui reçoivent de l'argent lors de périodes de leur vie où ils sont vulnérables peuvent vraiment apporter des changements qui vont influer sur leur santé, sur leur vie pendant de nombreuses années ensuite.

Mélanie : Que se passerait-il si tout le monde vivait au-dessus de ce seuil de la MPC? Est-ce que cela résoudrait le problème? Maintenant, je ne vais pas mentir, (et je veux dire par là l'équipe du balado qui ne sommes définitivement pas des experts) nous nous sommes peut-être un peu emballés avec cette idée.

Nous avons demandé à notre spécialiste de Statistique Canada ce qu'il se passerait si l'on utilisait la mesure du panier de consommation dans un contexte Mincome et il a très aimablement expliqué certains enjeux.

Burton : Il s'agit d'un outil statistique visant à servir parallèlement à un concept de revenu, du fait de l'établissement du revenu disponible, comme les ajustements de type d'occupation et du fait que, comme vous l'avez mentionné, les coûts ne sont pas définis indépendamment pour différentes tailles de familles ou structures. Elle ne peut pas être utilisée de cette façon en vue de l'admissibilité à des programmes ou de versement d'une rémunération minimale ou pour un concept de revenu de base. Il s'agit d'un excellent outil de modélisation, de mesure de la pauvreté et de répartition du revenu, mais elle ne doit pas être considérée comme un outil universel pouvant résoudre tous ces problèmes.

Mélanie : Nous avons voulu en savoir plus sur la pauvreté et sur la raison de sa complexité ainsi que pourquoi la MPC ne devrait pas être utilisée comme outil universel.

Kevin : Je suis Kevin Milligan. Je suis professeur d'économie à la Vancouver School of Economics de l'Université de la Colombie-Britannique.

Mélanie : La mesure du panier de consommation est un excellent outil de production de rapports, mais on ne pourrait pas l'utiliser pour répondre à des besoins comme la PCU.

Kevin : Simplement pour vous donner un exemple, vous savez qu'actuellement un grand nombre de transferts de revenu se fondent sur le revenu familial et le contexte familial. On peut penser à l'Allocation canadienne pour enfants, au crédit pour taxe sur les produits et services, qui réduit le revenu que les Canadiens reçoivent et ce chèque, ce dépôt direct, que bon nombre d'entre nous, vous savez, avons reçu chaque trimestre lorsque nous étions étudiants. Ces programmes se fondent sur le barème de déclaration de revenus et nous venons de déclarer nos revenus en avril 2022. Ces prestations sont toutes ajustées rapidement en juillet 2022 pour les 12 mois entre juillet 2022 et juin 2023. Donc, si vous y réfléchissez, si je perds mon emploi demain, quand sera mise à jour mon Allocation canadienne pour enfants? Quand sera mis à jour mon crédit pour TPS? Tout est fondé sur mes impôts d'avril 2023, donc en juillet 2023, mon chèque sera mis à jour; ce qui peut ne pas être idéal, si mes besoins en revenu sont plus importants dès maintenant? Ce cycle selon lequel les choses se répètent est un gros défi auquel on est confronté. Maintenant, on peut faire valoir qu'il existe peut-être des façons de faire les choses plus rapidement. Nous pourrions ne pas tenir compte des changements lors du cycle de déclaration de revenus et le faire de d'autres façons. Donc, le type de défis auxquels l'on doit faire face est la façon de transmettre en réalité les chèques aux gens en fonction de leur situation actuelle? C'est l'un des nombreux défis auxquels nous sommes confrontés.

Mélanie : La MPC ne tient pas compte de toutes les circonstances, comme la taille d'une famille. Une famille de 4 pourrait compter deux parents et deux enfants ou un parent et trois enfants. Ces deux types de familles ont des besoins très différents. Et ceci, avant même d'ajouter des spécificités tel que des besoins d'accessibilité à ce descriptif. Kevin élabore en disant ce qui suit :

Kevin : Notre système actuel est très fortement fondé sur nos besoins. Donc, si vous avez un handicap, vous avez un type de structure de revenus très différent. Et cela varie même en fonction des handicaps; cela dépend de votre contexte familial et de divers aspects de votre vie. Il existe donc toute une panoplie de programmes gouvernementaux. C'est assez complexe. Ils interagissent souvent maladroitement et ce n'est pas idéal, mais nous devons comprendre que leur raison d'être est qu'il existe une variété de besoins différents. Si nous remplacions entièrement ce panier, ces programmes d'inférence, par un programme universel, un genre de chèque général d'un type ou d'un autre ne dépendant pas des besoins individuels, si vous y réfléchissez, les gens pour qui cela serait le plus néfaste seraient ceux en ayant le plus besoin, car ce chèque universel ne tiendrait pas compte de tous les aspects de leurs besoins. Donc un gros défi dans l'approche du revenu de base est que si on essaie de veiller à ce que les gens ayant les plus gros besoins soient traités équitablement, qu'ils obtiennent le même type de transfert de revenus, on finit en fait par devoir tenir compte de tous les différents types de handicaps, toutes les situations familiales, tous les modèles de revenu et on finit en fait par recréer toute la complexité du système existant. Donc, ce que je sous-entends ici, c'est qu'il n'y a pas de solution magique parfois. Au fond, on pense au revenu comme s'il s'agissait d'une solution magique, que nous pouvons faire table rase de toute la complexité. Ce à quoi je demande à tout le monde de réfléchir est que la raison de cette complexité est que les gens ont des vies complexes. Cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas réduire la complexité et essayer d'améliorer les choses, de faciliter les points d'accès pour les Canadiens et Canadiennes à faible revenu afin qu'ils puissent accéder aux prestations. Mais cela sous-entend qu'il n'y a pas de baguette magique ici.

Je n'entamerais cependant pas cette discussion en pensant résoudre le problème en une journée.

Mélanie : Ne vous méprenez pas. Tout ceci n'est pas une critique de la mesure du panier de consommation. C'est un outil conçu à une fin particulière, qui ne fonctionne pas toujours si on l'envisage hors contexte et qu'on l'applique à une nouvelle fin pour laquelle il n'était pas conçu. La mesure du panier de consommation est un excellent outil pour mesurer un aspect clé de la pauvreté, mais elle n'est pas une mesure parfaite pour tous les domaines où des besoins existent dans le pays. Il s'agit seulement d'un indicateur et il en existe bien d'autres.

Quels sont certains des problèmes qui surviennent lorsqu'on utilise une seule mesure pour saisir une notion aussi complexe que la pauvreté?

Mélanie : Quels sont certains des problèmes qui surviennent lorsqu'on utilise une seule mesure pour saisir une notion aussi complexe que la pauvreté?

Kevin : Les diverses mesures capturent différents aspects des choses. Une autre mesure existe appelée la mesure de faible revenu, qui examine la situation d'une famille par rapport à une famille typique, calcule le revenu familial médian au Canada, trace une ligne en fonction de cela pour effectuer des comparaisons. Cette mesure présente parfois un tableau différent, parce qu'elle compare en quelque sorte l'extrémité inférieure avec la moyenne. Ce qui est intéressant au sujet de cette mesure est que, dans les années 1990, le revenu médian d'une famille typique au Canada diminuait en fait. Cela signifiait que la mesure de faible revenu, reliée à ce revenu médian, étant en fait de plus en plus basse chaque année, de sorte qu'il était plus facile de sortir de la pauvreté. Nous avons donc assisté à une diminution des mesures de la pauvreté, des résultats en matière de pauvreté de ce fait, parce qu'il était plus facile de franchir ce seuil. Ça ne semble pourtant pas une bonne chose que le revenu de tout le monde diminue. Le faible revenu diminue à une vitesse légèrement différente de celle du revenu médian. Cela ne semble pas une bonne chose. C'est l'une des raisons pour lesquelles la mesure du panier de consommation dresse un tableau différent. Ce qui est intéressant est qu'elle ne compare pas le niveau inférieur avec le milieu. Donc, selon la situation médiane, la notion de pauvreté change. La MPC montre simplement ce dont on a besoin au Canada en 2022 pour vivre une vie acceptable et donc les gens de Statistique Canada et toutes les tables rondes et les discussions ont permis de créer le panier qui ne dépend pas de la situation du revenu médian. Elle ne fluctue pas de cette façon. Elle est donc un peu plus stable pour cet aspect et est sans doute une mesure de carence. Cela ne veut pas dire que la mesure de faible revenu n'est pas utile, mais je l'utilise simplement comme exemple. C'est une mesure utilisée dans des comparaisons de la pauvreté au niveau international, car ce qui se trouve dans un panier canadien de mesure du panier de consommation a du sens pour le Canada, mais peut-être pas pour l'Italie, ni pour le Japon. Ils auraient un panier de biens différent du fait de différentes cultures, de différentes économies. Les comparaisons internationales tendent donc à se concentrer sur quelque chose comme une mesure de faible revenu, qui compare l'extrémité inférieure avec la moyenne, car c'est quelque chose qui est plus facile à mettre en œuvre pour divers pays.

Mélanie : C'est la raison pour laquelle le Carrefour de la pauvreté de Statistique Canada présente 12 indicateurs différents. Un indicateur ne peut simplement pas dresser le tableau complet par lui-même.

J'ai l'impression d'avoir suivi une sorte de cours intensif en tant qu'analyste subalterne de politiques au cours de cet épisode.

Kevin : Exactement. C'est le type de travail que font constamment un grand nombre de gens à EDSC et au ministère des Finances pour essayer de concevoir ces systèmes de garantie de ressources et cela présente un excellent défi. C'est également très gratifiant, car lorsque l'on pense à ce que nous faisons, nous essayons aux meilleures de nos capacités d'aider des familles qui sont vraiment dans le besoin. J'utilise les enquêtes et produits de Statistique Canada pour faire le meilleur travail possible lorsque nous essayons de concevoir ces programmes; moi, à l'externe comme chercheur, et les fonctionnaires du gouvernement à l'interne. Mais oui, je pense que c'est fascinant parce que c'est si difficile. C'est un vrai défi. Si c'était facile, j'aurais fini à midi et ce serait merveilleux, mais ce sont ces défis et tenter de trouver des manières de les résoudre qui est enrichissant et un défi auquel j'aime travailler.

Mélanie : Il est difficile d'éradiquer la pauvreté, mais cela ne signifie pas que cela ne vaut pas la peine d'essayer. Le Canada dispose d'une stratégie de réduction de la pauvreté reflétant les objectifs liés au développement durable de l'ONU.

Comment l'éradication de la pauvreté pourrait-elle changer la vie d'une personne vivant dans la pauvreté?

Kevin : De deux façons. Je le formulerais en termes de disposer d'un revenu supérieur pour les personnes gagnant un faible revenu; je pense que cela changerait la situation de deux manières. L'une est, je pense, simplement la capacité d'acheter davantage de choses pouvant l'aider à maintenir son bien-être; comme une meilleure alimentation, de meilleures conditions de vie, un habillement adéquat, par exemple. L'autre aspect plus subtil, mais peut-être plus important, est lorsque l'on pense au stress que vit une famille lorsque son revenu n'est pas suffisant, lorsqu'elle ne pense pas que ses enfants puissent faire aussi bien que leurs voisins en termes de participations aux activités scolaires. Des recherches ont démontré que ce type de stress, d'avoir un budget serré, est relativement important pour le bien-être d'une personne ainsi que pour les répercussions à long terme d'une vie de pauvreté. Ce dont les gens se souviennent, s'ils ont grandi dans la pauvreté, est peut-être d'avoir eu faim certains soirs, mais plus souvent, vous savez, c'est la douleur du stress d'avoir eu un budget serré, que cela entraîne un mauvais comportement dans le ménage ou seulement de la honte et de l'embarras à l'école; ces souvenirs et les répercussions réelles de cela sont d'une certaine manière bien plus marquante que de se coucher le ventre vide.

Mélanie : Dans l'un des épisodes de la première saison, « Au bord de l'effondrement », notre invitée, Dre. Kelley, a parlé de l'incidence du stress sur les enfants. Écoutez-le pour en apprendre davantage.

Quel est le coût de ne pas faire de notre mieux pour éradiquer la pauvreté?

Evelyn : Oh, je pense que le coût de la pauvreté est immense dans ce pays. Je pense que si l'on commence à étudier cela, il n'existe pas un seul enjeu social au Canada qui ne soit pas aggravé par la pauvreté. Si l'on considère le système de soins de santé, par exemple en 2010, une étude a été menée sur les hospitalisations, par exemple. Je parle en particulier de ce que l'on appelle les conditions propices aux soins ambulatoires. Il s'agit d'hospitalisations qui surviennent parce que les personnes n'ont pas reçu de soins primaires appropriés. En étudiant ces types d'hospitalisations en particulier, les auteurs ont relevé que 30 à 40 % des hospitalisations découlaient d'un statut socioéconomique inférieur; c'est-à-dire de la pauvreté. Si vous considérez l'éducation, une grande partie du financement de l'éducation est nécessaire pour aider les enfants à suivre lorsqu'ils changent d'école. Certains enfants changent d'établissement scolaire plusieurs fois par an. Pourquoi? L'une des raisons est que les parents ne peuvent plus payer le loyer, alors ils déménagent. On observe alors ce type de mobilité dans les familles et il est alors difficile pour les enfants de suivre; et il est plus difficile pour le système éducatif de payer pour les enfants. Si vous prenez l'exemple de l'incarcération, 80 % des femmes incarcérées le sont pour des délits relatifs à la pauvreté. 80 %! Le coût de l'incarcération est immense dans ce pays. Donc, nous payons pour la pauvreté, nous payons en termes de chaque programme social auquel on peut penser. Il ne s'agit pas seulement de l'argent que nous payons en termes d'assistance sociale provinciale ou d'autres types de programmes. Il s'agit de chaque programme social mis en place pour aider les gens.

Mélanie : Et pour peut-être aborder un point crucial, juste une question à laquelle on ne peut pas répondre : comment mesure-t-on la valeur d'interrompre le cycle de pauvreté pour une famille?

Evelyn : Je pense que c'est votre question rhétorique pour terminer. Oui, en effet, je n'ai pas de réponse à cela. Je n'ai pas de réponse à cela, car je pense que c'est en définitive une question morale. C'est une question d'éthique. Vous savez, dans un sens, je pense que cela amoindrit l'importance du problème. Si je dis que j'en bénéficie, si je ne vis pas, vous savez, à proximité de gens qui ont besoin d'aide et qui n'en reçoivent pas. Nous en tirons tous un bénéfice, je pense, mais nous en bénéficions, je pense, en termes très pratiques et monétaires. Mais nous en bénéficions en particulier, je pense, d'un point de vue social plus vaste en termes de type de cohésion, de type de société au sein de laquelle nous souhaitons vivre.

Mélanie : Si l'on veut en savoir plus sur la mesure du panier de consommation et la façon dont Statistique Canada calcule la pauvreté, que devrions-nous consulter?

Burton : Le Carrefour des dimensions de la pauvreté de Statistique Canada est une excellente ressource pour accéder aux plus récents renseignements sur la mesure du panier de consommation et au travail que nous faisons pour créer les seuils de la mesure du panier de consommation pour les territoires, sur les différents indicateurs de pauvreté relevés dans le document « Une chance pour tous : la première Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté ». Donc, je commencerais par là.

Mélanie : Vous venez d'entendre « Hé-Coutez bien! ». Merci à nos invités, Burton Gustajtis, Evelyn Forget et Kevin Milligan, de nous avoir partagé leurs expertises.

Si vous avez aimé cette émission, n'hésitez surtout pas à la noter, à la commenter et à vous y abonner à partir de votre plateforme d'écoute habituelle. Vous y trouverez également la version anglaise de notre émission, intitulée « Eh Sayers ». Merci de votre écoute! À bientôt.

Sources

« Carrefour des dimensions de la pauvreté. » 2018. Statistique Canada. Le 4 décembre, 2018. Carrefour des dimensions de la pauvreté.

Forget, Evelyn L. 2011. "The Town with No Poverty: The Health Effects of a Canadian Guaranteed Annual Income Field Experiment." (disponible en anglais seulement) Canadian Public Policy 37 (3): 283–305 The Town with No Poverty: The Health Effects of a Canadian Guaranteed Annual Income Field Experiment. (disponible en anglais seulement)

« Enquête canadienne sur le revenu, 2020. » 2022. Statistique Canada. Le 23 mars, 2022. Enquête canadienne sur le revenu, 2020

Hé-coutez bien! Épisode 9 - Sylvia Ostry : Les leçons d'une légende

Date de diffusion : le 7 octobre 2022

Nº de catalogue : 45-20-0003
ISSN : 2816-2269

Écoutez « Hé-coutez bien! » sur :

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Graphique de Sylvia Ostry (PNG, 453 ko)

Graphique de Sylvia Ostry

Si c'est la première fois que vous entendez parler de Sylvia Ostry, ouvrez grand les oreilles.

Ostry a été nommée au poste de statisticienne en chef en 1972. Première et seule femme à avoir joué ce rôle au Canada, elle n'y est pas parvenue par un chemin tout tracé. Elle avait certes de l'ambition, mais elle a évolué dans une société où il n'était pas bien vu pour une femme d'avoir une carrière.

Sylvia était également juive. Malgré l'obtention d'un doctorat en économie à l'université de Cambridge, elle s'est vu refuser un poste à l'Organisation des Nations Unies en raison de son sexe. Quoi qu'il en soit, elle a connu une carrière bien remplie : elle a occupé le poste de présidente du Conseil économique du Canada, puis celui d'économiste en chef de l'OCDE. Mais nous ne nous attarderons pas à ses réalisations professionnelles. Nous parlerons plutôt de la manière dont elle a repoussé les limites pour atteindre le succès et devenir une mère et une économiste respectée. Nous verrons comment elle a fait face aux revers et à la discrimination tout en demeurant fidèle à elle-même et en faisant preuve d'une intégrité qui a fait sa renommée.

Nous soulignons le 50e anniversaire de la nomination de Sylvia Ostry au poste de statisticienne en chef. Dans cet épisode du balado « Hé-coutez bien », où vous entendez des entrevues avec ses fils Adam et Jonathan Ostry, nous sommes ravis de vous présenter cette femme remarquable et de vous donner huit conseils inspirés de sa vie.

Animatrice

Mélanie Charron

Invités

Adam Ostry, Jonathan Ostry

Narration

Chris Houle

Écoutez

Hé-coutez bien! Épisode 9 - Sylvia Ostry : Les leçons d'une légende - Transcription

(Intro)

Mélanie : Bienvenue à « Hé-Coutez bien! », un balado de Statistique Canada où nous faisons la connaissance avec les personnes derrière les données et découvrons les histoires qu'elles révèlent. Je suis votre animatrice Mélanie Charron.

En 1972, Sylvia Ostry est devenue la première statisticienne en chef de Statistique Canada, et la seule femme à occuper ce poste jusqu'à ce jour. Il y a 50 ans, le monde était un endroit différent de ce qu'il est aujourd'hui : la NASA lançait son programme de navette spatiale et Le Parrain était à l'affiche dans les salles de cinéma.

Le monde du travail évoluait et les femmes étaient de plus en plus nombreuses à travailler à l'extérieur du foyer. En 1972, 45 % des femmes âgées de 25 à 54 ans faisaient partie de la population active, c'est à dire qu'elles occupaient un emploi ou en cherchaient un1. Bien qu'aujourd'hui, un tel pourcentage puisse nous sembler relativement faible, cela représentait un énorme changement à l'époque. Une décennie plus tôt, en 1962, cette proportion n'était que de 32 %, c'est quand même une augmentation de 40 % en seulement 10 ans.

En 1952, alors que Sylvia était chargée de cours à l'Université McGill, les femmes de sa province natale, le Manitoba, obtiennent le droit d'être membres d'un jury2. En 1965, Sylvia commence à travailler comme directrice de la Division des études spéciales sur la main d'œuvre et de la consultation (3) à Statistique Canada. Alors qu'en 1964, à peine un an auparavant, les femmes obtenaient le droit d'ouvrir un compte bancaire sans la signature de leur mari (4). En 1971, l'année avant que Sylvia ne soit nommée statisticienne en chef, le Manitoba cesse de licencier les employées municipales après leur mariage (5).

Lorsque Sylvia Ostry est nommée à la tête du Conseil économique du Canada, le Globe and Mail se contente d'une annonce au bas de la cinquième page de la section féminine du journal.

Sylvia est décédée en 2020 et pour lui rendre hommage, nous revenons sur sa vie pour essayer d'en tirer quelques leçons.

Les extraits de la voix de Sylvia que vous entendrés, sont tirés d'une entrevue qu'elle a donnée à Bronwyn Bragg et Mary Breen, enregistrée en mai 2008.

Voici huit conseils inspirés de la vie de Sylvia Ostry.

(Carillon)

Mélanie : Conseil numéro un : « Mettez-vous au défi! »

Quand on pense à des gens qui ont mené des vies remarquables, il est difficile d'imaginer qui ils étaient avant de réussir.

Sylvia Ostry était d'origine modeste.

Adam : Je me nomme Adam Ostry. Je suis le fils de Sylvia Ostry. C'était une pionnière, vous savez. Sa propre mère, était une immigrante d'Angleterre et avait obtenu un diplôme de l'école normale de Winnipeg. Sa mère à elle, donc est née à Londres, dans un des quartiers ouvriers les plus emblématiques de la ville dans les années 1890, Tottenham Court road. Elle était véritablement partie de rien et la famille n'avait pas d'argent. La famille elle-même était des immigrés sans sou de la Prusse-Orientale. Donc le grand-père de ma mère provenait de Dyganz aujourd'hui Dyganz en Pologne. Il avait gagné de l'argent avant la crise de 1929, puis il l'avait tout perdu. Il n'a jamais pu véritablement se rétablir par la suite. Ma grand-mère a réussi à devenir institutrice, après avoir suivi les cours de l'école normale à Winnipeg, mais, ça s'est arrêté là. Ma mère et son frère ont été les premiers dans la famille à entreprendre des études supérieures et à obtenir des doctorats universitaires.

Mélanie : Sylvia Ostry s'est mise au défi! Elle était intelligente et travaillait dur et était fermement décidée à se dépasser pour réussir.

Dans ses propres mots.

Sylvia Ostry : Il était très difficile d'entrer à la faculté de médecine à l'Université du Manitoba. C'était une école de médecine de première classe, mais elle couvrait tout l'Ouest canadien. C'était la seule à l'époque et les femmes avaient beaucoup de mal à s'y tailler une place. Je ne me souviens plus combien avaient réussi à le faire depuis le début, pas plus d'une poignée! et comme il était plus difficile d'être juif, alors le fait d'être une femme juive me donnait vraiment le goût de relever le défi. J'avais deux amies au secondaire, très brillantes, et nous avions décidé que nous allions faire notre prémédecine et obtenir les notes les plus élevées dans l'Ouest canadien parce que nous allions nous organiser pour étudier et que nous échangerions nos notes en plus d'obtenir de l'argent et d'embaucher des spécialistes pour nous enseigner, et nous allions y aller une, deux, trois. Et j'ai dit : « S'ils nous refusent l'entrée, nous allons les poursuivre », ce qui semble très étrange pour l'époque, mais j'y tenais beaucoup, et c'est ce que nous avons fait.

Adam : Le talent et l'intelligence, l'intégrité, l'honnêteté, le travail acharné et la discipline; c'étaient les choses qu'elle respectait le plus chez les gens. Vous savez, lorsqu'elle avait l'occasion de l'employer, une de ses expressions préférées, qui qui démontrait d'où elle de la période pendant laquelle elle avait grandi dans les années 1950, était « to goof off », ce qui en anglais veut dire être paresseux! Et à chaque fois que je ne faisais pas mes devoirs ou que je ne travaillais pas, elle m'accusait d'être paresseux. Elle-même, si elle avait le choix entre se détendre et de travailler, elle choisissait invariablement de travailler.

(Carillon)

Mélanie : Conseil numéro deux : « Suivez vos passions, même – ou peut-être même surtout – si elles vous emmènent dans une direction inattendue! »

L'idée d'abandonner a toujours eu mauvaise presse. Avez-vous entendu parler du « piège des coûts irrécupérables »? Essentiellement, c'est la tendance qu'ont les gens à continuer de faire quelque chose parce qu'ils y ont investi beaucoup de temps, d'efforts et d'argent, et ce même si ça ne correspond plus à leurs besoins. Si cela semble être votre situation, peut-être aviez-vous déjà songé utiliser l'abandon stratégique? Et c'est fort probablement ce que ferait Sylvia!

Lors d'une visite auprès de son frère, qui étudiait à l'Université Queens, Sylvia s'est rendu compte, qu'elle préférerait de loin étudier les sciences sociales. Elle avait assisté à des conversations entre les étudiants sur des sujets comme l'art, la politique et l'économie, qui lui avaient semblées bien plus passionnantes que ses études en médecine, et avait donc décidé de se joindre à eux; toutefois, ça voudrait donc dire qu'il lui faudrait abandonner l'école de médecine.

Sylvia : Je me suis beaucoup ennuyée la première année parce qu'on ne parlait de rien d'autre que d'anatomie, de physiologie et de biochimie. Mais cet été-là, je suis allée voir mon frère, qui étudiait à Queens, à Kingston, où j'ai passé l'été. Je me sentais comme sur Mars. Je n'avais jamais rencontré de gens qui lisaient des livres et parlaient d'histoire, et tout ce que j'avais fait, c'était d'étudier. Je suis allée voir le doyen de la faculté de médecine et lui ai dit : « Je me sens vraiment mal, mais je trouve la faculté de médecine si ennuyeuse que je veux la quitter. » Hors de lui, il m'a crié : « C'est exactement à cause de femmes comme vous que nous n'accepterons de femmes à la faculté de médecine, et que nous avions raison de le faire. Vous vous rendez compte que vous empêchez un homme d'y entrer! » Et je lui ai dit : « Je sais, je suis désolée, mais je veux étudier autre chose. » Et il a dit : « C'est faux, vous êtes comme toutes les femmes! Vous abandonnez pour pouvoir aller vous marier. » Je lui ai répondu : « C'est faux, je vais être docteure, mais pas en médecine. » Il a rétorqué : « C'est un mensonge! » Et je suis sortie.

Jonathan : Je m'appelle Jonathan Ostry. Je suis le fils cadet de Sylvia et Bernard Ostry. Au départ, ma mère souhaitait devenir médecin. Il me semble que ce qui l'a poussée dans cette direction, c'est parce que c'était l'objectif le plus difficile, voire impossible, à atteindre, un peu comme ces gens qui souhaitent accomplir un exploit sportif, pas tellement parce que c'est leur véritable passion, mais plutôt pour le plaisir de pouvoir se dire « J'y suis arrivé! » Puis, elle s'est rendu compte, par la suite, que ce n'était vraiment pas le domaine qui l'intéressait le plus. Elle avait simplement choisi cette orientation pour la raison dont je viens de parler. En fait, c'est une très mauvaise raison pour motiver quelqu'un à faire quelque chose pour le restant de ses jours, n'est-ce pas ? C'est comme ça qu'elle a décidé qu'elle voulait se lancer dans l'économie.

Mélanie : Pour Sylvia, le plus important ce n'était pas forcément les cours qu'elle suivait ou son sujet d'étude, c'était plutôt :

Sylvia Ostry : Si je raconte cette histoire, c'est que je voulais surtout apprendre. Je suis allée à McGill, mais je ne voulais pas suivre de cours d'économie, peu m'importait la matière. Mais ce qui s'est passé, c'est qu'on m'a dit : « Suivez des cours d'économie, nous pensons que vous pouvez faire deux années. »

Jonathan: Je n'ai jamais vraiment vu ma mère comme une économiste. Bien sûr elle était économiste de formation. Mais, bon, pour moi, c'était avant tout ma mère! J'ai toujours considéré qu'elle et mon père étaient des gens qui savaient « tout sur tout ».

(Carillon)

Mélanie : Conseil numéro trois : « Refusez d'accepter les limites que d'autres vous imposent! »

Sylvia a été victime de discrimination toute sa vie. Même après l'obtention d'un doctorat, les Nations Unies lui ont refusé un emploi parce qu'elle était une femme.

Sylvia Ostry : Je voulais d'abord devenir économiste du développement, je suis allée aux Nations Unies, doctorat en poche, voir le responsable de tout cela et je lui ai dit : « J'ai toutes les compétences et j'aimerais beaucoup travailler ici ». Il m'a répondu : « Écoutez, autant vous le dire clairement, aucun gouvernement dans les pays en développement n'embauchera une femme! Vous feriez mieux de trouver une autre carrière ». C'est incroyable que les gens puissent dire de telles choses! Mais c'était honnête… et quand je suis allée à McGill… il a fallu que je m'en trouve une autre. Et comme l'économie du travail m'intéressait beaucoup, c'est à cela que j'ai travaillé.

Adam : Ma mère a mené le bon combat, même si elle a eu des déceptions professionnelles. Dans son plan de carrière, vous savez, elle dans les années '70 elle voulait être sous-ministre des Finances, et ensuite elle voulait être nommée gouverneure de la Banque du Canada. Mais vous savez, elle faisait face aux mœurs de son temps, et puis y avait aucune chance qu'une femme soit nommée soit sous-ministre des finances soit gouverneure de la Banque du Canada. Elle en était consciente, on le lui avait dit d'ailleurs. Mais nonobstant tout ça, elle a tiré le maximum de profit de ce que les cartes lui ont offert. Vous savez, il y a une vieille expression qui dit à peu près « Il faut aller au bout du chemin qui s'offre à vous » et le fait demeure qu'elle a tiré le meilleur parti de la « donne » qui lui avait été distribuée. Avant qu'elle rentre à Ottawa, en sortant de l'université, elle avait essayé d'obtenir un poste aux Nations Unies dans le domaine du développement; et elle avait été refusée par les Nations Unies. Mais ça ne l'a pas arrêté. Elle ne s'est pas laissé abattre. Elle n'a pas abandonné lorsqu'elle s'est retrouvée face à ce qui semblait être une impasse. Elle a trouvé sa propre voie pour réussir; elle a refusé d'accepter les limites imposées par les autres et par les mœurs de son temps.

Jonathan : À l'instar des chats de la légende, elle a prouvé qu'elle aussi, en tant qu'économiste, avait neuf vies! Elle ne s'est pas contentée de passer de la médecine à l'économie. Elle a fait un doctorat à Cambridge sur un sujet qui serait considéré aujourd'hui comme plutôt incompréhensible. Sa thèse portait sur la planification économique de type soviétique dans la nouvelle Inde indépendante. Elle n'a travaillé ni sur l'économie marxiste, ni sur l'économie du développement, ni sur la planification soviétique. Elle a ensuite travaillé à l'Oxford Institute of Statistics and Economics et a également fait beaucoup d'autres choses. Elle est finalement devenue économiste du travail, avant d'être considérée comme une spécialiste du marché du travail canadien et, plus généralement, de l'ensemble des enjeux de l'économie canadienne. Elle a été présidente du Conseil économique du Canada. Elle s'est également spécialisée en matière réglementaire en microéconomie, alors qu'elle occupait le poste de sous-ministre de la Consommation et des Affaires commerciales. Elle a enfin été reconnue officiellement comme experte des échanges commerciaux internationaux, ce qui constitue un sujet totalement différent. On peut vraiment dire qu'elle a passé sa carrière à se réinventer de toutes sortes de façons. Elle avait suffisamment de confiance en elle et en ses atouts pour savoir qu'elle pouvait le faire.

(Carillon)

Mélanie : Conseil numéro quatre : « Face à un problème, essayez de voir les choses autrement! »

Avant que Sylvia n'occupe le poste de directrice de la Division des études spéciales sur la main-d'œuvre et de la consultation, Statistique Canada étudiait l'offre de main-d'œuvre, en s'intéressant au nombre d'hommes occupant un emploi et à celui de ceux qui étaient disponibles pour en occuper un.

Sylvia Ostry: J'ai adoré mon premier emploi à Statistique Canada; on appelait ça les études spéciales sur la main-d'œuvre mais c'était fort intéressant, car on me laissait joindre des questionnaires distincts à l'enquête auprès des ménages pour me permettre d'obtenir des renseignements sur toute une gamme de choses que personne d'autre n'avait et que nous produisions. Cela me permettait d'embaucher des universitaires et nous produisions des études incroyables. Alors j'adorais ce travail. C'était vraiment fascinant. Et, en fait, certaines de mes premières publications ont été très importantes aux États-Unis. Nous concevions de nouvelles façons de voir les choses, des façons de faire. Je voulais développer des mesures non seulement de l'offre, mais également de la demande.

Mélanie : Elle souhaitait aborder ce sujet sous un autre angle. Son idée était d'examiner la participation des travailleurs au marché du travail, les raisons pour lesquelles quelqu'un pouvait choisir de ne pas intégrer la population active et de ne pas trouver d'emploi, et le fait qu'une telle personne pourrait ou non souhaiter travailler dans des conditions différentes.

Les études sur la main-d'œuvre ont donné à Sylvia les ressources nécessaires pour étudier de plus près la main-d'œuvre canadienne, comme cela n'avait jamais été fait auparavant. Statistique Canada mesurait bien l'offre de main-d'œuvre depuis longtemps, mais le terme main-d'œuvre (manpower, en anglais) était pris dans un sens un peu trop littéral et n'intégrait que les hommes. Sylvia avait compris l'intérêt d'élargir les recherches, en incluant d'autres groupes dans de nouvelles mesures. Elle a réinventé la façon dont nous envisagions des concepts comme le travail et la main-d'œuvre, en élargissant l'analyse aussi bien aux hommes qu'aux femmes. Elle a étudié la présence des femmes sur le marché du travail et, plus particulièrement, la question de savoir ce qui poussait une femme à choisir ou non de travailler, ainsi que l'effet de facteurs tels que l'éducation, les revenus du mari et la présence d'enfants sur cette décision. C'était un vaste sujet et un projet ambitieux, à une époque où, selon les mots de l'économiste Joan Mc Farland, « La plupart des analyses économiques […] ignoraient complètement le rôle des femmes dans l'économie. »

Sylvia Ostry a étudié la productivité d'une personne tout au long de sa vie et la production perdue en raison de son décès prématuré ou de son départ à la retraite. Son étude portait sur la présence sur le marché du travail et sur les gains des agents économiques masculins et féminins, ce qui en faisait la première étude canadienne de ce type.

Sylvia a remis en cause un certain nombre d'acquis de l'économie traditionnelle, changeant la perspective habituelle et s'intéressant non seulement aux hommes, mais également aux femmes, accroissant ainsi notre compréhension de l'économie du travail.

(Carillon)

Mélanie : Conseil numéro cinq : « Vivez le succès selon votre propre définition! »

Sylvia Ostry elle-même était mère et elle avait aussi une carrière. Une situation qui lui valait parfois d'être jugée par les autres.

Sylvia : Eh bien… à Ottawa, on m'a dit que beaucoup de femmes étaient scandalisées et horrifiées que je travaille. Elles trouvaient cela tout simplement épouvantable. J'avais des enfants et je travaillais à temps plein. Elles ne me l'ont jamais dit, mais bien des gens m'en ont parlé. La seule fois où cela a été dit ouvertement, c'est quand on m'a nommée à l'OCDE, en 1979. On m'a raconté que l'épouse de l'ambassadeur avait dit à son mari que je n'avais pas le droit d'entrer à l'ambassade parce que je lui faisais tellement honte qu'il lui était impossible de m'accueillir. J'étais mariée, j'avais deux enfants, comment pouvais-je me retrouver dans un endroit comme l'OCDE et en être la directrice! L'économiste en chef! Et il était tout simplement scandaleux pour une femme de travailler.

Jonathan : Vous savez, lorsque ma mère a intégré l'OCDE en tant qu'économiste en chef, elle a établi un certain nombre de premières, peut-être encore plus nombreuses que lorsqu'elle est devenue statisticienne en chef, parce que, dans ce dernier cas, c'était au Canada, son pays. Il est vrai qu'on peut estimer qu'il est toujours plus facile de « s'élever » dans son propre pays. Mais, quand elle a obtenu le poste de chef économiste à l'OCDE, la plupart des gens à Paris étaient absolument incrédules. Tout d'abord, parce que, depuis toujours, ce poste était occupé par un Européen, parfois par un Canadien ou un Américain, mais vous savez, le Canada était un peu considéré comme « un coin perdu du bout du monde » et tout le monde se demandait ce que cette Canadienne venait faire à Paris. Deuxièmement, et cela a beaucoup joué, c'était un milieu assez misogyne. Je suis certain que les oreilles de ma mère ont dû siffler lorsque les gens chuchotaient dans les couloirs de l'organisation, faisant des remarques sur sa présence à ce poste : « Elle vient du Canada et c'est une femme! Elle n'est pas des nôtres! ». En plus, le fait qu'elle était juive a encore probablement contribué aux interrogations. Elle ne faisait vraiment pas « partie du club », on peut donc véritablement parler de « sortir de sa zone de comfort ».

Mélanie : Chacun décide pour soi de ce qu'est le succès. Et si vous souhaitez suivre les traces de Sylvia et définir le succès comme le fait d'élever deux enfants et d'être l'économiste en chef de l'OCDE, allez-y! Grand bien vous fasse, vous ne manquez pas de confiance en vous!

(Carillon)

Mélanie : Conseil numéro six : « Quand les préjugés ferment une porte, enfoncez-la! »

Vous connaissez peut-être l'expression « quand une porte se ferme, une autre s'ouvre ». C'est peut-être vrai. Mais il est également vrai que les préjugés ferment parfois des portes. Et quand ces portes se ferment, n'hésitez pas à les enfoncer complètement. Cette maxime pourrait s'appliquer non seulement au sens figuré, mais également au sens propre, à de nombreux moments de la vie de Sylvia.

Sylvia Ostry : Le moment le plus drôle, c'est quand Flo Byrd a tenu sa première réunion pour discuter de la commission royale sur la situation de la femme. La rencontre avait lieu dans un club très chic d'Ottawa et j'allais dîner avec elle. On m'a stoppée à l'entrée et j'ai dit : « Je suis désolée, j'ai un dîner de travail avec la sénatrice Bird. » On m'a dit : « Vous ne pouvez pas entrer par cette porte-ci. Ce n'est pas permis parce que vous êtes une femme. Vous devez entrer par la porte de côté. » J'ai donc éclaté de rire et dit : « Nous avons bien raison de tenir une réunion sur une commission royale sur la situation de la femme, et je vais m'assurer qu'on ferme cet endroit à moins que vous m'ouvriez cette porte d'entrée. »

(Carillon)

Mélanie : Conseil numéro sept : « Entourez-vous de personnes qui vous aiment et vous soutiennent! »

Comme vous le savez, les détracteurs auront toujours des reproches à formuler. Mais, inspirez-vous de la vie de Sylvia, s'entourer de gens qui vous aiment et vous appuient fait toute la différence. Pour Sylvia, cet allié c'était Bernard, son mari.

Sylvia Ostry : Mon mari était l'homme le plus extraordinaire. Je le connaissais depuis que j'avais 5 ans.

Adam : Elle n'aurait pas survécu sans mon père. Ma mère a eu la chance d'avoir mon père comme mari. Vous savez, mon père aimait ma mère, il adorait ma mère. Il aurait embrassé le sol sur lequel elle marchait, et pour toutes sortes de raisons. Ma mère n'a jamais perdu de vue à quel point son mari lui était dévoué! Et, mon frère et moi avons eu l'immense privilège d'avoir grandi et d'avoir été élevés par deux personnes qui s'aimaient autant que notre père et notre mère. Alors chacun exprime son amour pour l'autre d'une manière différente. Pour mon père par exemple, la collection de meubles et d'objets d'art de styles Art nouveau et Art déco, qu'on peut maintenant voir au Musée royal de l'Ontario à Toronto, témoigne en fait de l'amour de mon père pour ma mère. Lui-même n'était pas néces sairement spécialement intéressé par cette période mais il a bâti cette collection, parce qu'elle, elle l'était. Intellectuellement, c'était elle qui s'intéressait à la période de la république de Weimar et de l'Art déco français. Cette période la captivait sur le plan politique et elle se passionnait pour les troubles de la période des années '20 et d'30 en Europe, notamment en France et en Allemagne. Et c'est pour ça que mon père a décidé de l'entourer d'objets incarnant cette époque. C'était pour lui un moyen de lui manifester son amour. Tout au long de sa vie, ma mère n'a pris aucune grande décision quant à sa carrière sans d'abord en parler avec mon père. Quand on regarde la carrière de ma mère, je suis convaincu qu'il n'y a pas beaucoup d'autres exemples de mari renonçant volontairement à des occasions de carrière pour lui-même , afin de privilégier l'évolution professionnelle de son épouse.

Sylvia Ostry : J'avais été nommée présidente du Conseil économique et j'étais au bureau un matin quand l'adjoint du directeur général m'a téléphoné pour me dire : « Le chef du département des Affaires économiques prend sa retraite. C'est avec beaucoup d'intérêt que nous souhaiterions vous interviewer. Le directeur général aimerait savoir si vous pourriez venir à Paris. » J'étais stupéfaite et lui ai dit : « Eh bien… je pourrais vous rappeler vendredi. » C'était un mercredi, et en rentrant à la maison ce soir-là, j'ai dit à mon mari : « J'ai eu un appel fou de Paris » et le lui ai décrit en disant « Par souci de politesse, j'attendrai jusqu'à vendredi, puis je leur dirai non », et mon mari m'a dit « es-tu folle? » Je lui ai demandé : « Que veux-tu dire? » Ce à quoi il m'a répondu : « On ne t'offrira jamais un autre emploi aussi crucial que celui-là au cours de ta vie. » Il avait raison. C'était très important à l'époque. « Que veux-tu que je fasse? » lui ai-je demandé. « Je ne peux pas le faire. » Et lui de répondre : « Oui, tu le peux, tu vas y aller et je vais trouver une solution. » C'est ainsi qu'il était. Je n'en serais pas là sans lui.

(Carillon)

Mélanie : Conseil numéro huit : « Travaillez fort! »

Notre dernier conseil nous vient directement de Sylvia Ostry.

Sylvia : Il faut donner le meilleur de soi-même, faire preuve de discipline et travailler fort. Je sais que ça sent le réchauffé, mais c'est ce que j'ai fait. Je n'ai jamais pensé au pouvoir, que ce soit en cherchant un emploi ou quoi que ce soit. Je voulais simplement faire mieux que quiconque. Et j'étais déjà comme ça en première année d'école.

Adam : Sylvia Ostry était un être humain compliqué. Elle était complexe. Elle était très intelligente; elle était très douée, elle était motivée par son besoin de travailler; elle exprimait son identité par le biais de son travail et elle a consacré sa vie au travail. Elle était totalement intègre et était d'une honnêteté absolue, d'abord envers elle- même, mais elle n'en exigeait pas moins des autres, à commencer par ses enfants. En tant que mère, elle m'a appris, ou en tout cas a essayé de m'apprendre, et ce, dès mon plus jeune âge, la discipline du travail et la nécessité d'être honnête avec soi-même sur ce que qu'on peut et ne peut pas faire. Elle croyait fermement qu'il fallait essayer d'être le meilleur possible et de s'y efforcer en permanence. Elle avait toujours une expression qu'elle utilisait avec moi, chaque fois que je renonçais et que je disais que je ne pouvais pas, que j'étais tanné, que je n'y arriverais pas. Ça la contrariait énormément et elle me disait que c'est parce que je ne faisais pas suffisamment d'efforts que je ne réussissais pas. Elle employait l'expression en anglais : « Your reach should always exceed your grasp! » « Ton but doit être hors d'atteinte et rester hors d'atteinte! » Elle-même a vécu par ce crédo toute sa vie et elle a vécu en vertu de cette conviction.

Jonathan : Sylvia a consacré sa vie à améliorer le bien-être de la population canadienne. Elle était non seulement une intellectuelle de haute volée avec des compétences dans de multiples domaines, mais elle était également avide de savoir, pour l'amour du savoir. Elle s'intéressait à la façon de tirer parti des connaissances pour orienter les politiques, dans le but, au bout du compte, d'améliorer le bienêtre de la population canadienne, voire, dans un contexte plus large, de l'humanité. C'est à cet objectif qu'elle a consacré sa vie.

Adam : Ma mère était une personne qui était totalement engagée à servir son pays, à servir ces concitoyens, à servir l'État. Elle y a consacré toute sa vie. Pour elle, il n'y avait pas de vocation plus noble et elle en est une parfaite illustration. Je crois qu'on peut dire que le Canada en a été conscient. Quand elle est morte, on lui avait décerné le grade de compagnon de l'Ordre du Canada. D'ailleurs mon père est décédé également avec le grade de compagnon de l'Ordre du Canada. C'était l'un des très rares couples qui se sont vus tous les deux octroyer le le plus grade de compagnon de l'Ordre. Cependant, j'espère surtout que les gens se souviendront d'elle pour avoir contribué à faire du Canada un pays un meilleur endroit où vivre.

(Conclusion)

Mélanie : Vous venez d'entendre « Hé-Coutez bien! ». Merci aux fils de Sylvia Ostry, Adam Ostry et Jonathan Ostry, pour leur contribution spéciale à cet épisode. Merci à Joan McFarland pour son aide avec certains des concepts économiques. Notre gratitude va également aux bibliothécaires et archivistes de Statistique Canada, de Bibliothèque et Archives Canada, pour leur aide à la recherche; ainsi qu'à l'équipe des collections spéciales de la Bibliothèque de l'Université d'Ottawa, pour nous avoir permis d'inclure les extraits de l'entrevue de Bronwyn Bragg et de Mary Breen avec Sylvia Ostry.

Si vous avez aimé cette émission, n'hésitez surtout pas à nous évaluer, à la commenter et à vous y abonner à partir de votre plateforme d'écoute habituelle. Vous y trouverez également la version anglaise de notre émission, intitulée « Eh Sayers ». Merci de votre écoute! À bientôt.

Sources

« Canadian Women's History. » (en anglais seulement) 2013. AFPC RCN. Alliance de la Fonction publique du Canada. le 9 janvier 2013..

McFarland, Joan. 1976. « Economics and Women: A Critique of the Scope of Traditional Analysis and Research. » (en anglais seulement) Atlantis: Critical Studies in Gender, Culture & Social Justice 1 (2): 26-41.

Ostry, Sylvia. 2008. Sylvia Ostry Interview by Bronwyn Bragg and Mary Been. (en anglais seulement) University of Ottawa Library Archives and Special Collections.

Hé-coutez bien! Épisode 8 - Hé mec! Où est mon semi-conducteur?

Date de diffusion : le 28 avril 2022

Nº de catalogue : 45-20-0003
ISSN: 2816-2269

Hé-coutez bien balados logo

Plus de deux ans après s’être déclarée, la pandémie persiste, nous forçant à nous y adapter au quotidien. Nous avons pu constater que des interruptions de service, des fermetures et des retards survenaient fréquemment, que ce soit en raison des pénuries de semi-conducteurs, de mauvaises conditions météorologiques ou de changements au niveau de l’offre et de la demande. On se demande quelle est la véritable cause de ces perturbations, et en quoi consiste au juste la fameuse chaîne d’approvisionnement dont tout le monde parle? Notre invité, Benoit Carrière, économiste à Statistique Canada, discute de la chaîne d’approvisionnement, de sa nature et des raisons de son importance pour les Canadiens. Il parle aussi de l’effet d’entraînement de la chaîne d’approvisionnement sur les biens et services de consommation.

Animatrice

Mélanie Charron

Invité

Benoit Carrière, économiste, Statistique Canada

Écoutez

Hé-coutez bien! Épisode 8 - Hé mec! Où est mon semi-conducteur? - Transcription

Extraits sonores

Je vois que présentement beaucoup de PME mettent de l'emphase sur leurs chaînes d'approvisionnement...

Les gens sont plus intéressés maintenant à faire justement ce qu'on appelle de la gestion de risque...

Est-ce qu'on veut aller cent pour cent en Asie...

Est-ce qu'on est capable de s'autosuffire sur certains éléments...

Aujourd'hui, dans un prix de produit, la portion achat approvisionnement peut représenter jusqu'à 60, 70, 75, 80 % donc la maturité de la chaîne d'approvisionnement se doit d'être adressée. -Réal Julien, Radio-Canada

Mélanie : Vous êtes à l’écoute d’Hé-coutez bien, un balado de Statistique Canada où nous faisons la connaissance des personnes derrière les données et découvrons les histoires qu’elles révèlent. Je suis votre animatrice Mélanie.

Les mots « chaîne d’approvisionnement » nous les entendons de plus en plus et ils sont sur tous nos écrans! Si vous magasiniez des appareils dont les semi-conducteurs font partis des composantes et bien, vous avez peut-être dû prendre votre mal en patience pour en faire l’acquisition.

Ma collègue est récemment devenue propriétaire d'un véhicule usagé. Elle m’a raconté que pour le vendeur du concessionnaire, il était devenu si difficile de garder suffisamment de voitures en inventaire, qu'il devait maintenant chercher des véhicules d’occasion à vendre afin de répondre à la demande de ses clients. Cette anecdote illustre bien les impacts qui découlent des ralentissements des chaînes d’approvisionnement sur le modèle d’affaires de la vente de véhicules d’occasion.

Pour avoir une meilleure idée de ce qui se passe, nous avons questionné notre collègue économiste à Statistique Canada.

Mélanie : Bonjour Benoît, merci d'être avec nous pour cet épisode. Est-ce que tu pourrais te présenter s'il te plaît pour nos auditeurs?

Benoît Carrière : Mon nom est Benoît Carrière. Je suis économiste pour Statistique Canada. Je travaille pour la division des comptes et du commerce international depuis plus de dix ans. Et le rôle de mon équipe, c'est de publier à tous les mois les résultats de la balance commerciale de marchandises du Canada. Donc en gros, l'analyse des flux des exportations et des importations.

Mélanie : Lorsqu'on parle de chaîne d'approvisionnements, on parle de quoi au juste?

Benoît Carrière : La chaîne d'approvisionnement c'est un réseau de fournisseurs qui peut être vaste et même extrêmement complexe, donc des fournisseurs qui contribuent là d'une certaine façon à la fabrication d'un bien. Puis dans la chaîne d'approvisionnement, il existe aussi une sorte de synchronisation ou de coordination, là qui permet à la marchandise d'être produite de façon continue.

Donc je pourrais donner un exemple, ça pourrait peut-être aider les auditeurs. Donc supposons une compagnie québécoise qui produit un bien, puis qui a besoin de vingt types de matériaux ou de pièces pour faire l'assemblage final du bien. Supposons que cinq de ces matériaux-là proviennent du Québec, cinq proviennent de l'Ontario, cinq fournisseurs font des pièces aux États-Unis; donc, la compagnie québécoise importe de cinq fournisseurs des États-Unis. Puis, supposons qu'il y a cinq autres qui sont en Asie. Donc ces différentes compagnies-là qui fournissent à la compagnie québécoise ce dont elle a besoin pour produire le bien, ben ils représentent l’approvisionnement. Mais aussi l'approvisionnement s'applique tout autant aux fournisseurs qu'à la compagnie finale qui assemble le produit. Donc, dans notre exemple, supposons les cinq fournisseurs de pièces qui viennent des États-Unis, bah peut-être que et même assurément qu'eux-mêmes dépendent de l'approvisionnement d'un autre type de pièces qui sont produites ailleurs. Et peut-être même que ce qui est produit ailleurs, ben eux dépendent de l'extraction de matières premières d'un autre pays. Donc, dans le fond, on fait face ici à une chaîne de fournisseurs qui sont tous interdépendants puis qui représentent tous une étape importante dans l'assemblage du bien au Québec.

Puis, si on revient à notre compagnie québécoise, ben, normalement avec le temps, si elle a pu survivre dans son marché, ben, elle a assurément adopté là une logistique d'approvisionnement avec le temps, de plus en plus efficace pour recevoir les pièces au bon moment. Mais pas juste au bon moment dans l'ordre aussi! Si elle fabrique un véhicule automobile, ben, elle veut recevoir le châssis avant de recevoir le moteur. Ah donc cette efficacité-là lui a sûrement permis de faire des économies d'échelle, de diminuer ses coûts, de garder les inventaires bas et, du même fait, de peut-être diminué son prix, puis de prendre une plus grande part de marché dans l'industrie, là où elle évolue. Mais ça c'est en théorie, c'est quand tout se passe bien.

Donc, puis ce qu'on a vu aussi dans les dernières années, les 10, 20, 30 dernières années; c'est que la mondialisation a comme entraîné alors un étirement ou un allongement de la chaîne d'approvisionnement. Ce qui fait en sorte que les fabricants, ou ceux qui assemblent les produits finis; sont de plus en plus exposés à des événements qui sont totalement hors de leur contrôle.

Mélanie : Pourquoi est-ce qu'on en parle plus que jamais maintenant?

Benoît Carrière : Ben, comme je le disais, on a une chaîne d'approvisionnement, hein, c'est toutes sortes de fournisseurs qui eux, ont un rôle qui est souvent critique dans la fabrication d'un bien. Donc pour reprendre une expression québécoise si un de ces fournisseurs-là n'est pas capable d'exécuter une tâche ou d'envoyer un produit, et bien la chaîne va débarquer. Puis euh c'est sûr qu'il y a toujours des événements qui affectent la chaîne d'approvisionnement.

Par contre, dernièrement, il y a une multitude d'événements, puis on dirait que c'est pratiquement interminable, qui affectent au même moment la chaîne d'approvisionnement. Donc on peut revenir là, évidemment, au début de la pandémie lors de la première vague où il y a plusieurs entreprises spécialement dans la fabrication qui ont fermé leurs portes pendant plusieurs mois, on parle d'un deux, trois mois, donc y pas eu de production ni au niveau des des produits finis, ni au niveau des pièces et même au niveau des matières premières aussi, ça a été affecté.

Ensuite de ça, il y a une reprise de la production qui est quand même été assez lente. Évidemment, là ces entreprises là c'est des grosses entreprises puis il n'y a pas un interrupteur qui va remettre la production a « on » du jour au lendemain. C'est beaucoup plus compliqué que ça. Et pendant les premières vagues, ces compagnies-là étaient aussi affectées par des éclosions. Donc lorsqu'il y a une reprise de la production, c'est quand même été très laborieux. Et évidemment, ça l'a engendré beaucoup, beaucoup de délais au niveau de la fabrication des pièces, au niveau, euh, du transport des pièces aussi et finalement au niveau de l'assemblage, là de biens finis.

Puis pendant ce temps-là, on avait aussi des problèmes au niveau du transport. On se souviendra qu'il y a un navire qui a bloqué le canal de Suez pendant quelques semaines. Donc le canal de Suez, c'est vraiment un endroit-là névralgique pour le commerce international. Et si le Canal de Suez est fermé pendant une journée, c'est pratiquement catastrophique! Donc on peut imaginer comment un dix à quinze jours de fermeture, a pu affecter là la situation au niveau du transport de marchandises.

Il y a même eu des éclosions aussi dans des ports qui ont dû fermer. Donc, je pourrais prendre l'exemple de quelques ports en Chine. Dont un port qui est, je pense le 3e plus grand port en exportations au monde a été fermé pendant quelques semaines en Chine. Donc, ce que ça crée ça, évidemment, ça crée des files d'attente au niveau des navires. Donc, un navire qui va passer peut-être une ou deux journées en attente de décharger ou pour le chargement; y a passé quelques semaines. Donc, quand on regarde tous ces problèmes-là ça fait en sorte que les navires, pendant qu'ils sont stationnés devant le port pendant quelques semaines, ben ils ne livrent pas de la marchandise.

Y a aussi eu une baisse de la production en Chine à l'automne. Donc, en Chine pour régler des problèmes de pollution là, puis dû aussi à des problèmes d'approvisionnement de charbon, la Chine a coupé le courant dans 17 régions pendant les moments de la journée. Donc, à l'automne normalement, c'est vraiment là que les fabricants de pièces, pour des biens comme les ordinateurs, les tablettes, les téléphones cellulaires et tout ça, ils roulent à pleine capacité parce que c'est un grand moment de l'année. On a la fête aux États-Unis le Thanksgiving, au Canada aussi, ensuite de ça, on a les fêtes de Noël. Et ces entreprises-là qui fabriquent ces pièces-là roulent vraiment 24h sur 24, 7 jours sur 7. Mais, pendant l'automne et ils ne pouvaient pas travailler la nuit. Donc, la production de ces pièces a été coupée d'un tier.

En même temps, au niveau de la demande des biens, elle a fortement augmenté pendant la pandémie. Donc, on se souviendra que pendant les premières vagues, même encore maintenant, c'est vraiment les industries du service qui ont été le plus affectées. Donc, les gens qui normalement consommaient, dépensaient une partie de leurs revenus en services. Donc en restaurant ou au cinéma ou en théâtre et tout ça; et bien ils se sont mis à dépenser leur argent plus sur des biens. Il y a aussi eu des aides gouvernementales. Le taux d'intérêt était bas. Il y a des biens spécifiques qui étaient en grande demande comme les ordinateurs portables pour le travail à la maison, les tablettes ou aussi l'école à la maison, qui a contribué à l'augmentation de la demande pour ces produits-là. Donc, on a eu une année où on avait une offre qui était déficiente combinée à une forte demande des biens puis qu'est-ce que ça fait ça une offre déficiente puis une grande demande? Ça fait que les prix augmentent. Et on voit très bien dans les chiffres sur l'inflation que ces situations-là se reflètent à plusieurs niveaux pour nous aussi, évidemment les consommateurs.

Mélanie : Est-ce qu'il y a des marchandises qui sont plus impactées que d'autres? Comme par exemple, t'as parlé d'ordinateur plus tôt? Je crois qu'il y a la fameuse puce. Il y a une pénurie mondiale de puces électroniques. Qu'est-ce qui en découle de tout ça?

Benoît Carrière : Si on est des habitués là des indicateurs publiés par Statistique Canada, là, on connaît le problème relié à l'assemblage des véhicules automobiles dont la production a vraiment diminuée en 2021 dû à cette pénurie-là de la puce-là, à semi-conducteur. Donc, pourquoi les véhicules automobiles bien, si vous êtes assis récemment dans une voiture neuve, vous avez sûrement remarqué que le tableau de bord est en fait un ordinateur. Donc les véhicules maintenant y ont tellement de gadgets électroniques qui ont vraiment besoin de beaucoup de puces à semi-conducteur, donc, des « microchips » qu'on retrouve dans les ordinateurs pour assembler les véhicules.

Et ce qui est arrivé pendant les premières vagues de la pandémie, c'est que les fabricants automobiles dans le monde puis surtout en Amérique du Nord, ont annulé leurs commandes de puces de semiconducteurs auprès des fabricants de ces fameuses puces là. Les fabricants qui ne sont vraiment pas nombreux dans le monde! Il n'y en a que quelques-uns. Ils sont principalement en Asie. Et les fabricants de puces ont aussi été affectés par les mêmes choses qu'on a mentionnées. Ils ont fermé. Ils ont arrêté de produire pendant quelques mois au début de la première vague. La reprise a été difficile pour eux aussi. Puis quand ils ont repris, ben ils se sont certainement concentrés sur les commandes qu'ils avaient déjà. Et alors que les fabricants de voitures automobiles avaient annulé leurs commandes de puces à semi-conducteurs; ben ceux qui assemblent des ordinateurs, des téléphones cellulaires et des tablettes, ben eux avaient passé plus de commandes à ces compagnies-là.

Donc évidemment, les fabricants de puces se sont mis à fabriquer plus de puce pour eux. Ensuite de ça les fabricants de véhicules automobiles ont passé de nouvelles commandes. Et ça prend du temps pour ceux qui font les puces de de de changer là un petit peu leur leur mode de production pour satisfaire à la demande des fabricants de véhicules automobiles. Donc cette fameuse puce-là est devenue là un peu en pénurie spécialement pour l'industrie de la fabrication de véhicules automobiles.

Donc les conséquences de ça, c'est que les fabricants pendant toute l'année 2021, pratiquement tous les mois, ont dû réduire leur production. Donc y arrêtaient de produire pendant 1 semaine, peut-être pendant 2 semaines, peut-être plus, parce qu'il n'avait pas assez d'arrivages de ces fameuses puces à semi-conducteurs-là.

Selon le site www.auto-forecast, la production mondiale de véhicules automobiles n'a pas produit 11 millions de véhicules automobiles en 2021 dû à cet enjeu-là. Donc, 11 millions de véhicules automobiles c'est, c'est beaucoup de véhicules. Et puis au Canada, là on parle d'environ 500 000 véhicules automobiles qui n'ont pas été produits. Et ça, ça représente à peu près une diminution de 30% si on compare à 2019 qui est une année qui qui a une base comparative là plus solide.

Mélanie : Quelles sont certaines des conséquences des perturbations sur les différentes chaînes d'approvisionnement?

Benoît Carrière : On a des conséquences, des chamboulements de deux façons au niveau de l'industrie puis des employeurs mais aussi au niveau du consommateur.

Ça l'a des graves conséquences quand on y pense. Au Canada, on fabrique des véhicules automobiles et c'est un employeur majeur au Canada, spécialement en Ontario. Donc, qu'est-ce qui arrive aux travailleurs lorsque la compagnie pour laquelle tu travailles ferme à chaque mois pendant 1 semaine ou 2 ? Euh est-ce que ça créer de l'insécurité d'emploi ? Certainement. Est-ce qu'il y a des gens qui ont été mis à pied dû à ça? J'en suis persuadé.

Mais ce n'est pas juste cette industrie-là. Il y a aussi une industrie qui fabrique des pièces pour les véhicules automobiles au Canada qui envoie ça aux fabricants canadiens mais aussi aux fabricants américains; qui, eux, sont en attente. Puis ça crée des délais. Puis eux aussi ont peut-être dû, ça peut- être créé une insécurité au niveau de l'emploi de leurs employés. Peut-être même qu'ils ont fait des mises à pied également. Donc, il y a des conséquences qui sont directes certes, mais il y a toutes sortes de conséquences aussi qui sont indirectes puis que souvent, on sous-estime.

Puis ça c'est au niveau de l'industrie. C'est au niveau des travailleurs. Mais de l'autre côté, nous les consommateurs bien on est habitués à l'époque quand on voulait acheter un véhicule automobile; d'aller dans un concessionnaire et souvent on pouvait partir avec les clés, la voiture. Maintenant qu'on va chez le concessionnaire, bien on ne sort pas avec les clés on a plutôt fait un dépôt là de deux-cents, cinq-cents dollars avec la promesse qu'on va recevoir notre véhicule dans 3 ou 6 mois. Donc, c'est différent. Puis évidemment, moins de fabrication de véhicules automobiles, ça veut dire, les véhicules sont moins disponibles. Ça veut dire sont plus rares. Et ça l'a un effet encore une fois sur les prix.

Si on regarde les données de décembre sur l'indice des prix à la consommation mais ça disait que sur les 12 mois de l'année, les prix des véhicules automobiles avaient augmenté de plus de 7%. Alors que pour ce qui est des véhicules automobiles, normalement, on voit quand même une certaine stabilité dans les prix-là historiquement. Donc 7 %, c'est vraiment significatif pour 2021 au niveau de l'augmentation du prix des véhicules.

Mélanie : On a pu observer donc certaines pénuries de marchandises quand on voulait s'approvisionner quelque chose en particulier à un moment précis. Est-ce que on doit s'attendre à un certain changement dans notre façon de s'approvisionner?

Benoît Carrière : Ouais, ben en fait, euh. On le voit déjà que toute cette situation-là, a un impact sur le mode de production. Donc, lorsqu’on parlait des exemples avec notre compagnie québécoise, là on parlait qu'elle avait avec le temps, fait des gains en efficacité au niveau de la chaîne d'approvisionnement. On parlait du fait qu'elle tenait des inventaires le plus bas possible, puis ça, ça lui permet de sauver des coups au niveau de l'entreposage. Et on disait aussi qu'elle s'arrangeait pour recevoir les pièces juste au bon moment. Puis ça, c'est un mode de production qui est comme du « juste-à-temps » en anglais ils disent un « just-in-time ». Donc, c'est vraiment l'entrée et la sortie des marchandises à un moment précis dans la production qui fait en sorte qu'on est extrêmement bien coordonné avec les fournisseurs. Puis on est aussi extrêmement bien coordonné avec le client. Là ce qu'on voit, puis si on regarde les données là sur les ventes des manufacturiers, si on regarde la donnée sur les inventaires; on voit que les fabricants ont gardé beaucoup plus d'inventaires cette année qu'auparavant. Donc, on est comme dans un espèce de mouvance entre le mode de production « juste-à-temps » à un mode de production « juste-au-cas ». Donc, un « just-in-case ». Donc, les fabricants on dirait qu'ils veulent garder un inventaire suffisant pour que supposons qu'un bien, qu'ils ont besoin pour assembler leurs produits, devient soudainement non disponible; ben qu'il y en ait assez en stock, pour que ça n'interrompt pas la chaîne ou le cycle de production pour cette compagnie-là.

Mélanie : Dans quelles mesures alors ces pénuries actuelles sont-elles exceptionnelles?

Benoît Carrière : Ben si on regarde les 10, 20, 30 dernières années, c'est assez exceptionnel. Ce qui est exceptionnel, ce n'est pas nécessairement ce qui est en train d'impacter la chaîne d'approvisionnement. C'est que tous ces événements-là sont en train d'arriver au même moment! Donc c'est vraiment ça qui qui est exceptionnel selon moi.

Mélanie : Donc Benoît, qu'est-ce que vous espérez que nos auditeurs retiennent de notre conversation?

Benoît Carrière : Écoute, ce n'est pas un sujet qui est simple, on voit passer ça dans les nouvelles, puis on se demande bon, comment ça nous affecte? Mais ultimement, ça l'affecte vraiment tout le monde. Puis donc je pense que ça vaut la peine de s'intéresser à ça. Puis ça là, ça affecte nos habitudes de consommation. Ça, ça l'affecte le prix que l'on paye pour certains produits. Si on est un employé dans une industrie de fabrication, ça peut même affecter notre notre emploi. Donc, évidemment là la chaîne d'approvisionnement et les différents enjeux reliés à ça affectent vraiment tout le monde. Puis je pense que ça vaut la peine de s'y intéresser pour ces raisons-là.

Mélanie : Où pouvons-nous trouver davantage d'informations sur ce que tu nous a présenté?

Benoît Carrière : Donc, évidemment là, il y a plein d'exemples, tous les exemples que j'ai nommés, vous allez retrouver ça dans des les médias traditionnels, qui couvrent le milieu des affaires. Par contre vous allez trouver aussi vraiment beaucoup d'information sur le site de Statistique Canada, sous l'onglet du Quotidien. Le Quotidien, c'est là où on publie nos indicateurs économiques principaux, puis que vous lisiez sur les résultats de la balance commerciale ou des ventes de gros ou des ventes au détail ou des ventes des manufacturiers et évidemment de l'indice des prix à la consommation; vous allez trouver plein d'information concernant les enjeux reliés à la chaîne d'approvisionnement. Puis comment ça impact les indicateurs économiques qu'on publie.

Mélanie : Merci d'avoir accepté notre invitation Benoît. C'était vraiment une discussion très éclairante!

Benoît Carrière : Ok, mon plaisir.

Vous étiez à l’écoute d'Hé-Coutez bien! Merci à notre invité : Benoît Carrière ainsi qu'à toute l'équipe. Vous pouvez vous abonner là où vous obtenez vos balados. Vous pourrez également trouver la version anglophone appelée Eh Sayers. Vous avez aimé cet épisode? Évaluez-nous et faites-nous part de vos commentaires.

C’est le dernier épisode de notre deuxième saison, j'aimerais profiter de l’occasion pour remercier mes collègues : Janelle Bah, Sarah Messou-Ghelazzi, Alexandra Bassa, Chris Houle, Martin Charlebois et Tony Colasante pour leur soutien à la production, ainsi qu’aux experts en la matière et aux autres équipes de Statistique Canada ayant contribué au contenu. Merci à Jessie James McCutcheon et Max Zimmerman, ingénieurs de son; et à Vincenzo Germano pour la conception du logo. Et finalement, merci à Annik Lepage et à Marc Bazinet à la direction. Je suis Mélanie Charron, votre animatrice. Je vous remercie d'avoir été à l'écoute. À bientôt!